Les images s’hybrident

Les 40 ans de la Cinémathèque de Toulouse

0

Hybridation des images : naissance d’un nouveau cinéma ? était le sujet de cet événement anniversaire. Un thème ambitieux à traiter. Ambitieux, d’ailleurs, au point que la question Naissance d’un nouveau cinéma ? n’a en fait trouvé qu’une réponse très périphérique. A la place d’une véritable démonstration, les intervenants du colloque ont en effet préféré poser des questions, soulever des problèmes et lancer des pistes de réflexion. Une démarche exigeante, nécessitant de la part du public une grande concentration et un réel effort de compréhension. Mais le jeu en valait largement la peine… Toutefois, avant de présenter plus en détails les thèmes abordés, revenons d’abord brièvement sur la mise en place de ce colloque.

La cinémathèque aime jouer

À l’origine de ce projet, Pierre CADARS. Le délégué général de la Cinémathèque souhaitait fêter les 40 ans de la Cinémathèque dignement. Cette association Loi 1901 (c’est-à-dire à but non lucratif) a en effet été fondée en 1964 par Raymond BORDE et, depuis 2003, se trouve sous la direction de Pierre CADARS après la disparition de son prédécesseur, Daniel TOSCAN DU PLANTIER.

La Cinémathèque et le Pôle National Ressources Cinéma de Midi-Pyrénées se sont associés pour mettre en place ce colloque. Pour Pierre CADARS, donner à la Cinémathèque une image plus jeune et moderne était essentiel. Il trouve en Ludovic GRAILLAT, travaillant avec le Pôle National, un interlocuteur jeune et passionné. Ensemble, ils décident de se concentrer sur l’animation, le jeu vidéo et leurs liens avec le cinéma. L’idée est ambitieuse, surtout pour un lieu très culturel se méfiant de la culture populaire. Cette volonté de rajeunissement se double d’un second objectif plus noble : « proposer d’étudier des films que les jeunes vont voir au cinéma, et aussi parler des films du patrimoine auxquels ils font référence. » C’est donc sous le double patronage du ministère de la Culture et de celui de l’ Éducation Nationale que s’organisa un colloque auquel participa aussi l’Université de Toulouse et plus particulièrement son département Histoire.

Le colloque fut divisé en deux parties : le lundi après-midi et le mercredi matin furent consacrés plus particulièrement à l’animation, avec l’intervention de Peter CHUNG (Alexander (1), Animatrix (2)) et la journée du mardi se structura autour du pôle jeu vidéo.

Peter Chung, refus d’être matriculé

La double intervention de Peter CHUNG fut sans doute l’une des plus intéressantes de ces trois jours. Il présenta le lundi la diffusion de quatre épisodes d’Animatrix et répondit ensuite aux questions du public sur son segment, Matriculé.

Le réalisateur américain d’origine coréenne expliqua ainsi qu’il fut contacté par les frères WACHOWSKI suite à la défection d’un animateur nippon du projet (voir AL 93). CHUNG reçut l’autorisation de travailler sur son propre script avec un délai de 12 mois de production. Pour les WACHOWSKI, l’histoire importait peu, mais l’action devait être mise en avant. Ils ont jeté leur dévolu sur lui à cause d’Aeon Flux (3), série réalisée pour MTV, dont ils étaient fans. Les frères travaillaient en parallèle sur Matrix Reloaded et Revolution (4) : ils ne pouvaient donc contrôler les différentes étapes de son travail. Peter CHUNG expliqua néanmoins qu’il dut batailler pour imposer plusieurs de ses idées. Plusieurs de ses propositions furent d’ailleurs rejetées sans une explication. Malgré tout, les frères ne virent son travail qu’une fois ce dernier terminé et Peter CHUNG eut donc une quasi-totale liberté sur Animatrix ! Le temps imparti lui permit de tester de nombreuses expérimentations visuelles : il a ainsi travaillé pour la première fois avec de la 3D.

