Est-ce dû à son mariage avec la créatrice de Sailor Moon, est ce par une volonté farouche de se détacher du manga Yu Yu Hakusho qui finissait par l’étouffer ? Qu’importe, Hunter X Hunter reste définitivement une création plus personnelle, où l’auteur s’autorise vaillamment de sortir des sentiers battus du manga.
Le propos de Yu Yu Hakusho est somme toute assez simple. En une sorte de Dragon Ball-like, les personnages principaux, confrontés à des méchants de plus en plus forts, se dépassent et atteignent une puissance quasi-divine, le tout sur fond d’amitié de groupe. Le groupe en lui même véhicule les archétypes du genre, entre le héros, pétillant et inconscient du danger, mais sachant se dépasser en toutes circonstances, Kowabara, le gros bête de la bande, plus puissant que réfléchi, Hiei, le Végéta typique, sorte de faux méchant, solitaire et sombre, et Kurumada, le personnage féminin type, souffrant le martyre entre deux volées de roses. Etape après étape, les 4 amis s’imposent un chemin de croix qui s’étale sur les 19 volumes de la série.
Dans son propos même, Hunter X Hunter reprend les éléments archétypaux du genre. Le héros Gon, jeune, honnête et bon, trahit des facilités naturelles pour le combat qui l’amènent à devenir un Hunter. Il s’entoure petit à petit de trois compagnons, un fort à bras (Léolio), un personnage à la Végéta (Kirua) et un personnage plutôt féminin (Kurapika). Tout se met donc en place… et pourtant, l’auteur n’aura par la suite de cesse d’étonner son lecteur par des réactions et situations inattendues. Ainsi, lors des combats, ceux qui perdent ne sont pas ceux que l’on s’attend voir échouer, les épreuves même sont aussi surprenantes qu’inventives (entre une course à pied et une tour-labyrinthe mortelle, les protagonistes s’affrontent sur une épreuve de cuisine), ce qui nous change des sempiternels combats. De plus, comme on retrouve l’amitié entre les personnages comme élément fondamental du manga, l’auteur n’hésite pas à les séparer pour mieux approfondir leurs particularités (on se passera ainsi de Léolio et de Kurapika du volume 5 au volume 8). TOGASHI cuisine donc avec les mêmes ingrédients de base que son Yu Yu Hakusho, mais en s’éloignant donc systématiquement des archétypes et leitmotivs du genre.
Le concept du Hunter tient lui-même du coup de génie. Concept désignant un type de personne, il peut se décliner à l’infini, le Hunter étant un “chasseur”, ou plutôt un “trouveur”. Il existe ainsi autant de catégories de Hunter que de choses ou personnes à retrouver. On trouvera donc des Hunter du goût, des Hunter d’animaux, des Hunter d’objets… et bien sûr les purs chasseurs d’hommes. TOGASHI a donc créé un concept ouvert qu’il utilise avec originalité et inventivité et lui permet de rebondir à l’infini sur de nouveaux scénarios.
Les combats, présents par ailleurs, ont toujours une originalité supplémentaire qui les élèvent au delà du simple affrontement physique. Ainsi, dans les combats de la Tour, il s’agit de gagner des minutes, lors de l’épreuve dans les bois, le but est non pas de battre son adversaire, mais de lui prendre sa plaque numérotée. Le Hunter n’est ainsi pas un guerrier, mais bel et bien un expert en combat usant de stratégie, de psychologie, de ruse, de diplomatie et en dernier lieu, de violence physique. En chaque épreuve, l’intelligence prime, car c’est bien là la marque du Hunter.
Les combats reposent par ailleurs sur une conception théorique de l’énergie du Chi très structurée, et faisant bien plus référence aux techniques réelles, que dans Yu Yu ou DBZ. Le personnage de Kirua amorce la pompe, mais c’est dans les volumes 6 et 7 que l’on rentre dans le vif du sujet. Y sont développés les concepts du Nen, du Ten et du In, les divers états de l’énergie vitale, mais aussi le fait que chaque être dans son individualité se rattache à une branche du Ten plus qu’à une autre. Une façon de dire que si nous contenons tous effectivement une énergie méconnue, elle est aussi différente d’une personne à l’autre selon sa propre nature. Encore une fois, on se détache de l’affrontement basique pour se rapprocher d’une vision plus traditionnelle à la chinoise des forces physiques. On remarquera à ce titre que chaque second couteau un peu baraqué et musclé finit inexorablement plié en 4 par plus petit que lui. La force véritable dépendant plus du mental que du physique, théorie qui baigne la culture manga.
Mais là où l’auteur nous épate c’est dans la façon dont il bâtit son propos. On s’imagine au début de la série que toute la période d’examen de Hunter durera une bonne dizaine de volumes et que le reste constituera la recherche du père de Gon. Mais loin de nous faire mariner des centaines de pages durant, l’auteur crée. Et le voilà qui nous achève l’examen dès le volume 5, et de quelle manière, en frustrant son lecteur du combat final, explosant sa construction linéaire, faisant appel aux flash-back, lançant les bases de nouvellesaventures. C’est ainsi que nos amis partiront à la recherche de Kirua (l’occasion de dépeindreune nouvelle galerie de personnages truculents). Plus tard, avec Kirua, Gon tente l’ascension d’une mythique Tour de combat, ascension qu’ils abandonneront d’eux-mêmes, moins motivés par les combats que par ce qu’ils ont à apprendre, et ce contre toute attente. La recherche du père de Gon elle-même ouvre sur de nouvelles histoires mettant en scène la plus grande vente aux enchères du monde, et une autre bordée de protagonistes, mais raccrochant également avec les personnages précédents…
On l’aura compris, l’auteur livre ici une oeuvre d’une richesse étonnante, n’hésite pas à finir des aventures moins motivantes pour rebondir sur d’autres buts, et sans jamais laisser dans les oubliettes ses personnages d’histoires précédentes. Un travail de construction scénaristique colossal, et une recherche permanente de l’originalité et de la vivacité dans le récit. Publié actuellement chez Kana, la série nous réserve encore bien des surprises, et considérant le talent de conteur de TOGASHI, on peut s’attendre à une série au moins aussi longue et mythique que DBZ, mais surtout cent fois plus passionnante. Rien d’étonnant à ce que le 12è tome paru au Japon en Juillet se classe à la seconde place des meilleures ventes.
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