Jean-Marie BOUISSOU le martèle avec force et conviction : le bad boy, tel qu’on le connaît dans le manga, n’a pas d’équivalent dans la bande dessinée française. Notre modèle culturel occidental, chargé d’une morale judéo-chrétienne bien chevillée, ne peut voir le monde que selon une vision manichéiste. Le blanc et le noir, le bien et le mal.
Ce n’est pas le cas de la vision orientale : le bien et le mal n’ont pas de sens propre. Par contre, le regard porté par la société sur les actes de chacun décide finalement de son degré de moralité… Fort de cette vision des choses, Jean-Marie BOUISSOU nous présente quelques bad boys célèbres du manga, comme Kaneda et Tetsuo d’Akira, Ryo de Coq de Combat, Tyson de Racaille Blues, ou encore Onizuka de GTO. Si ces personnages sont situés du mauvais côté de la loi, ils n’en sont pas pour autant présentés comme de vulgaires méchants. Le lecteur entretien en fait avec eux une relation où se mèle attirance et répulsion : le bad boy transgresse les règles, mais, paradoxalement, assure la stabilité de la société.
Confucius était un voyou
En effet, à l’aide d’exemples tirés de Racaille Blues et de GTO, Jean-Marie BOUISSOU développe l’idée que le bad boy représente une force primitive contre laquelle la société ne peut rien. Plus encore, le voyou a gardé un côté surnaturel : comme les kamis de la religion shintoïste (les esprits de la nature), il peut “pêter les plombs” si on rentre sur son territoire. Il n’hésitera pas non plus à se battre avec n’importe qui où à défier toute forme d’autorité. Mais s’il le fait, ce n’est pas pour asseoir son autorité, ou prendre le pouvoir, mais pour assurer le bon respect des valeurs confucéennes. En d’autres termes, Tyson de Racaille Blues est un bon gars : il donne de l’argent à La Plume Rouge (équivalent japonais de la Croix Rouge), recueille les chats abandonnés, défend les plus faibles et traite les filles avec respect. Lorsqu’il rencontre d’autres voyous ne respectant pas les règles (les mauvais bad boys veulent étendre leur territoire et frappent leurs propres hommes !), il les met au pas à la force de ses poings. Bref, il purifie la société.
Purifier, voilà une autre occupation, celle d’Onizuka, le professeur déjanté de GTO. Onizuka porte dans son nom sa propre origine : Oni signifie démon et comme les démons japonais, il a un visage à la fois positif et négatif. Il vit d’ailleurs sur le toit du lycée, comme… Les kami vivant en haut de la montagne. Onizuka arrive dans un lycée bouleversé par la modernité : les élèves sont tous issus de familles bourgeoises (parents politiciens, banquiers…), mais ils ont perdu leurs repères. Onizuka va les soigner, par l’humour et la violence et purger l’école de ses perversions. L’école sera le lieu du dialogue enfants/adultes renoué.
Le bad boy cosmique
Mais le bad boy n’est pas forcément un personnage positif ! Ainsi, Tetsuo, de Akira, incarne ce que Jean-Marie BOUISSOU appelle “le bad boy cosmique”. Tout comme Ryo de Coq de combat, Tetsuo est prisonnier de ses pulsions, il ne sait pas quoi faire de ce qu’il est : d’ailleurs, Tetsuo va, suite à la prise de drogue, somatiser son mal-être en se déchirant littéralement (voir les nombreuse scènes dans lesquelles il perd le contrôle de son corps). Au final, il va se transformer en bébé géant et obèse, pour retrouver cette innocence à laquelle il n’a jamais eu droit. Face à lui, on retrouve Kaneda : à l’orgine peu positif, ce bad boy va devenir un héros sous l’action civilisatrice des femmes ! Lady Miyako, la grand-mère, Chiyiko, la mère et Kei, la femme, vont chacune le polir et le laver de ses travers. Ainsi, Kaneda va devenir un élément moteur du récit et prendre, à la fin d’Akira, la direction de Neo-Tokyo : le bad boy incarne ici l’idée de la supériorité de la jeunesse dans la société et du refus de l’ingérence des puissances étrangères dans la vie japonaise (Kanéda chasse ainsi la force d’intervention de Tokyo).
Jean-Marie BOUISSOU se montre nettement moins loquace sur Ryo de Coq de combat, stigmatisant surtout le dégoût du lecteur à son endroit (Ryo triche allègrement pour gagner ses matchs, défait les gentils et se montre tout simplement immoral) et en même temps sa fascination pour ce dernier.
La société change
L’idée sous-jacente de cette culture du bad boy se situe, selon Jean-Marie BOUISSOU, dans les changements agitant la société japonaise. La fin des années 1980 et le début des années 90 ont amené leur révolution sociale et culturelle (désir d’émancipation de la jeunesse, problèmes économiques) : le bad boy incarne la figure en phase avec ces tremblements interne. Qu’il soit héroïque et gardien de l’ordre, ou au contraire violent et amoral, le bad boy traduit un désarroi : celui de la perte des “vraies” valeurs.
Figure nettement moins dangereuse qu’on pourrait le croire, le bad boy représente un pôle de moralité (positif ou négatif) et renvoie le lecteur de manga à sa propre prise de conscience politique et sociale. Toute la force de cette conférence a été là : dépasser l’aspect violent et gratuit des manga de bad boy pour en tirer une réflexion sensible. Quand la société va mal, elle se cherche des héros : qu’ils soient décolorés et violents ne change rien à l’histoire. Après tout, Arsène Lupin et Fantomas n’étaient pas non plus des enfants de choeur…
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