La domination politique et culturelle des Fujiwara (794-1068)
En 794 est achevée Heian, construite près de Heijo (Nara) et calquée – comme cette cité, presque un siècle plus tôt – sur le modèle de la Chang’an des monarques chinois TANG. Heian (Kyoto) allait rester la capitale impériale jusqu’en 1868.
SAKANOUE no Tamuramaro (758-811) est envoyé par la cour impériale pacifier le nord-est du Honshu (Shotoku) et repousser les populations aborigènes (Ainu). L’empereur KAMMU crée alors pour lui, en 797, le titre appelé à un grand avenir de “général en chef contre les barbares” (sei i tai shogun, abrégé en shogun). Ses conquêtes sont parachevées par BUN’YA no Watamaro (763-821).
Au début du IXe siècle sont fondées deux nouvelles sectes, qui trouvent leur inspiration dans des écoles chinoises ésotériques du Bouddhisme. Contrairement aux monastères de Nara, dont l’influence envahissante a conduit à un changement de capitale, celles-ci offrent des perspectives d’illumination spirituelle et de salut, accessibles à un plus grand nombre. Il s’agit de la secte Tendai (d’après la secte chinoise du Tiantai), créée par le moine SAICHO (767-822), fondateur du temple Enryaku-ji sur le mont Hiei, au nord-est de Kyoto ; ainsi que de la secte Shingon (de la “Vraie Parole”), créée par le moine KUKAI (774-835), fondateur du temple Kongobu-ji, sur le mont koya, au Sud-Est de la capitale. Toutes deux vont dominer la vie religieuse au Japon pour les trois siècles à venir et sont à l’origine de nombreux établissements religieux. Les moines créateurs des deux sectes ont pu partir étudier en Chine, en faisant partie d’une des ambassades visitant les empereurs TANG. Mais après 838, l’envoi de ces dernières est interrompu, et l’archipel nippon connaît une phase de repli sur lui-même.
Dans le courant du IXe siècle, la famille des FUJIWARA s’approprie de plus en plus les rênes de l’État, au détriment de la dynastie régnante, bien que les FUJIWARA descendent paradoxalement des NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour, qui avaient contribué en 645 à renforcer la puissance impériale en éliminant le clan SOGA probouddhiste.
Toutefois, selon un schéma politique typiquement japonais, qui devait se reproduire souvent dans l’histoire du pays, le clan alors dominant des FUJIWARA préfère gouverner en coulisses. Sans porter atteinte au prestige moral et religieux attaché à la personne de l’empereur et, à plus forte raison, sans tenter de le supplanter. Même si, dans les faits, ce dernier n’occupe plus qu’un rôle purement honorifique.
Le moyen trouvé par les FUJIWARA pour s’emparer du pouvoir consiste pour le chef du clan à marier ses filles à de jeunes empereurs, incités à abdiquer après avoir eu un héritier. Le grand-père FUJIWARA devient alors “régent de minorité” (sessho) durant le jeune âge du nouvel empereur, puis “régent de majorité” (kampaku) du souverain devenu adulte.
En outre, les membres de la famille FUJIWARA, qui croît de façon pléthorique avec le temps, s’accaparent les plus hautes charges de l’État. De plus, en se faisant attribuer de grands domaines fonciers défiscalisés dans tout l’archipel, ils deviennent plus riches que la lignée impériale elle-même.
Les FUJIWARA atteignent le sommet de leur gloire avec FUJIWARA no Michinaga (966-1028), beau-père de plusieurs empereurs et détenteur du pouvoir réel, qui donne le ton et lance les modes à la cour impériale de son temps. Celui-ci aurait inspiré à la dame MURASAKI Shikibu le prince protagoniste de son célèbre roman, Le Dit du Genji.
Car, si des troubles et des famines agitent les provinces, voire la capitale, la cour y vit en vase clos. Plutôt qu’imiter strictement la Chine, elle commence à développer les caractéristiques d’une culture brillante typiquement nippone. Au point que, pour les Japonais d’aujourd’hui, le période de Heian représente le temps fort de leur histoire nationale, souvent idéalisé par la suite. Les courtisans, caparaçonnés de nombreuses couches de riches vêtements, y sont soumis à l’observance d’une stricte étiquette. Les hommes, lettrés, délaissent les armes pour s’adonner à la calligraphie ou composer des vers en chinois. Les femmes rédigent journaux et romans, contribuant à la constitution d’une littérature en langue japonaise, facilitée par l’invention des deux syllabaires hiragana et katakana (caractères chinois simplifiés).
