Le tanuki, l’animal animé

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Pourquoi sinon une telle profusion de ratons ? une bonne partie des courts métrages de la rétrospective s’appuient certes sur les contes et légendes traditionnels japonais, et une majorité mettent en mouvement des animaux. Mais parmi la profusion de singes (également très présents), de chiens, de cochons, d’ours et autres bêtes plus ou moins anthropomorphes, l’un des animaux qui arrive en tête du nombre d’apparitions à l’écran est bien le tanuki. Et cela n’est pas difficile à comprendre. Le tanuki est un animal facétieux, qui ne veut pas de mal aux humains, mais aime à lui jouer des tours. Par ailleurs, il a la capacité de se transformer à sa guise : qu’il veuille commettre quelque larcin, le voilà qui se transforme en humain ; qu’il s’amuse à terrifier un samouraï égaré, il se change en démon ; qu’on veuille le frapper, il se métamorphose en un tournemain en bouilloire ou en cadenas… Qui a dit que l’animation était l’art de la transformation ? Le tanuki est l’animal rêvé de l’animateur : transformable à volonté, il autorise tous les délires.
De plus, mignon, maladroit et farceur, il est le personnage idéal d’histoires amusantes et riches en péripéties.

Le tanuki est en effet une bestiole bien sympathique. Dans l’excellent La bouilloire magique (1928) de MURATA Yasushi, il vient en aide à un humain qui lui a sauvé la vie. Mais sa maladresse et sa gourmandise congénitales vont causer quelques soucis à son débiteur : il met sens dessus-dessous en quelques minutes le temple auquel il a été offert. Conclusion : le tanuki n’aime pas être enfermé entre 4 murs !Les rapports entre l’homme et les ratons transformistes ne sont d’ailleurs qu’une longue suite de malentendus, ainsi en témoignent Les bonzes mélomanes (1934) de MASAOKA Kenzo ou La chasse aux monstres (1935) de KATAOKA Yoshitarô. Le premier présente les ratons comme des petits animaux rondouillards, oisifs et totalement inoffensifs, qui ne songent qu’à danser et festoyer dans la forêt. Mais leur radio tombe en panne et le son d’un gramophone dans un temple voisin éveille la convoitise d’un petit tanuki qui décide d’aller le dérober. Attrapé par la vieille servante, il va être mangé le soir même, heureusement, se amis vont (littéralement) voler à son secours. Comme on le constate, le tanuki est aussi un peu voleur…. Mais il ne pense pas à mal, et la réaction des humains est pour le moins disproportionnée. Comme dans La chasse aux monstres, où des tanuki qui s’amusent à jouer des tours dans un temple sont vaincus par un samouraï et finissent mangés ! L’homme manquant parfois d’humour, il ne fait pas toujours bon être un animal facétieux.
Rarement agressif, car plutôt peureux, le tanuki ne se bat en général que pour se défendre, ou alors, comme dans Le renard contre les ratons (1933) de OISHI Ikuo, pour régler ses comptes avec son ennemi héréditaire : le renard, lui aussi doté de pouvoirs transformistes. La partie n’est pas gagnée d’avance car ce dernier n’a pas froid aux yeux, mais la ruse et la solidarité de la famille tanuki finissent par triompher, et l’intrus est chassé du temple occupé par les ratons.

Par ailleurs, cet animal sympa et on l’a vu souvent incompris, sert de support à l’imagination des pionniers japonais de l’animation. Dès La bouilloire magique, le tanuki voit ses transformations exploitées à des fins humoristiques : curieusement uniquement transformable en bouilloire (peut-être s’agit-il là d’une référence à un conte traditionnel, tant le tanuki semble assimilé à cet objet), le raton va causer les pires catastrophes et terrifier les humains : a-t-on jamais vu une bouilloire bouger ? Le génial MURATA Yasushi, maître du papier découpé, suggère ici les transformations du tanuki avec une grande économie de moyens : représenté uniquement de profil, le corps de celui-ci se confond avec la bouilloire, seuls son museau et sa queue dépassent. Quand il veut disparaître, il les rentre dans l’ustensile et le tour est joué. Avec l’introduction du cellulo au Japon, les transformations du tanuki se font multiples et plus réalistes.
MASAOKA Kenzo, qui fut précisément le premier à expérimenter cette technique, comprit parfaitement le potentiel du tanuki en terme d’animation. Dans Les bonzes mélomanes, ses adorables ratons s’en donnent à coeur joie : le premier se transforme en humain pour voler le phonographe et ses amis se portent à sa rescousse, changeant d’abord leur apparence pour une allure plus martiale, puis transformant les nuages en engins de locomotion modernes pour aller plus vite. Le sauvetage proprement dit est une merveille d’inventivité, et l’on retient particulièrement la transformation d’un tanuki en échelle de corde pour aller sauver le prisonnier, enfermé dans un cage ; un véritable morceau de bravoure en terme d’animation.

