Il n’y a pas si longtemps, nous guettions avec impatience ce qu’on appelait alors, avec une sorte de respect et d’admiration, le « nouveau Disney ». Et nous pouvons dire que des surprises, nous en avons eu depuis le début du siècle : Blanche-Neige et les sept nains, Pinocchio, Le Livre de la Jungle, Peter Pan, ou plus près de nous, La Belle et la Bête, Le Roi Lion, Tarzan. Disney était synonyme de rires, d’aventures et de magie. Or, il faut reconnaître que la magie a disparu depuis plusieurs années.
À vouloir toucher un public plus large et masquer un manque flagrant d’originalité scénaristique par des tentatives de renouvellement de sujet, Disney s’est tiré une balle dans le pied. La décision est prise : l’avenir du cinéma est à la 3D, oublions la 2D. Cette dernière survivra grâce aux sorties directes en vidéo, dont le calendrier semble chargé en suites (dont Mulan 2 et Tarzan 2).
Bovine oeuvre testamentaire
Mais revenons à notre bovine oeuvre testamentaire. L’histoire de Home on the range (titre original) prévoyait pourtant un récit enlevé et quelques péripéties sympathiques : nous voici transportés dans le Grand Ouest américain. Unique rescapée d’un vol de bétail qui oblige son propriétaire à vendre sa ferme, Maggie, une vache rondouillarde à la langue bien pendue, rejoint les occupants de la ferme de Pearl, une brave paysanne. Malheureusement, cette dernière se retrouve elle aussi devant un problème : il lui reste trois jours pour payer une dette de 750$.
Afin d’éviter la vente de sa ferme, Maggie décide de se lancer dans un plan surprenant : capturer Alameda Slim, un rusé voleur de bétail, et empocher la récompense. Accompagnée de deux autres vaches de la ferme de Pearl – la moralisatrice Miss Calloway et l’enjouée Grace -, Maggie part à l’aventure. Mais Rico, un vrai chasseur de primes, est lui aussi à la poursuite de Alameda Slim, tout comme Buck, le cheval du shérif, qui rêve de gloire. Ajoutons un lapin unijambiste, deux bisons qui jouent les durs, et des cochons karatéka, et nous obtenons un cocktail en apparence relevé, mais malheureusement sans saveur.
La chevauchée pathétique
À l’instar de Frère des Ours, La Ferme se rebelle se veut un retour aux sources, rappelant par certains côtés Les Aristochats ou Bernard et Bianca, saupoudré d’un humour et d’une réalisation proches de Hercule ou Kuzco, avec – cerise sur le gâteau – une séquence psychédélique lorgnant du côté d’Alice aux pays des merveilles. Et c’est là que le bât blesse : on a l’impression d’assister à une piètre tentative de mélange de styles destiné à reconquérir un public lassé.
Comme si les réalisateurs Will FINN (animateur pour Aladdin, scénariste pour Pocahontas) et John SANFORD (scénariste de Mulan et Atlantide l’empire perdu) avaient voulu nous montrer en un film les différents styles adoptés par les studios Disney en 70 ans. Ce qui donne un produit immanquablement bancal. Les personnages sont stéréotypés, les gags sans relief – quand ils ne sont pas à la limite du graveleux. Au niveau technique, le strict minimum a été assuré. Entendons par là que l’animation est parfaite – ce qui est normal pour un long métrage Disney -, mais sans aucune trace de performance réelle.
On retrouve ainsi un style très Looney Tunes (similaire à celui de Kuzco), nous ramenant aux années 40 – période difficile des studios Disney, qui devaient alors faire face à un exode massif de son personnel vers les studios de son rival Warner Bros.
Même le compositeur Alan MENKEN nous livre un travail décevant, par rapport à ses bijoux réalisés pour La Petite Sirène ou La Belle et la Bête. Du côté doublage, les Américains, fidèle à leur politique de marketing mettant en avant des vedettes, ont misé sur Roseanne, Judi DENCH (« M » dans les derniers James Bond) et Cuba GOODING Jr (Jerry Maguire) pour donner voix aux personnages. En France, elles sont assurées par Marie Vincent, Claire KEIM et l’humoriste québécois Anthony KAVANAGH.
Et pour quelques dollars de plus
Sans imagination, doté d’un humour tantôt aussi léger qu’un poussin, tantôt aussi lourd qu’un bovin, La Ferme se rebelle aurait mérité une sortie directe vidéo, afin de laisser le titre honorifique de « Dernier Disney » au plus méritant Frère des ours (lire notre critique). Mais d’où vient donc cette impression de travail bâclé ? Le co-réalisateur Will FINN a expliqué que la production leur avait laissé les mains libres, mais, qu’en contrepartie, elle exigeait une sortie rapide. Probablement l’un des facteurs d’échec du projet, tant sur la forme que dans le contenu.
L’alchimie parfaite (intelligence, respect, qualités artistiques et scénaristiques) du Roi Lion ou, plus récemment, du Monde de Nemo ne semble plus de mise chez Disney. Il est évident que cette compagnie a perdu la formule magique qui lui permit d’asseoir sa réputation. Jadis, une personne comme Chuck JONES, Tex AVERY, ou DISNEY lui-même, aurait conçu, sur cette histoire, un court métrage vif et percutant. Avec ses 76 minutes, La Ferme se rebelle s’étire paresseusement, et risque d’ennuyer autant les enfants que les parents. Preuve faite sur le territoire américain où le film, sorti en avril, a été plutôt boudé(1). En conclusion, un produit sans âme, probablement le reflet de la situation difficile que traverse l’ancien géant de l’animation. Mais ne soyonspas trop fatalistes : Disney semble décidément avoir du mal à décrocher de la 2D, ainsi nous annonce-t-on un nouveau Fantasia pour bientôt. Peut-être aurons-nous droit cette fois à un dernier spectacle méritant ?
La Ferme se rebelle, sortie dans les salles françaises le 28 Juillet 2004.
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