Le régime des empereurs retirés (1068-1156)
Jusqu’à 1068, les FUJIWARA restent maîtres du Japon. Mais leur suprématie commence à décliner avec l’avénement de GO SANJO. Cet empereur présente la caractéristique, alors exceptionnelle, de n’entretenir aucun lien familial avec ces derniers.
GO SANJO s’applique à restaurer une autorité impériale indépendante de l’influence des FUJIWARA. Il abdique bientôt volontairement (1072) et fait mine de se retirer dans un monastère. En fait, il se libère ainsi des tâches accaparantes liées à la fonction d’empereur et des intrigues de la cour, pour mieux exercer le pouvoir par l’entremise de son héritier monté sur le trône à sa place. Mais, GO SANJO meurt trop rapidement (1073) pour réaliser toutes les réformes qu’il a en tête.
Néanmoins, son oeuvre politique est reprise par son fils SHIRAKAWA (règne : 1073-1086) et ses successeurs, qui institutionnalisent ce mode de gouvernement des empereurs retirés (insei). L’empereur retiré, depuis son monastère (in), devient donc le régent de parenté de l’empereur en titre par ligne masculine, et non par les femmes comme dans le système instauré précédemment par les FUJIWARA. Outre le fait qu’il conserve la réalité du pouvoir, le premier constitue, en parallèle, sa propre cour, une clientèle, et cherche à restaurer les finances de la famille impériale dans le but de contrecarrer les FUJIWARA.
Significativement, l’une des mesures parmi les plus importantes prises par GO SANJO
avait consisté à créer un bureau de contrôle des titres domaniaux, souvent illégaux.
Afin d’enrayer la réduction constante des domaines impériaux au profit des grands
manoirs (shoen) des familles aristocratiques, dont les FUJIWARA, et des monastères
bouddhistes et shintoïstes.
Cependant, la maison impériale n’en demeure pas moins divisée. Notamment quand, par le biais d’abdications successives, plusieurs empereurs retirés sont amenés à coexister en même temps. Des rivalités similaires existent au sein des FUJIWARA, très nombreux, et les opposent aussi à d’autres grandes familles aristocratiques de la cour. Ce qui explique que la capitale, Kyoto, où se concentrent tous ces pouvoirs rivaux, connaisse de nombreux troubles. D’autant que, peu sûre, elle est parfois menacée par les brigands.
En outre, les monastères, pour protéger leurs intérêts et s’imposer, contre d’autres monastères, voire contre l’empereur, se mêlent au jeu politique. Ils entretiennent des troupes de moines-soldats, qui n’ont de bonze que le nom, et recourent à toutes les armes à leur disposition, y compris des palanquins porteurs de reliques sacrées, objets de la dévotion populaire. Ainsi, les adeptes du temple Enryaku-ji du mont Hiei ou des monastères de Nara viennent-ils faire des démonstrations de force dans la capitale. Face à de telles situations, empereurs et familles aristocratiques de courtisans raffinés, qui ne disposent pas de réelles forces armées à leur service, ont de plus en plus recours, même s’ils les méprisent, à des clans de guerriers venus de leurs domaines provinciaux.
Ces guerriers (bushi), appelés plus tard samourai (au sens premier : serviteurs armés de la noblesse), constituent alors une nouvelle classe. Elle est issue, à l’origine, de cadets des grandes familles aristocratiques partis chercher fortune et se mêler aux notables locaux dans les provinces, parfois reculées, y menant une vie de pionnier. Même s’ils conservent un souvenir idéalisé de la cour, ces guerriers vont conquérir progressivement leur liberté d’action par rapport à celle-ci en adoptant un mode de vie plus rustique centré sur le métier des armes : équitation, tir à l’arc et escrime.
Dans les régions excentrées par rapport à la capitale où ils sont installés, ils instaurent une nouvelle société. Celle-ci tend à s’approprier les terres et vers la féodalité, avec la création de liens de vassaux à suzerain organisés au sein de ligues de guerriers (bushidan), consolidées par des mariages. Ces organisations sont destinées à combattre un seigneur concurrent, des bandits, des pirates ou les incursions ainues dans les marches du Honshu.
Théoriquement dépendants des grandes familles aristocratiques comme les FUJIWARA, des clans guerriers comme les TAIRA (ou HEIKE) et les MINAMOTO (ou GENJI), qui descendent de branches cadettes de la lignée impériale, sont de plus en plus autonomes de fait. Ils ne demandent qu’à revenir à Kyoto se mêler des rivalités de la cour, voire à appuyer l’un ou l’autre des empereurs retirés.
