Les psychologues ayant une influence grandissante dans notre société tant sur le corps professoral que sur les chaînes de
télévision ou encore les associations de parents, il nous a semblé indispensable de rencontrer son auteur. Ce fut aussi pour nous l’occasion d’éclaircir quelques points litigieux.
Animeland : A la lecture de ce livre on est assez surpris de constater qu’il ne s’agit pas de la psychanalyse des dessins animés, mais plutôt de l’impact de ceux-ci sur la petite enfance. Avez vous voulu par ce titre faire référence à l’ouvrage Psychanalyse des contes de fées de Bruno BETTELHEIM ?
Geneviève DJENATI : En fait le titre n’est pas de moi, il a été choisi par l’éditeur qui souhaitait effectivement que celui-ci fasse référence à La psychanalyse des contes de fées, mais aussi à La psychanalyse des bandes dessinées. Personnellement j’avais choisi Ca cartoon sur le divan qui faisait à la fois allusion au divan du psychanalyste et à celui ou l’enfant regarde des dessins animés.
AL : Comment vous est venue l’idée de ce livre, est-ce là aussi une proposition de l’éditeur ?
G.D. : En fait, à l’université, je supervise des mémoires sur l’imaginaire des enfants, et c’est grâce à une amie que j’ai pu prendre contact avec l’éditeur, qui cherchait quelqu’un pour traiter ce thème. C’était également pour moi le moyen pour parler de l’enfance face aux images. Ce livre est surtout destiné aux parents qui souhaitent un support de réflexion sur ce qu’ils transmettent à leurs enfants. Pour me renseigner par rapport au dessin animé, j’ai eu l’occasion de rencontrer entre autres Michel OCELOT le réalisateur de Kirikou et la sorcière, Thierry SOREL de Canal J, Samuel LEPASTIER qui est un psychanalyste très médiatisé qui a travaillé beaucoup sur les effets de l’image.
AL : Il est surprenant à la lecture de ce livre de constater que selon vous un enfant ne distingue pas réalité et fiction. C’est d’autant plus surprenant que le graphisme sépare la réalité de la fiction contrairement aux films “live”. Sur quoi basez-vous ce constat, et surtout à partir de quel âge pensez-vous qu’il n’y a plus d’amalgame ?
G.D. : En fait plus l’enfant est jeune et moins il distingue son monde interne du monde externe. Par exemple, si sa mère est en retard pour le biberon, l’enfant va dans un premier temps “halluciner” le biberon en tétant dans le vide, puis lorsque la faim sera trop forte il va hurler car l’imaginaire ne peut palier ses besoins physiques. Petit à petit en grandissant la distinction entre réalité et imaginaire se fait, cependant l’amalgame peut continuer à exister notamment lors des cauchemars que font certains enfants. Ces cauchemars les réveillent, pourtant ils continuent à avoir la certitude que les événements arrivés dans leurs rêves se sont vraiment passés. Même si vers 4 ans ce genre d’amalgames est moins fréquent, la frontière imaginaire/réelle reste fragile. A cet âge où le complexe oedipien est latent, le petit garçon peut souhaiter que son père disparaisse. Le problème, c’est que si cela arrive, réellement au travers de la mort du père ou de son départ par exemple pour cause de divorce, l’enfant va s’imaginer alors que ce qui arrive est sa faute parce qu’il l’a souhaité. Cette confusion entre la réalité et ce qu’il s’imagine peut entraîner un traumatisme profond.
AL : Pour illustrer vos propos, vous aviez cité l’exemple de l’enfant qui voulant imiter Superman s’est jeté dans le vide du haut d’un immeuble. Ne pensez-vous pas que c’est plutôt les films de Superman et non la BD ou le DA qui ont généré son comportement ? Ne peut on pas penser en fin de compte que le film étant plus réaliste, l’enfant n’a plus la barrière du graphisme pour l’aider à dissocier fiction et réalité ?
G.D. : A dire vrai, je n’avais pas vu les choses sous cet angle là. Dans ce cas précis, cela peut se discuter, il est tout à fait possible que vous ayez raison et que ce soit plutôt le film avec acteurs qui ait joué un rôle dominant dans le passage à l’acte de cet enfant. De toute évidence il s’agit sûrement d’un cas pathologique. Cependant, il ne faut pas sous estimer le pouvoir de l’image. Serge TISSERON auteur du livre : Enfants sous influence a fait une étude sur les adolescents. Il ressort de cette étude que ce qui angoisse le plus les jeunes sont les actualités télévisées et … les dessins animés. Je pense que cela peut s’expliquer par le lien étroit qu’entretient l’enfant avec l’image dessinée. Un enfant lorsqu’il fait des dessins, il se raconte une histoire, il anime le dessin dans sa tête, lorsque les dessins sont formés de plusieurs éléments sans lien, les un à coté des autres, c’est un élément de diagnostic. Les dessins animés touchent donc quelque chose de très profondément ancré dans notre inconscient. Il correspond à quelque chose de souhaité très fort : faire bouger les images. Malheureusement lorsque l’on est déséquilibré ou fragile, les dessins animés peuvent alors être néfastes, aggravant l’état de confusion de celui qui les regarde.
