Kill Bill : le film puzzle

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Par Yvan WEST LAURENCE et Frédéric A.

Mais quelles bonnes surprises peut nous réserver un film américain qui nécessite
d’en parler ici ? C’est que Quentin TARANTINO connu depuis 1992 grâce
à Reservoir dogs, puis Pulp Fiction et Jackie Brown
auteur, réalisateur, parfois acteur (Desperado, From dusk till
dawn
), est un passionné des films asiatiques, façon arts martiaux, de dessins
animés japonais et de western-spaghetti. Et ce goût pour des films souvent
considérés comme secondaires dans le monde du cinéma, ressort en force dans
Kill Bill.

Un film puzzle

Le synopsis est des plus simples : Black Mamba (Uma THURMAN), une ex-membre
d’un groupe d’élite de tueuses appelé DIVA, le Deadly Viper Assassination Squad
(l’Escouade d’Assassins de la Vipère Mortelle), est violemment battue par ses
pairs et laissée pour morte le jour de son mariage. Quatre ans plus tard, celle
que l’on surnomme maintenant The Bride (« La Mariée ») se réveille de son long
coma, bien décidée à se venger. Elle va alors traquer et tuer ses anciens partenaires,
Bill son ancien patron étant la cible finale. Commence alors un périple
qui la mènera au Japon, pour obtenir une arme forgée par une ancienne relation
de son boss, mais aussi pour s’occuper du cas d’O-Ren, jouée par Lucy LIU (l’asiatique
des Drôles de Dames), devenue chef des Yakuzas et leader d’un groupe d’assassins,
connus sous le nom des Crazy 88.

La nouveauté de Kill Bill provient de la présence de combats essentiellement
féminins à l’arme blanche, art dans lequel excellent semble-t-il la plupart
des protagonistes. Inutile de le cacher d’ailleurs, puisque les médias se régalent
de la polémique, Kill Bill est un film d’une violence graphique excessive,
qui risque d’en choquer ou d’en lasser certains, et d’en réjouir d’autres. Il
y a du sang, beaucoup de sang ! Uma THURMAN démembre ou décapite ses adversaires,
sans le moindre remord, poursuivant une vengeance implacable, malgré les changements
survenus pendant ces quatre ans de coma.

La nouveauté provient aussi d’un format inhabituel, puisque Kill Bill
se divise en deux parties : la fin ne nous sera dévoilée qu’au printemps prochain.
Le décor de l’action est également décomposé en de multiples lieux, puisque
l’on passe par exemple des Etats-Unis au Japon.

Des références par dizaine

Pour qui connaît les mêmes outils de référence que Quentin TARANTINO, Kill
Bill
est un ensemble d’images, de symboles, de musiques, de costumes et
de noms de personnages qui en font un puzzle cinématographique, sans doute difficile
à appréhender dans son ensemble pour certains. Au jeu des références, citons
en vrac : le costume de Uma THURMAN inspiré de celui porté par Bruce LEE dans
son dernier film, Le Jeu de la Mort ; les masques des membres du gang
de O-Ren Ishii, identique à celui que portait Bruce LEE dans Le Frelon Vert,
série dont on pourra aussi entendre la musique du générique remixée ; certaines
musiques très largement influencées par les partitions western de Ennio MORRICONE,
tout comme certaines scènes inspirées de Sergio LEONE et ses célèbres western-spaghetti,
un genre qui lui-même doit beaucoup aux films de samouraïs ; les explosives
et gargantuesques gerbes de sang, marque de fabrique de la série Lone
Wolf and cub
; Elle Driver sifflant un air composé par Bernard HERMAN (compositeur
du thème de Psychose) pour le film Twisted Nerve ; les proverbes
Klingon issus de la série Star Trek ; à diverses reprises, un extrait
du générique de la série des années 70, L’homme de fer

Au final de ce premier opus, qui est en quelque sorte un long prélude aux événements
du second, TARANTINO nous offre un film de gangsters, de yakuzas, de kung-fu
et de samouraïs, mâtiné d’ambiance de western-spaghetti stylisée, et de culture
pop des seventies, tant par le visuel que la trame sonore (une grande partie
de la musique a été confié à The RZA, qui signe ainsi sa deuxième composition
pour film, après Ghost Dog, la voie du samouraï).

Arts martiaux

Cette pléthore de références ne fleure pas pour autant l’amateurisme. Les combats
à l’arme blanche ont nécessité la collaboration de spécialistes du cinéma de
Hong Kong, de grands noms qui ont participé aux films préférés de TARANTINO,
comme Yuen WO-PING (Tigre et dragons). Les comédiens ont été soumis
à des heures d’entraînement intensif chaque jours avant les tournages, qu’il
s’agisse de combats à main nue ou du maniement de sabres. Même David CARRADINE
(l’acteur de la série fétiche Kung-fu, qu’on ne voit que par morceaux
? une main, une paire de bottes ? dans ce premier film), qui pensait avoir un
avantage sur ses collègues, a dû s’y plier. Une équipe internationale composée
pour l’essentiel d’Américains, de Chinois et de Japonais a donc contribué
à la réussite des scènes filmées, chacun ayant amené son savoir faire respectif.