L’ascension des guerriers (1156-1192)
Au gré d’allégeances fluctuantes, les TAIRA et les MINAMOTO servent donc les empereurs retirés ou les FUJIWARA, combattant les moines-soldats ou les pirates de la Mer Intérieure. Mais des querelles de succession entre empereurs retirés au sein de la maison impériale et des oppositions au sein de la famille des FUJIWARA vont aboutir à deux affrontements successifs dits troubles de “l’ère Hogen” (1156) et de “l’ère Heiji” (1160), auxquels participent ces clans guerriers.
Au terme de ces combats, les TAIRA, évinçant les MINAMOTO, se hissent brutalement à une position dominante dans la capitale, qu’ils vont occuper de 1160 à 1180. Leur chef TAIRA no Kiyomori (1118-1181), déjà le plus important des seigneurs des provinces, se fait attribuer les postes les plus honorifiques de la cour, et reprend à son compte la tactique matrimoniale des FUJIWARA. Il devient ainsi le grand-père de l’enfant-empereur ANTOKU.
Préoccupé de fortifier son pouvoir neuf à Kyoto, en s’insinuant dans les rouages de l’État, Kiyomori tente aussi de développer le commerce avec la Chine des SONG sur les côtes de la Mer Intérieure, qu’il contrôle. Mais il parvient moins bien à affermir son autorité sur les bouillants lignages de guerriers des provinces.
D’autant qu’après 1160, il a commis l’erreur d’épargner un fils du chef défait des MINAMOTO, MINAMOTO no Yoritomo (1147-1199), confié à un vassal des TAIRA, HOJO Tokimasa. Parmi ses autres frères survivants, son demi-frère MINAMOTO no Yoshitsune (1159-1189), est élevé dans un temple près de Kyoto, promis par contrainte à l’état de moine.
Parvenu en âge de combattre, Yoritomo saisit le prétexte d’un différend entre la maison impériale et les TAIRA pour se rebeller et se venger. Après avoir retourné ses gardiens, les HOJO de la péninsule d’Izu, il s’installe à Kamakura, dans le Kanto (maintenant région de Tokyo), fief où ont été confinés après 1160 les partisans des MINAMOTO. Pour la première fois, cette province de l’est du Honshu commence à jouer un rôle central dans l’archipel.
De 1180 à 1185, une guerre oppose les TAIRA et les MINAMOTO, durant laquelle Yoritomo se montre un fin politique agissant en retrait. Depuis Kamakura, il rallie à sa personne une coalition d’opposants aux TAIRA et, au fur et à mesure que ses armées avancent vers l’Ouest, gagne au bushidan MINAMOTO le soutien des seigneurs à la tête des ligues locales de guerriers. Il s’emploie également à assurer la richesse de son clan en favorisant le commerce du port de Kamakura avec la Chine.
En 1181-1182, la sécheresse provoque une famine qui touche plus durement les régions de l’Ouest, et donc davantage les soldats des TAIRA qui y cantonnent. L’année suivante, ceux-ci évacuent Kyoto prise par un parent et rival de Yoritomo, KISO Yoshinaka (1154-1184). Mais ce dernier est battu par Yoshitsune qui se montre, sur le terrain, un brillant général et tacticien oeuvrant pour son demi-frère resté à Kamakura. Yoshitsune défait aussi à Ichi no Tani (1184) les troupes des TAIRA, qui retraitent toujours plus à l’Ouest. Il ne reste plus alors aux TAIRA que leur puissance navale, anéantie à la bataille de Dan no Ura (1185), dans le détroit entre Honshu et Kyushu, où périt le jeune empereur ANTOKU et la fine fleur du clan TAIRA.
Yoritomo se brouille alors avec le très admiré – et devenu très encombrant – Yoshitsune. Celui-ci est poursuivi et acculé au suicide avec les siens. Une branche des FUJIWARA du nord du Honshu qui l’avait soutenu contre son demi-frère est aussi éliminée par la même occasion (1189).
Pendant les siècles à venir, les chansons de geste, la littérature – notamment le Dit des Heike – et le théâtre japonais, vont s’inspirer des combats épiques entre les TAIRA et les MINAMOTO (1). Une place particulière y sera faite au preux Yoshitsune, archétype du paladin du Japon médiéval, sorte d’équivalent du Roland de Roncevaux occidental.
Yoritomo reste seul vainqueur, s’imposant comme un nouveau pouvoir face à l’institution impériale et au gouvernement antique de Kyoto. Il se fait reconnaître par la cour, a posteri, des pouvoirs étendus en matière de maintien de l’ordre, qu’il exerce déjà de fait dans tout l’empire.
En 1192, pour honorer le nouvel homme fort venu de l’est du Japon, l’ancienne zone “retardataire” au contact des Ainu, l’empereur remet en vigueur le titre de shogun (sei i tai shogun ou “général en chef contre les barbares” ).
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