Une origine mystérieuse
Bien que située aux mêmes latitudes que le sud de la France, Hokkaidô connaît un climat rude influencé par la Sibérie voisine. L’île, montagneuse, est couverte d’une flore alpine et subarctique. Elle accueille une faune variée dont l’ours est l’animal roi. Hokkaidô a longtemps constitué un lieu “sensible” de confrontation entre l’expansionnisme tsariste puis soviétique, d’une part, et japonais de l’autre. La fin de la Guerre froide n’a pas supprimé des contestations frontalières persistantes. Hokkaidô n’est cependant bien connue à l’extérieur du Japon que depuis les Jeux olympiques d’hiver de Sapporo (1972). Son désenclavement ne sera réellement effectif que dans quelques années, avec l’achèvement de la construction du Shinkansen (TGV japonais) reliant Tôkyô à Sapporo. Pour le moment, excepté par avion, se rendre dans l’île nordique représente encore un périple assez long, voire parfois une aventure en hiver.
Les Ainu (litt. les Humains) constituent la population autochtone d’Hokkaidô. D’après les dernières études statistiques les concernant (1993/1994), ils forment une communauté de 23 800 personnes, concentrées principalement dans le sud-est de l’île. Ce peuple est donc aujourd’hui très minoritaire par rapport au nombre total des Japonais (126 millions). Encore faut-il savoir qu’il s’agit d’individus métissés pour la plupart. En effet, les spécialistes estiment que, dans les années 1960, seules 300 personnes pouvaient encore se définir comme complètement ainues. Elles seraient actuellement moins d’une centaine.
La question de l’origine de ce peuple reste très discutée. Il s’agit de descendants d’une civilisation de chasseurs-pêcheurs venue, vraisemblablement, des régions sibériennes. Parmi diverses hypothèses, la plus probable insiste sur les traits caucasoïdes des Ainu. Ces derniers seraient issus d’une population originelle de l’Asie, plus proche physiquement des Européens actuels, apparue avant les populations dites mongoloïdes du type des Japonais. En Amérique, des découvertes archéologiques récentes comme l’homme de Kennewick (État de Washington, États-Unis, 1996), vieux d’environ 9 000 ans, renforceraient la thèse de l’occupation de ce continent par plusieurs vagues de peuplement. Ainsi, une population asiatique de type caucasien, proche des Ainu, y serait venue avant les ancêtres mongoloïdes des Amérindiens. De la même manière que la présence des Ainu dans l’archipel nippon actuel a précédé celle des Japonais.
Histoire d’une confrontation ethnique et d’un refoulement progressif vers le Nord.
Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, les souverains du peuple de Yamatai, sur l’île de Kyûshû, déplacent le centre de leur pouvoir aux environs de la ville actuelle de Kyôto. Les anciens Japonais se heurtent ainsi à une population qui ne connaît pas l’usage du fer, les Ainu. Au terme d’une très longue succession de conflits militaires et de révoltes contre des samouraï et leurs troupes mieux armées, ceux-ci sont repoussés toujours plus au nord de l’île principale de l’archipel, Honshû ; puis refoulés vers Hokkaidô. Les sources historiques nippones traditionnelles conservent le souvenir de plusieurs peuplades ainues. Vers 1400, leur culture atteint une homogénéité qui perdure encore aujourd’hui. À l’origine, les Ainu, de type caucasien, présentent donc de sérieuses différences physiques par rapport aux Japonais, atténuées depuis par le métissage. Ces derniers, dans ces mêmes sources historiques, focalisent leur attention sur le système pileux très développé de leurs ennemis et rivaux dans le peuplement de l’archipel. D’où l’usage pendant longtemps chez les Ainu de relève-moustaches sculptés en bois, forts utiles lors des libations. Et le port par leurs femmes d’étranges tatouages faciaux en forme de bacchantes, destinés à “compenser” l’absence de poils chez elles ! Du XVIIe siècle au XIXe siècle, les Ainu peuplent encore majoritairemment Hokkaidô, mais aussi l’actuelle Sakhaline et les îles Kouriles. Leurs incursions continentales les mènent loin. Ils leur arrivent ainsi de faire du troc avec les Chinois. Mais, après une période de guerres civiles, le shôgun Ieyasu Tokugawa unifie définitivement l’archipel nippon. Il soutient une implantation japonaise durable à Ezo, future Hokkaidô, menée par les chefs du clan Matsumae. Jusque-là, l’île étaient plutôt dédaignée par les Japonais, à l’exception de l’installation de quelques comptoirs. Cependant, leur contrôle sur les Ainu va désormais s’intensifier. La restauration du pouvoir impérial face au shôgun (début de l’ère Meiji, 1868-1869) entraîne une guerre civile dont la dernière bataille est livrée à Hakodate (Hokkaidô). Puis, aboutit à une accélération de la colonisation de l’île qui fait de nombreuses victimes à cause de corvées forcées imposées aux Ainu.
