AL : Quels sont les prochains titres que tu souhaites faire découvrir au public ?
T.M. : Mon regard se tourne aujourd’hui vers Hong-Kong. Nous avons ainsi l’intention d’éditer le Batman : Hongkong de Tony WONG (auteur de Stormriders, NDLR) un album de très belle facture. Mais, il y a aussi d’autres titres sur lesquels nous planchons actuellement et qui apportent un véritable plus. Citons ainsi Ultraman Tiga (sorti aux Etats-Unis chez Dark Horse, NDLR) toujours par Tony WONG. Pour l’instant, rien n’a été signé, mais nous nous y intéressons beaucoup.
AL : Des titres comme Robotech, Xin ou Vampi sont l’oeuvres d’artistes américains, d’origine chinoise, produisant des comics avec une esthétique manga. N’y a-t-il pas un certain paradoxe à proposer un produit au look manga mais qui n’est pas du manga ?
T.M. : Oui, c’est possible pour un certain nombre de lecteurs intégristes. Il y ainsi des lecteurs de manga refusant d’ouvrir certains albums sous prétexte qu’ils varient quelque peu de leur norme… Mais on rencontre le même problème avec un lecteur de franco-belge qui refusera d’ouvrir un comics aussi bon soit-il, simplement à cause de son format. Là, il y a des barrières culturelles à faire tomber et l’on y travaille tous les jours.
AL : Donc pour toi, Xin ou Vampi sont des manga au même titre que le Batman : Child of dreams ?
T.M. : Non, ce sont des produits hybrides. Il n’y a pas de problème à revendiquer ce statut, sauf chez certains lecteurs de manga qui ont des barrières psychologiques et se disent : « Ça ressemble trop à un comics, donc je ne vais pas le lire » et chez des lecteurs de comics s’exclamant : « Ah ! C’est du manga, donc je ne l’achète pas ». Le risque, et Panini connaît aussi ce problème, consiste à proposer des produits hybrides comics et manga, et ne toucher aucun des deux publics visés.
AL : En fait, ce n’est pas l’origine du produit que tu vends qui t’intéresse, mais plutôt sa qualité ?
T.M. : Oui, je cherche quelque chose d’intéressant et pouvant renouveler le genre. À partir du moment où je suis face à un titre qui me plaît, je n’ai aucune raison de me réfréner. Par contre, le lectorat peut se révéler très réticent, ça c’est sûr…
AL : Autant Marvel a cherché à développer des lignes de comics/manga avec le Mangaverse ou Tsunami, autant Image et DC semblent hésitants à s’investir dans cette aventure. Toi qui édites nombre de leurs titres, qu’en penses-tu ?
T.M. : Je ne suis pas pour l’idée de Marvel qui a été de labelliser et étiqueter un style hybride donc multi-culturel. Les éditors ont voulu donner des repères graphiques et commerciaux au lectorat. Mais si, au final, on crée toute une ligne et qu’elle ne marche pas, alors le produit n’est pas bon et il faut revoir sa copie.
AL : Penses-tu que c’est le produit qui est mauvais ou la façon de communiquer ?
T.M. : (moment de réflexion) Je crois, au risque de surprendre, qu’avant même de penser à la qualité du produit ou à la façon de communiquer, il faut s’intéresser au circuit de distribution. Le noeud de la guerre se trouve là. Concernant Tsunami, si Marvel veut toucher un public manga mais qu’il adresse d’abord ses titres à un public comics, il a peu de chance de réussir. Aujourd’hui, la majorité des ventes aux Etats-Unis se fait par le manga et en librairie, pas en comics-shop ! Tokyopop (éditeur de Fuli Culi, Karekano ou Battle Royale, NDLR), le premier éditeur en terme de ventes, ne fonctionne pas avec Diamond (le distributeur par lequel tous les éditeurs de comics sont plus ou moins obligés de passer, vu que Diamond a trusté toute distribution des comics-shop, NDLR), ne vendent pas en comics-shop, mais en librairie. Voilà déjà un élément de réponse : pour un produit donné, destiné à un lectorat donné, il faut disposer du bon circuit de distribution.
AL : Revenons à DC.
T.M. : Quant à DC, je ne vois pas de volonté de jouer le jeu du manga. Ils ont quelques produits marketés dans ce sens ( Death : at death’s door par exemple, NDLR). Mais si les ventes vont dans leur sens, nul doute qu’ils s’y mettront sérieusement. DC est un éditeur relativement prudent à ce niveau là, mais les choses évoluent. Les derniers titres comics qu’ils ont sortis marchent très bien, et sans doute se rendent-ils compte qu’ils peuvent faire plus. Comme ils possèdent le label Wildstom de Jim LEE, ils ont là un laboratoire de travail et d’expérimentations intéressant. Le fait que Wildstorm ait annoncé qu’il cherchait un éditor pour s’occuper d’une ligne de manga laisse à penser que des choses risquent de se faire très prochainement.
AL : Chez Image, la situation se révèle très différente. Eux aussi ont sorti des titres comics/manga avec Agents ou Soul of the Samouraï, mais l’entreprise Image a un statut bien particulier.
T.M. : Image est une sorte d’auberge espagnole permettant aux artistes de conserver leurs droits sur leurs créations, contrairement à la situation des autres éditeurs. Il ne s’agit donc pas d’un éditeur, mais plutôt d’une structure commune sur le plan marketing et commercial. Ceci explique l’absence d’une ligne manga. Chaque artiste étant indépendant, cela se fait au coup par coup.
AL : Pour conclure, quels projets comics/manga peut-on s’attendre à découvrir chez Sémic ?
T.M. : Nous continuons à tisser des passerelles entre les genres… Nous éditons le Superman de MCGUINESS, qui a un graphisme très inspiré par le dessin animé. D’un autre côté, nous créons des comics, mais en interne. Ainsi, le Image Comics 3 propose l’histoire de Kidz dessiné dans un style manga ne jurant pas face à la ligne Tsunami. Pour le label Sémic manga, nous allons éditer le More how to draw manga pour la mi-2004, une collection qui va se développer en même temps que Les nouveaux mangaka (des art-books de jeunes auteurs nippons et coréens, NDLR). Nous allons aussi éditer du manwha : la rencontre avec les Coréens à Angoulême, l’an dernier, nous a permis d’établir des contacts et de signer des titres. Nous nous intéressons aussi au comics de Sidekick, fruit d’une collaboration américano-japonaise. D’une manière générale, il est essentiel de bien faire comprendre au lecteur que nous sommes là pour mélanger les genres, les origines et les cultures. Qu’importe que l’on parle de comics, de manga ou de franco-belge, l’essentiel consiste à proposer une bonne histoire, et c’est ce que nous faisons.
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