Techniques chinoises pour les combats, certes, mais les Japonais ne sont pas
oubliés, et notamment CHIBA Sonny. Vedette de films de sabre des années 70, co-fondateur
du JAC (Japan Action Club qui a formé tous les acteurs/cascadeurs de séries
comme Bioman ou encore X-Or), mais surtout maître de OBA
Kenji
(X-Or)… Dans le film, les deux acteurs campent respectivement
le rôle de maître (dans un rôle qu’il tenait déjà 30 ans auparavant : Hattori
Hanzo, un héros ninja de la série Shadow warriors) et élève. Sonny CHIBA est également le chorégraphe
Kenjutsu (l’art du maniement du sabre) du film, et son influence se
fait ressentir dans cette première partie résolument nipponne. Une actrice retient
également notre attention, pour avoir déjà participé à un film sanglant : KURIYAMA
Chiyaki, de Battle Royale. TARANTINO lui a réservé dans Kill Bill
le rôle d’une très jeune garde du corps d’O-Ren, en habit de collégienne. Elle
n’en est pas moins redoutable, dotée une arme qui a tout d’un yo-yo meurtrier.

Une animation estampillée I.G.

Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce sont les 7 minutes d’animation
insérées au quart du film. En plus des multiples références citées, le réalisateur
y ajoute en effet une inspiration anime.

Le personnage de Uma THURMAN, ankylosé par quatre ans de coma, se concentre
pour raviver ses muscles, et profite de ce moment de calme pour nous conter
le passé de sa première cible. Cette séquence animée nous plonge dans le passé
de O-Ren Ishii. À l’âge de 4 ans, cachée sous un lit, elle assiste au violent
massacre de ses parents par un chef yakusa. Puis, nous la retrouvons à 11 ans,
âge auquel elle profitera des tendances pédophiles du meurtrier pour l’approcher
et le tuer. Enfin, à l’âge de 17 ans, devenue assassin professionnel, nous assisterons
à l’un de ses contrats. Disons-le clairement : ces 7 minutes d’animation sont
d’une rare violence, s’insérant parfaitement dans l’ambiance générale du film.

Grand professionnel soucieux du détail, TARANTINO n’a pas fait appel à l’industrie
d’animation américaine, ni à n’importe quel studio japonais. Il s’est directement
adressé à l’un des plus grands, Productions I.G., devenu un pilier de l’animation
japonaise, grâce un catalogue de classiques tels que Ghost in the Shell,
Patlabor ou Jin-Roh.

Le character design a été confié à TAJIMA Sho (Multiple Personality Detective
Psycho
), et ISHII Katsuhito (Party 7, Piroppo). Deux réalisateurs
se sont partagés la tâche de nous conter la dramatique enfance de O-Ren Ishii
: NAKAZAWA Kazuto (character designer sur El Hazard) et NISHIKUBO Toshihiko
(vice-président de Production I.G.).

La séquence, en animation purement traditionnelle, est de très belle facture.
Elle n’est pas sans rappeler le court-métrage Kid’s Story de Animatrix,
qui présente des similitudes graphiques. Le montage est dynamique, surtout durant
les premières minutes ; la caméra semble en mouvement permanent, et l’animation
des personnages utilise le principe de contours tremblants, faisant écho à l’agitation
de la scène et à l’excitation des assassins au cours de leur triste besogne.

Animatrix like ?

Cette séquence s’intègre parfaitement dans le récit. Flashback des origines
d’une chef yakusa, l’utilisation d’un anime apporte une saveur particulière
au film de TARANTINO. Tout en ajoutant un nouvel élément référentiel, ce choix
se révèle de circonstance pour plusieurs raisons. La première est de pouvoir
ainsi contourner la censure, qui n’aurait certainement jamais permis la diffusion
de cette scène en format live sans un classement trop restrictif.

La seconde est bien sûr de nature culturelle. Quoi de plus normal que de raconter
la jeunesse d’une Japonaise par le biais d’un dessin animé dans le plus pure
style anime? Cette intégration est d’ailleurs une première en ce qui concerne
l’animation japonaise, au sein d’un film tourné en live et américain de surcroît.
Le réalisateur a voulu cette animation comme un élément essentiel de la dynamique
du film. Et, à l’instar des frères WACHOWSKI et de leur Animatrix,
TARANTINO envisagerait de poursuivre son exploration du monde de Kill Bill

Des rumeurs courent en effet en ce moment sur un projet de deux suites animées (probablement
basées sur les enfants des protagonistes) et un flashback (qui nous éclairera
sur le passé de l’héroïne, Black Mamba/The Bride). Et malgré tout le secret
entourant le second volume de Kill Bill, il est de plus en plus certain
que nous aurons droit à une ou plusieurs autres séquences animées (dont une
concernant le passé du personnage de Vivica A. FOX, Copperhead).

En bref…

Quentin TARANTINO est probablement le seul réalisateur américain à pouvoir se
permettre un mélange aussi osé de genres cinématographiques populaires, d’accumuler
toutes sortes de clichés et d’influences disparates, sans tomber dans la récupération
grossière propre à satisfaire un public gavé de pop corn. Au contraire, il maîtrise
avec brio l’agencement de styles d’origines diverses au profit de références
subtiles et précises, pour un résultat finalement plus proche du film d’auteur
que du simple film de violence extrême.

Kill Bill est une oeuvre qui mérite bien plus d’attention et de respect
que les récentes tentatives d’Hollywood, en matière de films d’action lorgnant
de façon malsaine vers les productions asiatiques. Bien sûr, il nous faudra
attendre Kill Bill volume 2, prévu pour le printemps 2004, pour pouvoir
juger l’oeuvre dans son intégralité.

Kill Bill volume 1, de Quentin TARANTINO, sortie dans les salles françaises
le 26 novembre 2003.

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