JoJo’s Design Adventure

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JoJo’s Bizarre Adventure, c’est l’histoire terrible d’une lignée familiale impliquée dans une bataille incessante contre des forces vicieuses et pernicieuses. Cette bataille prend racine lors de la découverte d’un masque Aztèque (en 1868) qui, acheté des années plus tard par Lord Joestar, provoquera un drame familial. Ce drame traverse les décennies et se poursuit jusque dans le futur (2012). L’héroïne actuelle étant de la même lignée que Lord Joestar et se nomme Jolyne Kujô. Soixante-quatorze volumes sont déjà parus au Japon, 6 en France (à l’heure où ces lignes sont écrites). Pour clore notre dossier JoJo’s Bizarre Adventure (Cf. AnimeLand 83 p. 96-99, JoJo’s Design Adventure) nous avions jugé nécessaire de nous intéresser au graphisme polémique de ce manga et avions relatés l’existence de deux séries d’OAV. Elles ne reprennent qu’une partie du manga et c’est d’elles dont nous allons maintenant discuter, l’adaptation, le style graphique et la mise en scène.

Il existe 13 oav de JoJo’s Bizarre Adventure. La première série sortie en 1994 compte six épisodes, la seconde, qui en compte sept, a vu le jour en 2000. Ces deux séries se distinguent l’une de l’autre par le changement du studio d’animation (nom des deux studios + exemple de leur production) ainsi on remarquera que les premières oav disposent d’un character design proche de celui du manga alors que la deuxième série s’en éloigne. Outre ces rapides appréciations graphiques, il est à noter que ces séries d’oav sont sorties dans un ordre inhabituel. Rappelons que Jojo’s Bizarre Adventure est un manga long de 150 000 pages qui se divisent en six parties. Chaque partie peut être lue indépendamment des autres : la continuité du récit est relativement altérée. Or, la première série d’oav (dotée d’une bande son Italienne enregistrée chez LUCAS, Skywalker Sound) commence en plein milieu de la troisième partie du manga ! La deuxième série, que l’on attendait comme la suite de la première, attaque le début de la troisième partie du manga. C’est à n’y rien comprendre ! Pourquoi les productions ce sont-elles tournés vers l’adaptation de ces parties ? Nous allons essayer de le comprendre.

Adaptation graphique Adapter un graphisme pour de l’animation est une étape cruciale. Dans certains cas, l’adaptation graphique est anoblie, par exemple les adaptations de manga de TAKAHASHI Rumiko sont salutaires : Maison Ikkoku adapté par Akemi TAKEDA, entre autres. Il arrive, parfois, que l’adaptation graphique laisse à désirer : Slam Dunk. Pour JoJo’s Bizarre Adventure l’adaptation graphique des oav aurait pu être meilleure. Ce qui rendait hermétique dans le graphisme de JoJo’s Bizarre Adventure disparaît avec les oav. Pour qu’une adaptation graphique soit possible, il faut considérer plusieurs paramètres : est-ce que l’auteur de l’oeuvre est déléguée à un poste-clé de la chaîne de fabrication du dessin animé ? De quel budget dispose la production ? Que veut-on mettre en avant dans l’adaptation… Parfois on veut respecter scrupuleusement le graphisme original au détriment d’une animation médiocre. En d’autres occasions, on privilégie une animation fluide délaissant le style graphique de l’auteur. L’adéquation entre adaptation graphique et animation a connu certaines réussites notamment avec Vampire Hunter D. Le graphisme singulier de AMANO Yoshitaka trouve sous le crayon de KAWAJIRI Yoshiaki une adaptation relativement fidèle. Le graphisme de JoJo’s Bizarre Adventure, lui, se caractérise par une profusion de détails, d’angles de vue rares (même en BD) et de disproportions maniéristes. 40 à 60 % de ces spécificités graphiques, sont sabordées dans les oav. Les personnages sont reconnaissables certes, mais le délire sur la perspective est jeté aux oubliettes.

