Le son 3 – le bruitage

Le bruitage a lieu dans le même auditorium que celui du doublage, en présence du bruiteur et de l’ingénieur Son. Une avant-scène contient tout le matériel nécessaire pour reproduire divers bruits : plusieurs types de sols (lino, parquet bois, moquette), un petit bassin pour les bruits d’eau, un frigo, plusieurs types de fenêtres, de portes… on trouve aussi des accessoires de base, comme des chaises, un balai, de la ferraille. Le bruiteur lui-même ne se déplace jamais sans sa mallette d’accessoires : des chaussures, des étoffes diverses, du papier journal… Mais parfois, le bon accessoire manque : ainsi, il n’a pu un jour bruiter une partie de ping-pong par manque de… balle de ping-pong. Dans la mesure du possible, le bruiteur préfère alors visionner une VHS de la série auparavant pour savoir s’il aura besoin d’accessoires particuliers : Funky Cops multipliant les gros plans sur les 33 tours de disco, il peut être sûr qu’un vinyle sera toujours utile !

Derrière l’avant-scène : l’ingénieur Son derrière ses consoles supervise et enregistre. On bruite l’épisode par petites séquences d’une dizaine de secondes. Durant une première vision de la séquence sur grand écran, le bruiteur et l’ingénieur Son repèrent et mémorisent les bruits à reproduire, et le moment auquel ils apparaissent : une bonne visualisation est nécessaire, car le bruiteur les reproduit dès la deuxième vision. Comme pour le doublage, une bande-rythmo défile sous l’écran. Mais, à la place des dialogues manuscrits, ce sont ici les secondes, découpées par quarts, qui défilent sous l’image. Cela permet au bruiteur et à l’ingénieur Son de se mettre d’accord sur l’instant précis où le bruit doit intervenir. La synchro, qui se doit d’être parfaite, est plus difficile à obtenir sur des bruits réguliers et rythmés, comme les pas : “c’est à la synchro des pas qu’on reconnaît un bon bruiteur”, selon l’ingénieur du Son.

Pour les films live, on fait appel au bruitage pour combler des manques, ou pour réaliser des V.I. (version internationale) : la prise de Son directe sur des séquences live donnera au bruiteur les références sur lesquelles il doit se baser. En revanche, le dessin animé est vierge de toute prise de Son : il faut donc veiller à reproduire tous les bruits qui rendront l’univers sonore de la série crédible. En premier lieu, il faut camper “la présence” des personnages à l’écran : ainsi, le bruiteur reproduit les mouvements des personnages devant un micro, le déplacement d’air et le froissement d’étoffe qui s’en suivent. Ce dernier sera différent selon la manière dont le personnage est habillé (cuir, soie, peignoir s’il sort du bain…). La présence des personnages « représente 40% de la vie d’une série, selon l’ingénieur Son. Elle est parfois supprimée dans des séries destinées aux tout petits (2/5 ans) ».