Tant qu’à parler de morceau de bravoure, évoquons à également Le renard contre les ratons, qui, même s’il ne bénéficie pas de la qualité de dessin et de mise en scène du film de MASAOKA, est un sacré tour de force. L’affrontement des ratons et du renard autorise en effet tous les délires, dans le style survolté des cartoons américains. Les transformations les plus inventives s’enchaînent en effet à toute allure, sur le mode attaque/parade, évoquant les meilleurs Tom et Jerry. Citons pêle-mêle les transformations en démons, en tambour, haut parleur, cadenas, serpent, grelot, meubles… etc. Amusante également, une des parades du tanuki qui consiste à scinder son corps en une multitude de petits doubles qui s’agitent en tout sens ! Les différents modes de représentation des tanuki et du renard sont très originaux : chaque animal a en effet deux design distincts, l’un très stylisé et tout à fait « cartoonesque », l’autre semi-réaliste et plus fouillé. Une distinction que reprendra TAKAHATA Isao pour son film mettant en scène des tanuki : Pompoko. La chasse au monstre tire également parti des capacités transformistes des tanuki. Un samouraï décide de passer la nuit dans un temple dit hanté. Et effectivement, des créatures fantomatiques viennent le tourmenter pendant son sommeil. Mais en réalité, cette femme cyclope et cette créature reptilienne sont des tanuki qui ne souhaitent pas être dérangés. Fait prisonnier, le samouraï découvre la supercherie et entreprend de se battre contre la tribu de ratons qui occupe le temple. Ces derniers se transforment alors en samouraï pour mieux se battre, mais, comme on le sait, les tanuki ne sont guère vaillants, et le combat tourne en leur défaveur…
Mais les tanuki n’ont pas toujours le premier rôle et apparaissent parfois en « guest star » dans d’autres films. Citons Dangobee et les 40 voleurs (1955) de OFUJI Noburô, adaptation de l’histoire d’Ali-baba, dans laquelle Dangobee, ayant pénétré dans la grotte des voleurs se saisit d’une bouilloire, qui s’avère être un tanuki qui s’enfuit à toutes jambes. Un clin d’oeil au court métrage fondateur de MURATA. La pêche miraculeuse du singe (1933), de MURATA Yasushi justement, met également en mouvement un tanuki. Dans cette histoire, un singe et un raton tente de capturer les poissons inaccessibles sous la glace d’un lac gelé. Mais ce film, par ailleurs hilarant, exploite curieusement assez peu le potentiel transformiste du tanuki. Citons enfin, dans le même style, Les bonbons animaux (1931), court métrage anonyme à l’animation rudimentaire, qui met en scène un renard transformiste.

On le voit, les pionniers japonais du cinéma d’animation avaient parfaitement saisi le double potentiel du tanuki : son formidable potentiel comique ainsi que les possibilités inépuisables offertes en terme d’animation. Rien d’étonnant donc à ce que les courts métrages mettant en scène des tanuki soient parmi les plus drôles et les plus inventifs de la sélection projetée à la Maison du Japon.
Quand TAKAHATA Isao (Le tombeau des lucioles) réalise en 1994 Pompoko, un long métrage mettant en scène des tanuki, c’est consciemment qu’il s’inscrit dans cette tradition. Le réalisateur, qui a, à l’évidence, une connaissance remarquable des premières heures de l’animation japonaise (cf. l’article TAKAHATA rend hommage à MASAOKA), rend ainsi hommage à tous ces courts métrages. Outre la reprise des différents modes de représentation des tanuki, aperçus dans Le renard contre les ratons (auxquels TAKAHATA ajoute un troisième mode, totalement réaliste celui-là), le film reprend la description sympathique des tanuki qu’en fait notamment MASAOKA dans Les bonzes mélomanes oisifs, gloutons et chapardeur mais d’une gentillesse et d’une solidarité indécrottable ainsi que la problématique de l’affrontement contre les humains. Enfin, le film est bourré de clins d’oeil à ses précurseurs. Un exemple : quand les tanuki, qui ont perdu leurs dons par paresse, doivent réapprendre à se transformer, devinez en quoi consiste leur premier exercice ? Eh oui, à se transformer en bouilloire…

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