Nuit blanche

Lapin attaque !

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Un jeune créateur se tient à sa fenêtre, fumant une cigarette, à la recherche de l’inspiration. Soudain, le vent s’engouffre dans son atelier et fait tourner les pages de son storyboard. Le lapin monstrueux dessiné dessus s’anime et se jette sur lui. Le jeune homme s’enfuit et finit par tomber sur son storyboard, arrêtant la course du monstre. Réalisant que le mouvement des feuilles permet à la créature de se mouvoir, il jette les pages au vent, faisant disparaître la bête.

En seulement 27 secondes, un véritable petit film fantastique nous est présenté, preuve d’un véritable savoir-faire. Il aura pourtant fallu 4 mois pour accoucher de cette virgule animée. Rencontre avec les artisans de Nuit Blanche :

AL : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jean Vincent SALLES : J’ai depuis toujours le goût du dessin et le désir d’en vivre. Dessiner me permettait d’imaginer mes propres petites histoires, de m’amuser avec mon imagination… L’animation m’a semblé constituer une suite logique à ce processus de création. J’ai donc tenté une école de graphisme avant de rentrer aux Gobelins.

Pierre TRICOIRE : Moi aussi je dessine depuis mon enfance. Lorsque j’ai quitté le lycée, mon bac en poche, je ne savais pas trop quoi faire. Après une école de graphisme, je suis rentré aux Gobelins.

Julie SERVIERE : Contrairement aux autres, je me suis mise assez tard au dessin. En fait, j’ai commencé à dessiner en classe de 1ère. Une fois mon bac en poche, j’ai tenté une école préparatoire artistique, je suis aussi allée à la fac… Mais je ne m’y plaisais pas. Finalement, je me suis réalisée aux Gobelins.

David ETIEN : Comme mes petits camarades, je suis très versé dans le dessin. Mais bon, dans le dessin, on peut toujours aller plus loin, jusqu’à l’infini (rire collégial, NDLR). L’animation m’a paru intéressante pour aller encore plus loin dans le travail de dessinateur. Après le bac, j’ai donc aussi fait une école d’Arts appliqués avant de rentrer aux Gobelins. Réussir le concours constitue un véritable challenge, d’où la joie d’être là aujourd’hui. De mon côté, j’ai aussi signé les dessins d’une BD, Chito Grant, aux éditions Marcel PROUST, mais je ne suis pas encore très satisfait de mon travail.

AL : Je suis un peu surpris de ne pas vous entendre parler d’une éventuelle passion pour le dessin animé.

Le groupe : Oui, nous sommes avant tout fans de BD Franco-belge. Bien sûr, nous avons tous appréciés Dragon Ball ou les films de DISNEY, mais nos racines sont plus dans la BD française. Voilà une des raisons pour lesquelles nous nous sommes réunis : nous avons les mêmes goûts artistiques, et humainement, le courant passe bien entre nous.

AL : Ce court métrage prend en fait place dans le cursus normal de tout étudiant de 2e année.

Le groupe : Exactement. Il faut voir ce travail comme une sorte d’examen de fin d’année. Nous avons donc une note et elle compte dans notre passage en classe supérieure. En fait, nous nous moquons un peu de la note en elle-même. Avoir notre nom au générique et se faire voir de professionnels nous paraît plus important.

AL : Comment avez-vous élaboré le scénario de Nuit Blanche ?

JV.S. : À la base, nous voulions nous éclater avec une histoire terrible, remplie d’action dans laquelle un animateur devrait combattre sa créature dans une arène. Mais l’histoire s’avérait trop compliquée. D’autant que nos professeurs nous avaient seulement laissé 15 secondes d’animation ! Finalement, comme aucun élève ne s’en sortait, nous avons eu droit à 27 secondes. Mais même là, tout était trop fou.

J.S. : En fait, nous nous moquions de la cohérence du récit ! Nous voulions tout faire péter !

D.E. : Heureusement, François DARASSE, un professeur, nous a beaucoup aidé à accoucher d’une véritable histoire.

P.T. : En 27 secondes, il nous fallait présenter un récit compréhensible par tous. Nous avons donc taillé dans le script pour en garder la substantifique moëlle.

AL : Si nous voulions jouer au psychologue, on pourrait trouver étrange de vous voir, pour votre premier travail de création, mettre en scène un auteur affrontant sa propre création.

Le groupe : (rires) Oui, il y a de ça ! En fait, nous voulions parler à tous ceux qui, comme nous, se tuent à la tâche sur leur travail de création. Il nous a fallu un mois pour accoucher d’un bon scénario et les 3 autres mois, nous avons travaillé 12 heures par jour sur le projet. On en rêvait même la nuit ! Nous sommes donc heureux de voir le court applaudi en salle ou d’entendre les gens rires : la preuve que nos camarades animateurs et le public nous comprennent.

AL : Comment vous êtes-vous réparti les tâches sur le projet ?

Le groupe : À la base, nous avions tous une fonction bien particulière sur Nuit Blanche. Mais en fait, nous avons très vite mis les mains à la pâte sur toutes les fonctions. Aux Gobelins, on nous initie à tous les aspects du travail d’animation : donc, sur ce film, nous avons tout mis en commun. Là où quelqu’un a une faiblesse, un autre l’épaule… Si la cohésion du groupe ne se révélait pas si bonne, nous n’aurions jamais pu terminer le projet. Sur d’autres projets, certains élèves ne s’entendaient pas et leur travail s’en ressent.

AL : Donner naissance à une première oeuvre doit se révéler très gratifiant, surtout lorsqu’elle est applaudie comme votre court. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur votre travail ?

JV.S. : Après avoir autant travaillé dessus, il nous paraissait difficile d’avoir du recul. Mais lorsque nous l’avons revu sur grand écran avec la réaction du public, nous nous sommes sentis vraiment heureux. Chaque plan compte dans notre court : si l’on en retire un, le reste s’effondre. Là, nous avons réalisé une épure parfaite. Ensuite, on se rend compte que les spectateurs n’ont pas vraiment compris que la créature était un lapin ! Dommage…

D.E. : Si vous faites attention, vous remarquerez aussi une absence de musique. Nous avons failli mettre une partition à l’époque de la création et puis, le rythme de la scène nous a paru suffisamment fort : mettre de la musique aurait seulement fait flancher la séquence.

P.T. : D’une manière générale, nous sommes fiers de notre travail.

AL : Et maintenant, comment voyez-vous votre avenir professionnel ?

J.S. : La 3e et dernière année nous attend. À la fin de celle-ci, nous allons encore réaliser un court pour Annecy, l’occasion de corriger quelques erreurs et de faire encore mieux. Maintenant, ma carrière, je ne sais pas trop…

P.T. : Nous ne voulons pas rentrer dans une grosse boite du genre Dreamworks : là bas, impossible de travailler sur un projet perso ! Prends Kristof SERRAND par exemple (Voir notre article) : ce monsieur est un grand animateur, mais il n’a pas le temps de développer ses propres projets…

JV.S. : Nous aimerions pouvoir avoir notre jardin secret : faire une BD, réaliser des courts métrages… Et à côté, travailler dans l’animation pour gagner notre vie.

AL : Finalement, le dessin vous passionne plus que l’animation ?

JV.S. : Le dessin, la BD, sont des choses extrêmement personnelles. Quand tu es animateur, tu restes un anonyme. En tant qu’artiste, nous voudrions voir notre nom apparaître sur un album nous appartenant. Il ne s’agit pas uniquement d’une question d’ego : il y aussi le désir de s’exprimer et d’exister en tant qu’artiste.

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