Bien qu’étant à l’origine un manga daté de 1972, La Rose de Versailles est connu en France sous le titre Lady Oscar grâce à la série télé de DEZAKI et SUGINO de 1979 en 40 épisodes. L’adaptation française fut heureusement de qualité et laissa un souvenir impérissable à plus d’un spectateur. L’histoire intéressa même notre Jacques DEMY national (Les parapluies de Cherbourg) qui en donna sa propre vision dans un film live justement nommé Lady Oscar.
La lecture de La Rose de Versailles risque de surprendre le lecteur. Il y découvrira un récit dense, ambitieux et, semble-t-il, pas si éloigné que cela de ses cours d’histoires. La raison en est simple : IKEDA Ryoko a repris presque telle quelle, la biographie que Stephan ZWEIG a consacré à la reine Marie-Antoinette. ZWEIG est un romancier autrichien qui a écrit son ouvrage en 1932 dans une Europe de l’est secouée par des crises nationalistes profondes (HITLER prenant le pouvoir en Allemagne en 1933). Bien que profondément opposé aux thèses nazies, le romancier a à coeur de défendre « sa reine » qu’il estime décriée par l’histoire. Son livre constitue de fait une hagiographie brillante -écriture excellente et récit parfaitement maîtrisé- mais idéologiquement marquée. Ainsi, si ZWEIG livre un vrai travail d’historien (interrogation constante des sources, souci du détail, prise en contexte du contexte de l’époque), il ne peut se défendre d’un très fort parti pris. Sous sa plume, Marie-Antoinette devient une reine de tragédie, emportée par le tourbillon de l’histoire, qu’il défend bec et ongle, trouvant sans cesse des excuses à son attitude légère et à ses erreurs. C’est ce qui explique que le manga soit si bien écrit et construit. IKEDA Ryoko a tout simplement traduit le texte de Stéphane ZWEIG en images. Elle ne semble pas, d’ailleurs, avoir interrogé d’autres sources, ni même cherché à vérifier la véracité des analyses de l’auteur. De plus, on peut imaginer que la fascination de l’écrivain pour la reine l’arrange bien, lui offrant toutes les cartes pour écrire une véritable tragédie sur papier (voir à ce sujet les multiples références à la tragédie grecque du deuxième tome). La Rose de Versailles est donc avant tout un travail d’adaptation. La portion congrue créative de la mangaka tient dans quelques personnages : Oscar, André, Rosalie, le masque noir ou les soldats de la garde française. A travers eux, IKEDA donne une perspective plus intimiste à la grande histoire, en nous la faisant vivre à travers la petite histoire. Ses personnages interagissent donc avec des personnes ayant réellement existées, ce qui n’est pas sans poser problème. Ainsi Oscar se plaint de ne pouvoir protéger Marie-Antoinette contre elle-même. Et pour cause ! N’ayant jamais existée, on imagine mal comment elle pourrait interférer sur le déroulement de l’Histoire. De même, il est évident que l’amour d’Oscar avec Axel de Fersen soit voué à l’échec, ce dernier étant lié à la reine.
Malgré tout, la mangaka arrive à donner une vision très juste de l’histoire de France, tout en proposant un récit dramatique ponctué de rebondissements. Toutefois, elle n’évite pas certaines erreurs principalement dues à un manque de recul et d’analyse. Tout d’abord, l’auteur s’excuse d’elle-même de n’avoir pas eu à sa disposition les dessins des costumes des gardes, avant d’ajouter que de toute façon le costume napoléonien allait très bien à Oscar… Ensuite, on ne pourra que sourire face à cette reine blonde aux grands yeux quand on a l’occasion de voir un véritable portrait d’elle. Sous la plume d’IKEDA et de ZWEIG, certains grands personnages se trouvent transformés. Ainsi, Marie Thérèse d’Autriche n’est pas réellement la bienveillante et douce mère que le manga dépeint mais plutôt une reine mère rusée qui compte se servir de sa fille pour mettre un pied en France. Le comte Mercy n’a, lui non plus, rien d’un simple conseiller. Outre le fait qu’il entretenait une correspondance secrète avec Marie Thérèse qui lui donnait ses ordres concernant sa fille, il ne cessait en fait de pousser cette dernière à prendre l’ascendant sur Louis XVI pour que la politique de la France aille dans le sens de l’Autriche. Marie-Antoinette qui ne comprenait rien à la politique (son inculture n’a rien de romancé), s’est toujours refusée à jouer le rôle que Mercy voulait lui faire endosser et contrairement à ce que prétend IKEDA, elle n’a jamais choisi les ministres à la place du roi. Elle offrit en fait des postes à quelques personnes auxquelles elle tenait, mais Louis XVI, très conscient de ses prérogatives, se gardait bien de lui laisser les coudées franches. Contrairement à l’image qu’elle en donne parfois, le roi n’a rien d’un idiot qui se laisse mener par sa femme. Le roi était en fait très secret et n’associa Marie-Antoinette à l’exercice du pouvoir qu’à partir de 1787, lorsqu’il sombra dans une dépression causée par les tracas du pouvoirs. D’ailleurs, IKEDA évacue parfois trop abruptement Louis XVI : il y a une certaine naïveté à s’imaginer que la reine pouvait s’en aller à des bals nocturnes sans que le roi ne soit au courant. Ce dernier l’accompagna plus d’une fois, s’amusant lui aussi du confort que lui procurait l’anonymat. On relèvera aussi quelques récits annexes absents, comme le rôle des soeurs du roi ; l’attitude de la noblesse scandalisée de voir cette dernière faire bande à part ; les problèmes relationnels de Marie-Antoinette avec sa fille, ou encore son premier amour avec le duc de Lauzun. Est aussi passé sous silence son rôle dans la querelle ayant opposé le musicien GLUCK à PICCINNI.