AL : Les parents peuvent-ils limiter ce genre de débordements, quelles doivent être leur attitude et leur rôle ?
G.D. : Trop souvent, les parents ne remplissent plus le rôle d’accompagnateur qu’ils avaient lorsqu’ils racontaient ou lisaient une histoire à leurs enfants. En effet l’enfant sait très vite se servir de la télécommande de la télé ou du magnétoscope, il n’a donc plus besoin des parents pour qu’on lui raconte une histoire. Malheureusement beaucoup de parents se complaisent dans cet état de fait et transforment la télévision en baby-sitter tout en la montrant du doigt et la rendant responsable de tous les maux de la société. La télévision n’a pas pour rôle d’éduquer leurs enfants à leur place, tout comme l’école ne peut pas à se substituer au rôle éducatif des parents. Lorsque les parents lisaient une histoire, ils n’avaient pas qu’un rôle de conteur comme le magnétoscope, ils remplissaient sans en avoir toujours conscience plusieurs autres rôles. Tout d’abord le fait de choisir l’histoire à raconter est déjà un rôle parental. Ils se devaient de connaître le contenu et vérifier si l’histoire était en adéquation avec l’âge de l’enfant et les valeurs que l’on veut lui inculquer. Peu de parents se demandent si les dessins animés que regardent leurs bambins correspondent bien à la tranche d’âge qui est la leur. A leur décharge, il est vrai que les chaînes de télé ne leur facilitent pas non plus la tâche. Il serait souhaitable qu’avant le début de l’épisode l’on précise quel est l’âge minimum requis pour le dessin animé qui va être diffusé. Mais le rôle des parents ne se fait pas qu’en amont. L’avantage du conte, c’est qu’ils connaissaient l’histoire et par conséquent pouvaient répondre aux questions que se posent les enfants face à celle-ci. Les parents doivent dans la mesure du possible regarder les dessins animés avec leur progéniture et surtout rester à l’écoute des enfants une fois que le dessin animé est terminé. Car c’est bien au travers de la discussion avec les adultes qu’ils peuvent progresser. Cependant je trouve que le DA au contraire de la BD rendent l’enfant passif, par exemple lorsqu’on nous raconte une histoire où que nous en lisons une, nous recréons et animons les personnages de ce monde imaginaire. Les DA à succès comme Blanche neige nous imposent le visuel du personnage, si bien qu’il nous est impossible par la suite d’imaginer une Blanche neige autre que celle du film de Disney.
AL : Beaucoup des séries télévisées d’animation semblent tendre vers une simplification de leur scénario au point de n’avoir qu’un seul niveau de lecture. Ne croyez-vous pas qu’il est possible de tirer vers l’avant un enfant même avec un DA où il ne comprend pas toutes les subtilités où tous les enjeux. Par exemple dans Les Aristochats les plus jeunes ne comprennent rien aux problèmes d’héritages, ou encore à la satire de notre société opposant aristocratie et petit peuple. Pareillement dans Albator les plus jeunes se sont sûrement contentés des combats spatiaux sans comprendre la raison pour laquelle la Reine Sylvidra à la tête de plus d’un million de vaisseaux avait intérêt pour des raisons politiques de laisser Albator en vie. En tout état de cause, cela ne les a pas empêchés d’apprécier ces deux séries.
G.D. : Il est effectivement tout à fait souhaitable d’avoir plusieurs niveaux de lecture, un des autres avantages, c’est que cela rend le programme beaucoup plus familial. Visionner des dessins animés avec les enfants n’est par conséquent plus un effort pénible. Cela favorise donc les échanges entre parents et enfants.
AL : Dans votre livre on a parfois l’impression que vous prônez un mode de fabrication standard du dessin animé où toute émotion de tristesse et toutes les scènes dures seraient à proscrire.
G.D. : Je ne crois pas avoir dit ça, mais peut-être me suis-je mal exprimé. L’émotion même triste doit exister, elle permet à l’enfant de s’extérioriser, elle est donc souhaitable tout dépend de la tranche d’âge visée et de la forme que revêt cette tristesse. Par exemple je pense que la mort ne doit pas être un sujet traité avant 8 ou 9 ans. Mais la tristesse peut-être évoquée sous la forme de l’absence, notamment l’absence de la mère et c’est pour cette raison que je trouve que le dessin animé Marcelino destiné au 4-6 ans est inadapté à cette tranche d’âge. Même si Dominique POUSSIER (directrice des programmes jeunesse de TF1, voir son interview) m’a assurée qu’à la fin il retrouve sa mère, je trouve inquiétant pour un jeune spectateur d’attendre si longtemps et par ailleurs, l’histoire se perd en digressions qui n’ont pas de rapport avec la très forte problématique de départ, et font dans ce cas désinvestir le déroulement de l’histoire.
