Ice Age et Monstres et Cie

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Une caractéristique, que l’on pourrait penser fondamentale, différencie les deux projets, Monstres et Cie et L’Âge de Glace. Le premier est une oeuvre originale, toute droit sortie de l’imagination de Pete DOCTER et de ses associés du studio Pixar, pour laquelle Disney n’a fait qu’apporter les crédits et la notoriété. En ce qui concerne le second, il s’agissait à la base d’un projet de la Fox. Celle-ci comptait réaliser L’Âge de Glace en dessin animé traditionnel, mais l’échec de Titan A. E., première et précédente expérience en ce domaine, l’a quelque peu refroidie. Cependant, le projet ne fut pas abandonné pour autant, et l’association de la Fox avec le studio d’animation 3D, Blue Sky (dirigé par Chris WEDGE) a engendré l’idée de changer de support. WEDGE, déjà récompensé par un Oscar pour son court métrage Bunny, semblait tout indiqué pour sauver la face. Curieusement, ce dernier ne s’est pas senti “engoncé” dans un projet rapporté, tout simplement parce que les producteurs ont su lui laisser carte blanche, n’intervenant que dans la gestion du budget et en apportant toute la “machinerie” gigantesque de leur société cinématographique.

De fait, Chris WEDGE a pu d’une certaine manière s’approprier le projet. WEDGE l’a cependant beaucoup transformé. Il fallait l’adapter au nouveau support, mais aussi le rendre plus facilement abordable par un large public, tout en suivant sa propre sensibilité. D’une histoire plutôt dramatique, il a fait un divertissement sans temps mort. Il se devait de plaire aux enfants, tout en titillant les adultes. Le procédé de création prend du temps, de la conception des protagonistes à la mise en scène, en passant par les dialogues. Par exemple, la scène où les tigres préparent leur attaque du campement humain a été minutieusement travaillée au stade du storyboard (sur papier donc), alors que les dialogues étaient déjà “joués” par les acteurs ; et cela, afin de se rendre compte de l’intensité de la mise en scène, avant de se lancer dans la conception en 3D, qui n’a pas droit à l’erreur en raison de son coût en temps et en argent.

Ce phénomène est identique pour Monstres et Cie, pour lequel, Sulley, le gros nounours violet et turquoise, est passé par un certain nombre de stades. À l’origine, il avait des tentacules et était un monstre incompétent, un sacré contraste avec la peluche connue comme étant la meilleure des meilleures Terreurs d’élite ! Pour donner du piment à l’histoire, Sulley est passé d’un simple concierge esseulé qui n’avait rien à perdre, à un monstre choyé par tous qui a pris de gros risques pour la petite Bouh.

À la base, donc, dans L’Âge de Glace, seuls les personnages principaux étaient définis. Le choix des acteurs qui les incarnent, afin que leurs intonations inspirent les créatifs et les animateurs, est venu ensuite. On filme les acteurs et l’on observe leurs mouvements et mimiques que l’on tente de reproduire en images de synthèse. Tous les films d’animation utilisent ce procédé, et ce fut le cas également de Shrek, pour lequel malheureusement le comédien incarnant l’ogre vert est décédé avant le doublage proprement dit. En général, les producteurs demandent que des acteurs connus “supportent” leur film, et cela pose rarement des problèmes (même s’il faut gérer des “créneaux temporels” étroits) car ce sont de grands professionnels, qui jouent “juste” pratiquement du premier coup. Il n’est cependant pas toujours évident pour un réalisateur de demander à une “star”, à l’emploi du temps chargé, de revenir plusieurs fois interpréter une scène, lorsqu’elle a subi des modifications. Parfois, il est bon d’employer les gens que l’on a sous la main. Ainsi, WEDGE a été tellement criant de vérité dans son interprétation du Scrat, l’écureuil-rat responsable de l’apparition de ” l’âge de glace “, qu’il a été décidé qu’il se chargerait de son doublage pour la version finale.