Mais malgré ces quelques défauts, le texte originel de ZWEIG est tellement bon que le manga restitue parfaitement l’ambiance de l’époque, les amours contrariés et le climat insurrectionnel. On ira même plus loin : IKEDA maîtrise à ce point le Marie-Antoinette du romancier qu’elle en donne une interprétation remarquable. Tout y est et bien plus encore. C’est d’une justesse confondante de la part d’une personne étrangère à notre culture et qui prouve que la mangaka a du se livrer à un important travail de réflexion. Son découpage et sa mise en scène sont d’ailleurs exceptionnels, tout concordant à donner un volume, un rythme et une emphase remarquable et qui sied parfaitement à cette époque romantique et passionnée. Plus forte encore, est la façon dont elle évite l’écueil du manichéisme qui aurait consisté à opposer nobles et roturiers. Avec beaucoup d’intelligence, elle met en scène l’incompréhension qui existe entre les deux classes, les aristocrates persuadés d’être supérieure au tiers-état, qui représente pourtant 94% de la population. En refusant de prendre parti, si ce n’est à travers le personnage d’Oscar (et encore est-ce plutôt pour lui donner une fin tragique), IKEDA livre une réflexion ambitieuse mais réussie sur la chute de la monarchie.
On pourrait toutefois s’interroger sur le choix d’un tel sujet. Qu’est-ce qui a bien pu pousser une jeune mangaka à s’intéresser à une histoire aussi complexe et culturellement connotée que celle de la pré-révolution ? La réponse, c’est sans doute l’exotisme. Si nous sommes fascinés par le Japon médiéval, il n’y a pas de raison que les Japonais ne le soient pas autant vis à vis de la France de l’Ancien Régime. Cet exotisme est ici servi sur un plateau : des amours impossibles, des complots, des trahisons, des destins brisés par le devoir… On s’amusera aussi à trouver du Alexandre DUMAS, à travers la figure du masque noir et d’Oscar ; du Emile ZOLA, pour la peinture sans concession du Paris des petites gens ; voir même du Victor HUGO, l’histoire de Rosalie et de Jeanne n’étant pas sans évoquer Les misérables. Finalement, La Rose de Versailles n’est rien d’autre que la vision fantasmée d’une période charnière de l’histoire de France. Les évènements sont tous exacts, mais l’auteur se complaît à faire jaillir le drame, à évoquer la tragédie à chaque page, à plonger ses personnages dans des tourments que ne renieraient pas SOPHOCLE ou RACINE.
Maintenant, on comprends mieux pourquoi, au Japon, les cours de Français seraient remplis de Japonaises fans du manga. Pas plus de surprise d’ailleurs, lorsque pour un Japonais qui pose le pied à Versailles, c’est l’image de la blonde Marie-Antoinette qui lui vienne à l’esprit. IKEDA a réussi le tour de force de cultiver son lecteur, le passionner et l’envoûter tout à la fois.
La Rose de Versailles fait parti de ces classiques du manga. Le qualificatif fait parfois peur et on craint souvent de tomber sur un titre ennuyeux et lourd. Il n’en n’est rien ici car le souffle n’est pas retombé 30 ans plus tard. Alors, ne cédez pas à la mode du moment et offrez-vous un authentique chef d’oeuvre. Lisez La Rose de Versailles.
Merci à Catherine BOUVIER pour l’inspiration et à Hélène WERLE de chez Kana.
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