Si l’on reproduit tous les bruits dont les actions sont visibles à l’écran, il faut aussi en anticiper certains. Par exemple, lorsqu’un personnage apparaît à l’écran, on bruite ses pas quelques secondes avant, pour simuler son arrivée : ce sont les « Sons off ». Selon l’ingénieur Son, “la science du off” réclame un savoir-faire particulier : il faut que ces Sons “aient de l’air” pour prendre du sens, c’est à dire qu’ils soient quasiment seuls sur la bande Son pour être identifiables : « Il faudrait que les réalisateurs y pensent avant ; il y a parfois trop de Sons à bruiter en même temps ».
Une complicité est nécessaire entre le bruiteur et l’ingénieur, qui peut modifier le Son sur sa console, et apporter conseils et idées complémentaires. On se croirait parfois dans un Pictionary bruité : “Fais maintenant la mèche de la bombe ! La matière de la pizza ! La résonance de la table ! Tu peux y aller plus… frénétique ?” Parfois, le bruiteur prend la liberté de rajouter des Sons qui n’apparaissent pas à l’écran, pour souligner certains effets de mise en scène : ici, l’intensité dramatique de l’apparition d’un personnage est renforcée par le résonnement d’une cymbale. Le réalisateur étudiera cette proposition au mixage. Dans Funky Cops, les effets cartoon sont rares, les bruits demandés sont plutôt réalistes. Ainsi, le bruiteur est ravi lorsqu’arrive enfin une scène de carambolage de voitures : “enfin du bruit ! on va pouvoir se défouler !” Comment se bruite une course poursuite de voitures ?
Des plats en métal tapés contre de la tôle simulent le bruit de poubelles renversées.
Christian GERMAIN, le bruiteur de Funky Cops, travaille dans le bruitage depuis environ 15 ans (aussi bien de documentaire, de film live que de dessins animés). Une formation de musicien l’aide à décomposer les Sons compliqués (comme une explosion), et à trouver les mieux adaptés, qui ajoutés les uns aux autres donneront une illusion fidèle. Parfois, il faut rivaliser d’ingéniosité : par exemple, l’ouverture d’un coffre-fort est ici décomposé en quatre pistes : l’ouverture d’un frigo, le bruit d’une serrure, un souffle reproduit à la bouche dans le micro (pour le bruit de décompression) et une tôle raclée.
Si certains bruiteurs, à l’instar des magiciens, conservent jalousement leurs secrets (ainsi, la rumeur veut qu’en Allemagne, un bruiteur se cachait derrière un paravent pour faire ses bruitages), les astuces de base se transmettent en début de carrière. Parmi les classiques, citons l’entonnoir pour simuler le bruit des sabots d’un cheval, la bouillotte en caoutchouc frottée contre du lino pour les crissement de pneus, le sac de maïzena pressé pour des pas dans la neige…

Pour les autres bruits, on cherche, on découvre, on ajuste. Une bouillotte sert à faire un crissement de pneu ? La même bouillotte, gonflée, et frappée par une chaussure, reproduira le bruit sourd d’un pneu qui rebondit par terre. Un gant Mapa frotté contre une feuille de plastique simulera à merveille le crissement d’un marqueur Véléda sur une feuille de papier. Le comble du bruitage selon Christian ? “Parfois, avec de vrais objets, ça ne marche pas ! Il faut toujours inventer”. Dont acte : pour bruiter le branchement d’une prise Jack, le vrai bruit – “pas assez métallique” – sera remplacé par le cliquetis de deux clés !

Le bruitage est-il un métier dangereux ? C’est en tout cas un métier physique, qui réclame parfois de porter à bout de bras une malle pour la projeter contre un frigo pour bruiter un carambolage de voitures !
C’est d’ailleurs un bruiteur boitillant que nous avons rencontré, car il s’était fait tomber une plaque de bois sur le pied deux jours auparavant… Le cauchemar du bruiteur ? L’explosion de verres, à cause des risques d’éclat. Parfois, le bruit du verre peut d’ailleurs être remplacé par le cliquetis de petites pièces métalliques. En revanche, Christian GERMAIN aime reproduire des bruits d’extérieur, comme des bruits de cailloux, de terre, de feuillages : « cela nécessite de se déplacer parfois avec un sécateur pour aller couper des morceaux de buisson, que j’ai repéré aux alentours du studio ! Sinon, la bande de pellicule 6/25 est très souvent utilisée pour les bruits extérieurs : elle reproduit à merveille les bruits d’herbe, de feuillage et de paille. Et si l’on frotte dessus ses doigts mouillés, on entend alors une porte qui grince. »
Un bruiteur, comme un ingénieur Son, est toujours attentif aux bruits qui l’entourent. Deux salières qui s’entrechoquent à la pause déjeuner ? “Tiens, ça irait bien pour le bruit de deux boules de billard ! A retenir”. Le week-end, il se rend dans les brocantes pour chercher de nouveaux accessoires.

L’enregistrement des bruitages fonctionne très rapidement ; seules quelques secondes sont nécessaires par prise. On bruite 2min30 par heure, soit un épisode par jour. On refait la prise si la synchro n’était pas parfaite, ou bien si l’on s’aperçoit que le Son choisi ne fonctionne pas. Parfois, il faut chercher plusieurs fois avant de tomber sur le bon Son. Parfois aussi, les Sons ne peuvent être reproduits par le bruiteur. Dans ce cas, ce sera au monteur Son de jouer sur les effets : il reproduira les Sons qui manquent par ordinateur.

Remerciements à Satchi Van NEYENHOFF, à Gil CARPIO et à toute l’équipe du Studio Elude.