AL : L’émotion de tristesse n’est-elle pas un facteur qui génère la réflexion ? A force de vouloir surprotéger les enfants en censurant les scènes dures ne risque-t-on pas de biaiser le message comme ce fut le cas pour Nadia le secret de l’eau bleue, notamment la scène de la mort de Fet le mécanicien ?
G.D. : L’émotion peut effectivement être source de réflexion, dans le cas de Nadia que vous venez de citer, on aborde outre le problème de la mort, celui du sacrifice et du don de soit. Ce sont à mon avis des choses qu’on ne peut aborder lorsque l’enfant a moins de 9 ans. Mais en effet, on a trop tendance à surprotéger les enfants, et dans ce cas, le fait de censurer en enlevant le moment où face à la mort imminente, Fet panique est finalement peu profitable à l’enfant qui perdra ici l’occasion de réfléchir en acceptant sa mort comme une fatalité ou pire encore, une évidence. En juxtaposant le discours noble “je suis heureux car mon sacrifice va servir à quelque chose” avec la scène où il hurle qu’il ne veut pas mourir cela met l’enfant en porte à faux et pour pouvoir “digérer la situation”, il va après la fin de l’épisode se mettre dans le rôle de chacun des protagonistes ( le Capitaine Nemo, Nadia, Fet…) pour essayer de comprendre pourquoi il n’y avait pas d’autre solution. Cela lui permet donc de réfléchir donc de mûrir. Mais attention, tout est une question de dosage. Dans le cas de Nadia, cela peut marcher parce que la série n’a pas que quelques épisodes tristes. S’il n’y avait que des épisodes aussi durs, cela peut être traumatisant. L’avantage d’avoir quelque fois des fins qui sont autre chose que des “happy end” permet de mettre le doute chez l’enfant. Les séries qui se veulent intéressantes s’appuient sur le doute et le suspens, car il ne sera plus jamais sûr que l’épisode ne se terminera pas mal, même si 90% d’entre eux se terminent bien.
AL : Vous avez très durement critiqué Dragon Ball Z notamment au travers d’une expérience qui consistait à montrer à une classe d’enfants ayant environ 8 ans une OAV “Le père de Sangoku”. Le choix de l’épisode nous a semblé discutable sachant que DBZ se destine surtout à un public pré-adolescent voir adolescent. De plus le thème de cet OAV étant l’éradication d’une planète entière nous semble, avant même tout constat, un choix contestable. Vous auriez pu aussi montrer n’importe quel film d’horreur et dire que c’est néfaste aux enfants. Etait-ce pour dénigrer une fois de plus cette série que vous aviez fait cette expérience ? De plus il est étonnant qu’il n’y ait pas eu d’échantillon témoin.
G.D. : Il n’y a pas d’échantillon témoin parce que c’est la dimension clinique et non l’expérience scientifique que j’ai privilégié même si cela peut m’être reproché. En ce qui concerne Dragon Ball Z mon objectif n’était pas de “casser” cette série. Certes je vous mentirais si je vous disais que je connais bien la série, je l’ai découverte au travers du travail d’une de mes étudiantes qui avait analysé sont contenu. Le but de cette expérience était d’analyser l’impact néfaste que peut avoir cette série sur de jeunes enfants qui pouvaient acheter cette cassette pour deux euros. Je voulais faire comprendre aux parents que ce n’est pas parce que leurs enfants regardent un DA que c’est sans conséquence sur eux. C’était une mise en garde pour que les parents prennent conscience du rôle de sélection qu’ils doivent avoir. La meilleure preuve du danger que représente cette série c’est qu’elle a été interdite par le CSA.