Ceux-ci sont longtemps demeurés un peuple dominé politiquement et culturellement. Sans généraliser, on ne peut nier d’une certaine réticence du Japon envers l’étranger et occulter son souci d’unité ethnique. Aussi, comme dans le cas des Burakumin* ou des immigrés coréens, se prévaloir d’une ascendance ainue n’est pas toujours bien vu au Japon. Notamment si l’on n’habite pas Hokkaidô mais Tôkyô. Une étude statistique menée voici quelques années dénombre 2 700 résidents de la capitale nippone se reconnaissant comme Ainu. En fait, ils y sont présents en plus grand nombre, mais certains choisissent de dissimuler leurs origines. Heureusement, à Hokkaidô, des améliorations récentes ont permis la reconnaissance d’un statut particulier de peuple autochtone minoritaire depuis 1997 pour les Ainu et les Japonais ont maintenant pris des mesures afin de les aider à conserver leur culture.
La culture ainue : un autre monde à 1 000 kilomètres de Tôkyô
La culture ainue est fondée sur l’oralité et sur la transmission par la récitation et par le chant de contes héroïques, de légendes et autres histoires à fondement didactique ou moral. Aussi, une organisation comme la Ainu Association of Hokkaidô, qui vise à améliorer la condition sociale des Ainu, s’efforce, parallèlement, de maintenir l’apprentissage de leur langue. Malgré une tentative d’introduction du bouddhisme par les Japonais, les Ainu ont persévéré dans la pratique de leur religion traditionnelle. Selon ses préceptes animistes, le monde est peuplé de kamui, esprits supérieurs liés à chaque espèce animale, végétale ou manifestation de la Nature. Ainsi, outre le Maître de la Terre ou la Déesse des Eaux, l’Ours, “père de tous les ours”, règne sur les animaux des forêts et l’Orque sur ceux de la mer. Le renard roux, la chouettes, et le saumon, en tant que dispensateur de nourriture, sont aussi honorés. La situation géographique des villages, importante dans la cosmogonie ainue, a aussi créé parfois des problèmes avec les Japonais à une époque récente. Des communautés implantées à la confluence de rivières, lieux propice à la pêche aux saumons, ont dû s’opposer à des constructions de barrages. Quoi qu’il en soit, les kamui sont célébrés au moyen d’une estrade consacrée au fond de l’habitation et d’une palissade sacrée à l’extérieur, au nord-est de celle-ci. Des Inao, bâtons magiques décorés de copeaux, servent d’intermédiaires et de présents pour se les concilier. Les danses occupent également une grande place en matière de religion ou rythment, avec le chant, les activités quotidiennes. Parmi ces dernières, outre le tissage de costumes aux motifs chatoyants et complexes, dont la signification reste mal connue, la sculpture sur bois et l’artisanat constituent des activités de prédilection. Ainsi, nul touriste à Hokkaidô ne peut échapper à l’omniprésence du petit ours sculpté, objet emblématique de l’endroit.
Aujourd’hui, une majorité de Ainu vit intégrée à la société japonaise, dont elle se distingue peu. Une partie d’entre eux continue à s’initier ou à pratiquer sa culture. Ainsi, au Centre culturel ainu de Sapporo, à l’intérieur d’un building ultramoderne, des femmes apprennent à fabriquer des objets traditionnels dans un décor d’intérieur ancestral reconstitué. Néanmoins, une minorité s’est coupée radicalement de la modernité et de la marchandisation de la société nippone pour retourner à une vie au contact de la Nature, proche des idéaux traditionnels ainus.
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