Dans cette partie du manga ARAKI Hirohiko atteint sa maturité graphique délaissant “la mode des muscles et de Hokuto no ken“. Il affine la silhouette de ses personnages, se concentre sur le drapé, la quantité des détails est moindre, le trait de contour moins lourd, le maniérisme des poses plus exacerbées. Alors, pourquoi le graphisme des oav est-il si proche de celui de la série de Hokuto no ken ? HAYAMA Ryôichi, qui a travaillé sur Ken le survivant (Hokuto no ken), est le character design de la première série d’oav, d’où le résultat. L’absence du maniérisme, perte majeure de la singularité du design de l’auteur, diminue le caractère “bizarre” du graphisme. La morphologie des personnages de ARAKI Hirohiko pose d’abord problème d’un point de vue économique : plus il y a de détails dans un dessin, plus son animation demandera du temps, donc plus d’argent. Ensuite le style évolue au fil des nombreux volumes, il faut alors assimiler les mécanismes de création pour rester, au possible, fidèle au style original. L’adaptation passera donc par une simplification des détails. Autre point crucial de Jojo’s Bizarre Adventure : la perspective. L’animation de perspective et ce qu’il y a de plus long en animation. Par exemple un simple travelling avant et c’est tout le décor qui doit être entièrement animé (si le budget ne le permet pas, on préférera un zoom). Violetta VASIC (Studio Carnitoons) relève que : “JoJo’s Bizarre Adventure n’utilise pas de la même manière les codes de mise en scène : le rôle de chaque case est important : elles influencent le lecteur : Comment en faire de même en animation ? Peut-être faut-il rendre les cases plus sombres, ajouter de long fixes – tensions- suspense… Peut-être faut-il en faire un peu plus ? Comme utiliser à profusion la perspective tiltée (ndlr. terme générique en animation qui signifie “de travers”) ? “ La couleur quant à elle respectera les choix de ARAKI Hirohiko qui se plaît dans des teintes saturées, vives, brutes, etc. Ce choix de couleurs disparaîtra dans la deuxième série d’oav au profit de teintes claires. Mais il n’en demeure pas moins que ces oav disposent de qualités indubitables comme la mise en scène.

Mise en scène

Si on ressent quelque déception pour l’adaptation graphique du manga, on appréciera le soin apporté à la mise en scène. La mise en pages de ARAKI Hirohiko a de l’impact : la forme des cases y est pour beaucoup tout comme le choix des fausses perspectives. En comparaison du montage cinématographique, l’impression de confusion obtenue par cette mise en page refléterait l’idée de ” mauvais raccord ” (couramment appelé Jump cut dans le jargon des monteurs, cette technique est souvent utilisée pour casser la monotonie de la narration classique). Est donc considéré comme mauvais raccord, un point de montage ” mal choisi ” quand la continuité du montage aboutie à un saut qui se “voit” : le spectateur sent que l’on passe d’une image (un plan) à l’autre avec maladresse. Dans le manga de JoJo’s Bizarre Adventure, c’est le passage d’une case à une autre qui produirait ce désagrément. Bien sûr ARAKI n’a rien inventé, mais son mérite est d’avoir su imposer ce style au sein de la plus grande industrie de BD au monde. Mais il est un point qu’on ne peut lui contester : le suspense. Cette façon dramatique de raconter une histoire trouve sa juste expression dans la mise en scène des oav de JoJo’s Bizarre Adventure. La question du temps est donc posée. Le “temps en animation” et le “temps en cases” n’est pas le même. Chaque lecteur vit à sa façon le temps qui s’écoule de case en case à la lecture d’un manga. Scott McCLOUD(1) a précisé à ce sujet que : “La forme des cases varie cependant considérablement et même si ces différences n’affectent pas les relations que les cases entretiennent avec le temps, elles ne sont pas sans incidence sur ce que lecteur ressent “. Lorsqu’il est question de cinématographie la durée d’une oeuvre est la même pour tout spectateur. Même si des liens de parenté sont évidents entre manga et anime, l’utilisation de la grammaire cinématographique diffère. Une action qui prenait une case dans le manga peut se découper en deux plans voire plus en anime….
Pour des questions de sens, l’histoire se raconte autrement : un personnage ou une situation peut être rajouté, un plan vu sous un angle sera repris sous un autre, les solutions ne manquent pas. Dans les oav de JoJo’s Bizarre Adventure, la mise en scène use de tous les procédés du suspense de façon optimum : étirement de l’action, coups de théâtre répétés… Le côté bizarre du graphisme est récupéré par le scénario.

Technique de mise en page & découpage technique

La mise en pages est au manga, ce que le découpage technique est au cinéma : organisé unités de temps et d’action pour raconter l’histoire. Que les mangaka se distinguent les uns des autres, grâce à un type de mise en pages propre, n’est pas toujours évident (même si on distingue des courants). À la limite il est possible d’observer une mise en pages particulière sur l’oeuvre d’un auteur : chez ÔTOMO par exemple, la mise en page de Dômu diffère nettement de celle d’Akira. ARAKI Hirohiko, lui, s’extrait du lot parce qu’il exagère l’éclatement de la mise en page au point que celle-ci ressemble à un puzzle. Cette déconstruction a longtemps été l’apanage du shojo manga ou même du Yaoi (en témoigne Zetsuaï d’OKAZAKI Minami) où la mise en page est portée à son paroxysme. Néanmoins Zetsuaï reste une lecture reposante : les cases sont suffisamment aérées et le graphisme reste facile à déchiffrer.

Fidélité du découpage ?

