Suivre la série Kyoko Karasuma – Inspecteur à Asakusa, c’est un peu comme se rendre dans un bon resto’ où le dîner tournerait mal. Après une entrée soignée, consistante, procurant un vrai plaisir à chaque bouchée, le dessert, léger, se fait attendre (1 an de pause entre les tomes 8 et 9 !). Et, pour finir, le café se révèle plutôt fade.
L’histoire
Se déroulant dans un Japon futuriste (aux environs de 2050) mais pas forcément dépaysant, l’intrigue nous fait suivre le quotidien de Kyoko Karasuma, la nouvelle policière au sang mi-humain, mi-Oni. Car les Oni, ce peuple issu des légendes japonaises, vivent avec les hommes. Secrète, l’existence de ce peuple se révèlera peu à peu, la faute à de violents agissements de la part de certains. Alertée, Kyoko va alors mener l’enquête sur eux et sa propre nature…
Une qualité crescendo
Voilà une base certes classique, mais qui mûrit. Ainsi, le clivage Oni/humain prend la forme d’affrontements physiques, mais aussi politiques. Entre un ministre bousculé par la pression d’une frange de la population ou les revendications nationalistes des Oni, l’histoire gagne en épaisseur. Le passif des différents protagonistes est aussi source de curiosité. Vieilles blessures de guerres, amitiés gâchées, acte regrettés… Les personnages ne sont pas tout blancs et les luttes intestines nombreuses. Voir ce petit monde évoluer dans un univers fragile, loin d’un manichéisme redondant, constitue une vraie plus-value pour ce titre pourtant clairement orienté action.
A coup de gunfight ou de combats rapprochés, les affrontements, nombreux, sont réussis. Dynamiques et bien découpées, les scènes d’action savent suffisamment se renouveler. Un travail que l’on doit à Yûsuke Kozaki. Le mangaka, déjà vu au design de Speed Grapher (Gonzo, édité par Déclic Image) et du jeu No More Heroes, maîtrise son sujet. Classieux, presque froid, son style bascule avec aisance dans le bestiale quand la violence est sans retenue.
Faire monter peu à peu la pression, voilà d’ailleurs la force du récit. Les enjeux se font de plus en plus grands, et Kyoko essuie plus d’une défaite. La qualité de la série atteint même son point culminant avec les tomes 6 et 7. Concluant la première des deux parties, ces volumes, épiques et nerveux, constituent la meilleure vitrine de l’œuvre.
Un effondrement coupable
La suite s’avère moins glorieuse. En effet, si la première partie s’étalait sur 7 tomes, la « Saga Kyoko », comme l’appel l’éditeur, ne recouvre « que » 3 tomes. Précipités, les évènements n’affichent aucune grandeur ni intensité. Frustrant et dommageable car il y avait matière à faire. Les clans Oni affichaient leur discordes, un nouveau ministre de l’intérieur (nationaliste) se faisait élire, et une belle palette de personnages arrivait, notamment le fringuant Goburi. Des pistes qui resteront malheureusement inexploitées. L’histoire va « éliminer » d’un trait tout le monde, sans nous émouvoir. Pire, certains seront simplement zappés (Mais où est passé le serviteur d’Uchida, puissant, mais qui délaisse son maitre lors de l’ultime affrontement ?).
Le poids de la politique s’efface peu à peu, pour laisser les armes faire couler le sang, avec plus ou moins de cohérence (les rapports de force ne sont pas logiques). Vient alors la valse des aspects passés à la trappe : Kurata a passé des mois à traquer son ennemi et devient un légume après fois l’avoir terrassé. Quid de la mort de Rikei, l’homme qui avait tout manigancé ? Et les sentiments de Goburi envers Kyoko ? Uchida, véritable prodige, se fait berner bien trop facilement. Enfin, les retrouvailles entre Kyoko et sa mère sont d’une mollesse sans nom. Même Yûsuke Kozaki apparait moins inspiré, sauvant la mise par un flash-back teinté de polar sombre, narrant le passé de la mère de Kyoko.
Fort heureusement, le titre s’exonère d’un happy end total. On retiendra donc de Kyoko Karasuma son graphisme séduisant, son côté lutte politique et ses affrontements réussis. Autant d’atouts gâchés par une fin hâtive, écartant bien trop de points qui, exploités, auraient fait de ce bon seinen, un très bon seinen.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.