Concernant son intervention du mercredi, Peter CHUNG expliqua la différence de travail entre l’animation américaine et la japonaise. Après avoir étudié l’animation à l’Université de Californie à la fin des années 70, Peter rentra chez Disney comme développeur de projets dans les années 90, à une époque où l’animation se portait mal. L’animateur remarqua vite la différence de travail entre les Japonais et les Américains. Lorsqu’il regardait le travail d’un réalisateur japonais, CHUNG reconnaissait tout de suite sa pâte. C’est parce que le réalisateur japonais dessine son story-board : il a donc un contrôle clair sur son travail. De plus, lorsqu’un animateur travaille sur un film, il s’occupe intégralement d’une séquence, point par point. Aux Etats-Unis, tout est uniformisé et la personnalité d’un auteur n’est guère apparente. Le réalisateur travaille ainsi à partir d’un story-board dessiné par un autre. Enfin, les studios US font intervenir plusieurs animateurs sur une même séquence en fonction de leur spécialité. Si l’on prend l’exemple d’une jeune fille faisant rebondir sa balle sur l’eau, un animateur s’occupera de faire bouger la balle, un autre de créer les effets d’éclaboussure et le troisième animera la jeune fille les évitant (5).

Remise à l’heure

Etait aussi présent Xavier KAWA-TOPOR, responsable du Forum des Nouvelles Images de Paris. Ce dernier livra à l’assistance un exposé de grande valeur sur l’historique de l’animation japonaise par rapport à la France. Après avoir rappelé quelques grandes dates comme l’arrivée de Goldorak (6) en France ou avoir traité de l’importance culturelle de MIYAZAKI Hayao dans le paysage de la critique française, le responsable du Forum des Images amorça, un peu timidement, le point central de son discours : l’influence de l’animation japonaise sur le cinéma mondial. De son propre aveu, le sujet était bien trop vaste. Néanmoins, il souligna l’importance progressive prise par l’animation japonaise vis-à-vis des animateurs français. Reconnaissant volontiers cette influence comme étant pour l’instant discrète, mis à part sur Kaena la prophétie (7), il souligna à quel point les travaux des jeunes animateurs, encore à l’école, trahissait leur admiration pour OTOMO Katsuhiro ou MIYAZAKI Hayao.

Par ailleurs, Xavier KAWA-TOPOR, à travers de brefs exemples, montra un jeu bien réel des influences : ainsi peut-on voir dans le design du Géant de Fer (8), un hommage au Château dans le Ciel (9). De la même manière, Atlantide tire son inspiration de Nadia, le secret de l’eau bleue, lui-même inspiré du film de MIYAZAKI. Le Roi Lion (11) s’inspire quant à lui, comme il a souvent été souligné, du Roi Léo (12) de TEZUKA Osamu. Xavier KAWA-TOPOR alla même jusqu’à souligner le lien entre Monstres et Cie (13) et Pokémon (14), deux dessins animés dans lesquels un enfant domestique des monstres.

Le responsable du Forum des Images conclut son analyse en s’intéressant à trois films : Avalon (15), Mes voisins les Yamada (16) et Final Fantasy Les créatures de l’esprit (17). En interrogant ces trois exemples, il souligna le rapport à la réalité, ou à la virtualité, de ces trois films : OSHII retravaille numériquement l’image d’Avalon pour donner l’illusion du jeu vidéo, TAKAHATA Isao utilise le numérique sur Mes Voisins les Yamada pour donner un rendu de « travail à la main » de son dessin et sur Final Fantasy, les animateurs, dans leur souci de réalisme, en viennent à passer presque plus de temps sur l’animation des cheveux de l’héroïne…

Jeu et Cinéma : quel mariage ?

Lorsque l’on évoque jeu vidéo et cinéma, le terme de «mariage» est souvent employé : mariage de la forme (techniques de réalisation) comme du fond (thématique et construction narrative). Pourtant, le colloque a remis en cause, lors de la journée de mardi, cette idée.