Dans la première série d’oav, quatre plans fonctionnent comme les planches du manga : cadrés sur fond noir, sont juxtaposés différents plans simulant les mises en page du manga à cinq reprises. De façon générale, ce type de plan montre la réaction des gros plans de visages stupéfiés. Ces deux plans reprennent le principe de la division d’écran (en trois ou quatre bandes verticales). Le deuxième et le quatrième plan font apparaître des cases avec des personnages réagissant à une action : la composition est alors proche de la mosaïque. Mais arrêtons nous sur le troisième plan. Cette division d’écran, en quatre bandes, n’est pas qu’une figure de style. Elle raconte la mutilation d’un personnage, lacéré par quatre traits. Le contre-champ en division d’écran montre également des réactions : celle des autres personnages. Sachant que HAYAMA Ryôichi a travaillé sur Ken Le survivant, on peut y voir un clin d’oeil à un épisode de la série. En effet, cette mise en scène n’est pas sans rappeler le tout premier combat de Reï dans la première série de Hokuto no ken. Il utilise sa technique de découpe, labourant les visages de bandits. L’un d’eux est griffé horizontalement, le plan suivant montre un décor d’immeuble se divisant horizontalement en autant de griffures laissées sur le visage du bandit. Ce plan qui se veut subjectif montre une des possibilités narratives que peut mettre en valeur ce genre de mise en scène. Le plan, divisé en quatre bandes, procède de la même intention que dans l’épisode Ken le survivant.

Un peu de technique : la marche

En animation, Borivoj DOVNICOVIC(2) explique la marche se définie principalement par les extrêmes (points principaux dans la phase d’animation) où le personnage touche le sol avec sa jambe avant. Mais quand une marche est particulière, il est obligatoire d’augmenter le nombre de ces phases. Ainsi Borivoj DOVNICOVIC rajoute qu’ “il faut sept dessin pour la marche sans souci, et 13 pour la marche à pas feutrés. Pour la claudication, les pas diffèrent entre eux : il faut sept dessins pour le mouvement de la jambe droite (la malade), tandis que pour la jambe gauche (l’indemne) il n’en faut que trois.” À en juger par la posture des personnages dans JoJo’s Bizarre Adventure, leur marche a tout sauf quelque chose de naturel. En animation, la marche est un mouvement de base qui prend aussi considération le balancement des bras. Dans JoJo’s Bizarre Adventure les personnages sont comme des mannequins pendant un défilé de mode. Imaginez un instant le travail à fournir pour animer une telle marche. De temps en temps, pourquoi pas ? mais tout le temps, il faut le budget conséquent. L’équipe de Sav the World ! (Molly Star Racer) a proposé l’analyse suivante : “Le problème est que ce genre de graphisme est compliqué à adapter, donc dur à animer.Pour l’animation des personnages, une solution serait de créer des posing forts et avec le moins d’intervalles possible. C’est l’option qui a été choisie dans Hokuto no Ken (design difficilement adapté en série) lorsque Ken frappe un type avec ses poings qui vont à toute vitesse.”

Soit on cherche à mettre au point ce qu’est la marche de ces personnages, soit on n’en tient pas compte. Option qui a été choisie par le réalisateur. Bien que les marches curieuses ne manquent pas dans l’animation : le cartoon en a exploré de multiples facettes et, côté Japon, on se souvient des acrobaties de Cobra, aux courses mémorables ; ou encore les marches caractéristiques de Lupin III. Mais dans un exemple comme dans un autre on remarquera que ces marches ont un côté humoristique. Aspect que le réalisateur de la série d’oav de JoJo’s Bizarre Adventure a probablement délaissé au profit d’une angoisse plus marquée. D’autant plus que l’humour s’exprime à travers le personnage de Polnareff. La marche en perspective fonctionne de quatre façons : la marche linéaire, la marche suivant une ligne courbe, la marche d’un personnage qui varie dans la profondeur de champ et celle qui, non seulement varie dans la profondeur de champ, mais change de niveau verticalement. Peut-être que la perte de naturel que l’on reproche à l’animation par motion capture trouverait avec JoJo’s Bizarre Adventure un véritable terrain d’expression. Pour l’adaptation du jeu 2D par Capcom le problème de la perspective ne se posait pas avec un graphisme plus proche du manga. Les animateurs ont opté pour une démarche gracieuse proche de celle des tops models.

Le budget alloué à l’adaptation de ce manga explique pourquoi tant de particularités graphiques se sont retrouvées dans JoJo’s Bizarre Adventure avec autant de fidélité qu’a pu le faire un KAWAJIRI Yoshiaki sur Vampire Hunter D. Les auteurs ont donc opté pour l’intensité dramatique plutôt que sur un graphisme chiadé qui aurait, certes, gagné en esthétisme, mais qui probablement aurait perdu en suspense. Le rythme dramatique dépendant de la variation du nombre de plans. Même si les qualités graphiques de ces adaptations sont en dessous du niveau de l’auteur, mal aisé sera celui qui s’ennuiera en les regardant. Au minimum il faut ainsi voir les deux premiers épisodes de la première saison.

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Walo