Memories est un film à sketches composé de trois segments.
Magnetic Rose
Le premier, Magnetic Rose, réalisé de main de maître par le génie MORIMOTO, place d’emblée la barre très haut. Scénario, mise en scène, animation, dessins, tout est là pour plonger le spectateur dans un univers de science-fiction baroque, où la mémoire d’une diva ayant perdu sa gloire prend possession des navigateurs de l’espace passant à proximité de sa station spatiale (plus de détails sur ce sketch au début du mois de janvier).
Stink Bomb
Stink Bomb, réalisé par OKAMURA Tensai, apporte paradoxalement un peu d’air frais après le huis clos oppressant qu’est Magnetic Rose. Un employé dans un laboratoire pharmaceutique souffre d’un rhume carabiné. Sur les conseils de ses collègues, il pénètre dans le bureau de son chef pour y prendre le nouveau médicament-miracle qui le guérira instantanément. Rien de plus facile : il faut prendre une des pilules bleues de la bouteille rouge. Et notre Gaston Lagaffe nippon de se saisir d’une gélule rouge rangée dans une bouteille bleue ! Cette boulette va vite prendre des proportions incroyables : notre anti-héros se met à dégager des miasmes mortels pour quiconque les inhale… excepté lui. Bien évidemment, il faudra du temps à ses supérieurs pour comprendre quelle catastrophe vient de se dérouler, et bien vite, le responsable du laboratoire se mord les doigts d’avoir demandé au gaffeur en série de rapporter des documents ultra-secrets… à Tokyo !
Tous les moyens sont mis en oeuvre pour arrêter la course de notre bombe puante vivante, qui décime tout être vivant sur son passage, depuis les escadrons d’infanterie jusqu’aux porte-avions ! On assiste donc, hilare, aux trépidations de ce loser qui n’a à aucun moment conscience d’être devenu une arme de destruction massive , servies par une animation exceptionnelle et un rythme frénétique.
Et ça marche ! Si, durant Magnetic Rose, le public retenait son souffle, sursautait, se tassait dans son fauteuil, l’hilarant et surréaliste road-movie qu’est Stink Bomb a atteint son objectif : faire rire. Certaines séquences provoquèrent même des fous rires incontrôlés durant plusieurs minutes, tant chaque rebondissement vient empirer la situation précédente, pourtant déjà fort gratinée. Se calquant sur la loi de Murphy (si quelque chose peut mal tourner, alors ça tournera mal) et le célèbre adage « Le malheur des uns fait le bonheur des autres », Stink Bomb en profite au passage pour écorner l’armée, la recherche scientifique, les salary men… Bref, la société japonaise.
Canon Fodder
C’est une société toute autre qui est décrite dans Canon Fodder, dernier volet du triptyque, réalisé par le maître de cérémonie, ÔTOMO Katsuhiro. On y découvre une ville entièrement vouée à la guerre, alimentant sans cesse de gigantesques canons tirant à l’extérieur de la cité vers un hypothétique ennemi invisible dont on ne saura jamais rien. Après les multiples éclats de rires et applaudissements ayant ponctué Stink Bomb, c’est un silence quasi monacal qui s’est instauré face à ce chef d’oeuvre d’animation qu’est Canon Fodder. On suit le quotidien d’une famille « moyenne » tout au long d’une journée, dans un graphisme d’inspiration franco-belge clairement revendiquée et des décors rappelant le travail d’un DE CRECY ou d’un SCHUITEN, le tout sous la forme d’un unique plan séquence d’une vingtaine de minutes ! Un travail d’orfèvre, prouvant s’il en était encore besoin le talent formel d’ÔTOMO.
Là où on aurait pu craindre un rejet du public face au graphisme tranchant résolument avec le tout venant de la production animée japonaise, c’est le contraire qui se produisit dans l’auditorium. Chacun avait conscience de découvrir une oeuvre à part, et savourait du mieux possible cette prouesse stylistique, avare de paroles, ponctuée par une musique martiale lancinante. C’est donc un public captivé qui revint doucement sur Terre, une fois le générique de fin se déroulant sur l’écran. A tel point que les applaudissements clôturant généralement chaque projection nocturne furent épars et timides. Non pas que Memories avait déçu : il suffisait de voir les visages radieux du public sortant du Forum des Halles. Mais tout simplement parce que chacun, encore plongé dans l’atmosphère si particulière de ce film, voulait en profiter le plus longtemps possible, le méditer, le faire sien.
C’est là l’un des autres points forts de ce film décidément à part : chacun voulait garder ce moment unique pour lui seul… mais les regards de connivence des heureux spectateurs à la sortie montraient, plus que tout autre discours, le plaisir pris à partager ces 110 minutes avec les autres. Plus que la magie du cinéma, c’est là la marque d’un grand film.
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