Les coupes sombres sont réalisées en fonction de la réaction de publics test, ou bien des décisions du réalisateur et de l’équipe au moment du visionnage quasi final, qui jugent qu’un passage coupe le rythme du film, ou bien n’est pas assez compréhensible instantanément.
Ainsi, une scène qu’avait beaucoup appréciée WEDGE – concernant la “drague” de Sid, le paresseux, utilisant le bébé à sa charge pour amadouer deux beautés dans leur bain de boue – a beaucoup fait rire l’équipe de réalisation, mais les parents accompagnant leurs enfants lors d’une de ces fameuses séances-test ont jugé que cela ne pouvait pas être acceptable pour leurs têtes blondes, et le passage a été considérablement raccourci. Au début WEDGE voulait une fin amère (mort de Diego) et celle-ci a prédominé pendant deux ans et demi ! Mais finalement, il a été choisi de ressusciter le tigre.

Il en a été de même pour la fin de Monstres et Cie, où les spectateurs regrettaient de ne pas revoir Bouh. Pete DOCTER a été obligé d’ajouter la scène finale. Mais il a su faire un compromis en ne montrant que l’expression de joie de Sulley, ouvrant la porte de sa jeune amie. Des séquences terminées furent ainsi tout bonnement évincées en fonction de la réaction du public, de même que certains personnages (une copine de Sid). Tous ces changements de dernières minutes sont toujours stressants pour les réalisateurs et le film ne trouve sa version définitive que quelques semaines, voire quelques jours avant la sortie en salle. Voilà pourquoi, il n’est pas rare qu’elle soit repoussée.

Comme on peut s’en douter, réaliser de tels films, même si les réalisateurs avouent s’être énormément amusés, n’est pas totalement gratifiant. D’une part, même si la tendance commence à changer à l’heure actuelle, parce que les budgets conséquents ne sont donnés que pour des projets (en animation) à la cible très large, avec une dominante pour les plus jeunes ; et d’autre part parce que les réalisateurs peuvent davantage s’investir dans des courts métrages. Malheureusement, ceux-ci ne permettent pas de gagner sa vie. WEDGE a mis trois ans pour terminer Bunny, en travaillant la nuit et en faisant des compromis avec les travaux plus ” alimentaires ” Les courts métrages sont des gouffres financiers, mais ils ouvrent un large champ à l’expérimentation.
En revanche, les films donnent libre cours au réalisateur qui n’a plus de soucis d’argent. Ces problèmes sont à la charge du producteur qui suit de près la progression du film, tout en donnant des limites, pas trop rigides, à ne pas dépasser. Pour Pixar, le budget était assez serré, mais la production a aidé à trouver des solutions en jonglant suivant l’importance des choses à accomplir. Par exemple, la musique est très importante pour véhiculer l’émotion, elle a donc bénéficié d’un budget conséquent.

Pour l’instant, l’avenir le plus proche de Pixar concerne la sortie en DVD de Monstres et Cie, pour laquelle quelques surprises attendent le spectateur, notamment un supplément animé spécialement autour de Mike/Bob, le cyclope jaune et joyeux acolyte de Sulley. Il en sera de même pour le DVD de L’Âge de Glace, avec un bonus mettant le Scrat en vedette !
Au cours de la production de Monstres et Cie, l’équipe s’est amusée à envoyer de petites séquences animées sous forme de gags à DOCTER, que l’on a pu apprécier durant cette conférence d’Annecy, peut-être seront-elles inclues en bonus dans le DVD… Blue Sky Studios est sur un projet de long métrage pour lequel le script est quasiment terminé, mais WEDGE n’avait pas le droit d’en parler officiellement (production au printemps 2003). Pixar, lui, sort prochainement Finding Nemo, et de nombreux projets sont en cours, notamment sur des super-héros (Les Incroyables).
Pourvu que leur créativité ne tarisse jamais !

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