AL : Justement vous en parliez dans votre livre, or le CSA n’a aucun pouvoir de censure, il peut mettre des amendes aux diffuseurs, mais en aucun cette série n’a été interdite. L’arrêt de DBZ sur TF1 est essentiellement dû au conflit entre AB production et TF1, AB cherchant à attirer sur sa chaîne satellite de nouveaux clients, c’est pour cette raison qu’elle diffusait en exclusivité ses nouveaux DA dont les derniers épisodes de DBZ. Cette démarche n’ayant pas plu à TF1 le contrat n’a pas été renouvelé. Ce qui n’a pas posé de problème à TF1 qui voyait l’audience du Club Dorothée décroître et préparait depuis longtemps une nouvelle formule jeunesse avec leur propre stock de DA. G.D. : Je ne savais pas tout cela. Les documents qui m’ont servi pour préparer mon livre avaient pourtant dit que le CSA a interdit DBZ, j’ai peut-être mal interprété les propos de Sophie JEHEL, je vérifierai. Cependant je maintiens que cette série peut être une source d’angoisse importante pour l’enfant, autant au travers de l’impact auditif, des bruits violents comme les déflagrations, que des images qui par une succession très rapide peuvent perturber. Les personnages foncent vers l’écran créant un mouvement de recul chez les plus jeunes qui sont impressionnés. Je ne pense pas qu’il faille enlever tout ce qui fait peur des DA, mais juste connaître l’état d’esprit de l’enfant qui le regarde et surtout son âge. Par exemple sur DBZ, l’approche frontale rapide que nous venons d’évoquer est très perturbante pour les jeunes, c’est très facile à repérer avec les bébés qui au visage d’un étranger les approchant de face sont effrayés. Il faut les aborder de profil et attendre qu’ils tournent la tête. C’est pourquoi je trouve Kirikou et la sorcière très adaptée aux plus jeunes car les personnages sont souvent de profil.
AL : Vous faites très souvent référence à ce dessin animé, au point que parfois, on a l’impression que vous êtes un peu parti pris, notamment lorsque vous critiquez Pokemon. Par exemple vous citez que c’est perturbant pour les enfants de voir Sacha agir comme un adulte, alors que paradoxalement lorsque Kirikou agit comme un adulte, et même parfois de façon plus mûre et réfléchie qu’eux, cela vous semble normal.
G.D. : Il y a une différence fondamentale entre Sacha et Kirikou, c’est la taille ! Sacha a un statut ambigu de part sa taille et surtout l’absence de parents. Kirikou est un bébé qui pose des questions comme n’importe quel enfant, il n’y a pas d’ambiguïté sur son statut. De plus, le savoir et les réponses aux questions qu’il se pose viennent des adultes, mère, villageoises où grand-père. Il n’y a pas dans ce film de remise en cause de l’autorité parentale. Dans Pokemon la Team Rocket incarne l’adulte. Le problème est le même que pour la série Angéla Anaconda, on a une image de l’adulte caricaturée et dénigrée au travers de ces personnages. Je pense qu’on ne doit pas enlever l’autorité aux parents, le fait qu’un adolescent puisse vaincre la Team Rocket donne l’impression aux enfants qu’ils doivent être plus forts que les adultes donc que leurs parents. Cet état d’esprit où l’enfant ne peut compter que sur lui-même n’est pas sécurisant.
AL : Cette vision peut sembler un peu réductrice pour des connaisseurs de la série. Tout d’abord on retrouve un certain nombre de personnages adultes positifs redondants: l’agent de police Jenie, l’infirmière Joëlle ou encore le professeur Chen qui distribue son savoir et aide Sacha à mûrir lorsque celui-ci lui pose des questions. De plus contrairement à ce que vous dites dans votre livre, Sacha a une mère, qui apparaît de temps en temps dans la série.
G.D. : C’est vrai. Mais elle apparaît très peu et est caricaturale. Ce que je constate dans mon cabinet, c’est que certains enfants me font la remarque que Sacha n’a pas de mère, c’est qu’ils n’ont donc pas compris qu’elle existe, ou alors qu’elle est trop absente à leur yeux. La force de Kirikou et la sorcière, c’est que Michel OCELOT a fait un film “pour l’enfant qu’il était lorsqu’il avait 10 ans”. Beaucoup de réalisateurs et de producteurs portent malheureusement un regard d’adulte sur leur produit. Michel OCELOT a dû se battre avec son producteur pour imposer la scène du grand-père. Pourtant cette scène est primordiale. Le grand-père est l’image rassurante de l’adulte, il incarne le savoir et la sagesse, il est celui sur qui l’on peut compter (Kirikou peut se reposer dans ses bras).
AL : La lecture du livre nous donne parfois l’impression que vous caricaturez le DA, notamment lorsque vous dites qu’il est très facile de reconnaître l’origine d’un DA à son style. C’est plutôt étonnant compte tenu des influences réciproques transnationales qui influencent les réalisateurs ?
G.D. : C’est effectivement de moins en moins vrai. Le livre était déjà paru lorsque je me suis fait la remarque.
AL : Puisque nous parlons de parution, avez-vous d’autres projets en cours ?
G.D. : Oui je suis en train de préparer un livre qui s’intitulera sûrement : Le prince et le héros . Ce livre a pour objet d’analyser ce que les femmes attendent des hommes et ce que les hommes croient que les femmes attendent d’eux.
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