Les différents intervenants se sont en effets escrimés à souligner à quel point le cinéma et le jeu vidéo entretiennent des rapports dépassionnés. Un film adapte l’univers du jeu vidéo ? On remarque de suite qu’il réécrit et restructure sa trame narrative pour lui donner une pertinence filmique. C’est le cas de Street Fighter avec Jean-Claude VANDAMME, film n’ayant plus rien à voir avec le jeu vidéo dont il est issu. Un jeu vidéo adapte un film ? Le support révèle très vite ses limites, en ne permettant pas au personnage de se mouvoir réellement dans un univers, mais en le confinant dans une reprise du rôle du héros. Le jeu de Spider-Man permet ainsi au héros de voler d’un building à l’autre, mais pas de marcher dans la rue !

L’intervention de Jean-Michel FRODON, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, fut à ce titre intéressante, dans la mesure où il chercha à redéfinir le langage filmique au regard de celui du jeu vidéo. On regrettera, malgré tout, l’utilisation d’un vocabulaire complexe, rendant son propos parfois abscons. Plus accessible, et néanmoins pertinente, fut l’intervention de la journaliste du magazine anglais Edge, Margaret ROBERTSON. Cette dernière a placé en vis-à-vis les jeux vidéo et les films dont ils sont inspirés, soulignant la vacuité du résultat. Espen AARSETH, professeur à l’université IT de Copenhague, approfondit l’idée de Margaret, montrant comment le jeu vidéo et le cinéma ont des enjeux culturels opposés et contradictoires.

Gonzalo FRASCA, membre de l’université IT, et aussi co-fondateur de Powerful Robot Games, entreprise de jeu vidéo en ligne, aborda un point bien différent : le jeu vidéo comme moteur de contestation sociale avec la création, sur le Net, de jeux simples à but propagandistes ou contestataires. David JAY BOLTER, enseignant à l’université d’Atlanta, entama une réflexion d’un autre ordre. Inventeur du concept de remédiation, il explique que le cinéma et le jeu vidéo vont finir par fusionner pour former un nouveau médium. Il s’est aussi employé à montre comment certains films critiquent l’imagerie du jeu vidéo, citant EXistenZ (18), Strange Days (19) ou Matrix (20).

La journée se conclut par une intervention étonnante de Angela N’DALIANIS, directrice des études cinématographiques de l’Université de Melbourne. Pour elle, Matrix Reloaded et Revolution témoignent d’un nouvel esthétisme baroque : en faisant imploser le cadre de la caméra et en submergeant le spectateur sous un flot d’images fortes, les frères WACHOWSKI ont réinventé l’esthétique baroque du XVIIIe, peinture de la Contre-Réforme, célébrant l’imagerie catholique. Un exposé passionnant, mais dont l’absence de conclusion amoindrit l’impact du propos.

Cette journée aura révélé l’importance majeure qu’occupe aujourd’hui la trilogie Matrix dans l’esprit des chercheurs. On peut presque parler de traumatisme, lorsque l’on constate à quel point ce film a remis en cause tous les jugements esthétiques des spécialistes. En faisant fusionner cinéma et jeu vidéo, les frères WACHOWSKI ont justement donné naissance à un cinéma hybride et original.

Bilan artistique

Ce colloque a marqué une nouvelle étape importante dans la réflexion sur l’hybridation des images. En interrogeant la structure narrative et esthétique du cinéma, du jeu et de l’animation, et en posant des éléments de comparaison, les différents intervenants ont poussé le public à ne plus être naïf face à l’image.

Toutefois, on pourra regretter l’absence de point de comparaison entre l’animation et le jeu vidéo, dont les amateurs de japanimation n’ignorent pas les liens forts. Le jour où un tel colloque offrira une réflexion transversale sur ces trois médias, la recherche aura sans doute réalisé un grand pas. En effet, n’oublions pas qu’au Japon, le rapport avec l’industrie des loisirs est à ce point symbiotique, que beaucoup de choses seraient à dire sur sa situation.

Remerciements à toute l’équipe de la Cinémathèque de Toulouse.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur