Quand Lupin rencontre MIYAZAKI

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En 1979, le studio TMS (Tôkyô Movie Shinsha) fait à nouveau appel à MIYAZAKI, qui entre-temps a signé ses premières oeuvres personnelles (Panda Kopanda en 1973, en collaboration avec TAKAHATA, et Conan, le fils du futur en 1978 pour Nippon Animation), pour la mise en chantier du second film tiré de Lupin III. Pour son premier long métrage, le futur réalisateur de Princesse Mononoké a carte blanche : en plus de la réalisation, il co-signe le scénario. C’est ÔTSUKA Yasuo qui assure la direction de l’animation et le character design, mais dans le style MIYAZAKI. Réalisé en à peine six mois, le film est baptisé Kariosutoro no shiro (Le Château de Cagliostro).

Et il démarre sur les chapeaux de roue : après le braquage d’un casino de Monte-Carlo, Lupin et son acolyte, Jigen, s’aperçoivent que tous les billets sont faux. Sur la piste de la fausse monnaie, ils pénètrent dans la petite principauté de Cagliostro. Mais sitôt la frontière franchie, les ennuis commencent : une très jeune femme en robe de mariée roule à tombeau ouvert, poursuivie par deux voitures. N’écoutant que son courage (mais aussi son légendaire penchant pour les jolies filles en détresse) Lupin se lance à leur poursuite. Il tire la belle inconnue du pétrin mais celle-ci lui file entre les doigts et est reprise par ses poursuivants. Par mégarde, elle a laissé à Lupin une curieuse bague à tête de bouc, emblème du royaume.
Arrivés en ville, Lupin et Jigen apprennent que la jeune fille est la princesse Clarisse, héritière de la famille royale de Cagliostro. Mais c’est le Comte de Cagliostro, descendant d’une autre branche de la famille, qui règne sur le pays à partir de son château-forteresse monumental. La nuit suivante, Lupin et Jigen sont attaqués par des ninjas aux ordres du Comte qui veulent s’emparer de la bague… Pourquoi le Comte séquestre-t-il Clarisse ? qu’est ce que la bague a à voir dans tout cela ? De quelle nature est ce mystérieux trésor que l’on dit enfoui aux abords du château ? De son côté, quel but poursuit vraiment Lupin ? Le bouillant inspecteur Zenigata arrivera-t-il enfin à l’attraper ? Et que fait Fujiko la voleuse dans les parages?

Assez fidèle par certains aspects aux manga de MONKEY PUNCH (poursuites en voitures et autres acrobaties, bouffonneries de Lupin, présence de tous les personnages habituels, bagarres, déguisements, gadgets, trésors cachés et souterrains piégés…), le film de MIYAZAKI s’en détache par d’autres. Tout d’abord dans ce qu’il occulte ou transforme. Exit le côté obsédé sexuel de Lupin (seule son attitude au début du film vis à vis d’un serveuse dans une taverne de Cagliostro vient le rappeler, en clin d’oeil). Derrière ses pitreries, c’est le côté romantique du personnage qui est développé : un Lupin plus droit, passionné et humain qu’à l’accoutumée, presque naïf et enfantin.
Si Goemon et Jigen sont relativement égaux à eux même, Zenigata, toujours aussi hystérique, apparaît lui aussi plus sympathique : on découvre son estime pour Lupin et les circonstances du film leur donnent même l’occasion de s’allier. A la fin, néanmoins, tout rentre dans l’ordre et Zenigata repart aux trousses de son ennemi intime en braillant, ce qui fait dire à Clarisse que « L’inspecteur semble beaucoup tenir à Lupin ». Mais le personnage qui a subi la transformation la plus radicale est sans conteste Fujiko. La rousse aguicheuse et retorse en tenue moulante, qui joue avec la libido de Lupin et l’appelle au secours dès que les ennuis la rattrapent, est absolument méconnaissable. En treillis, mitrailleuse à la main, elle ne joue plus de ses charmes et apparaît forte et fière ; elle n’a pas besoin de Lupin, c’est même elle qui vient à sa rescousse.
Manifestement, MIYAZAKI et MONKEY PUNCH n’ont pas la même vision des femmes…

Mais au-delà de ces petites libertés vis à vis de l’oeuvre originale, Le Château de Cagliostro s’en détache plus largement au niveau de l’ambiance générale et via les personnages originaux. Le film porte la marque de son auteur par une histoire et une ambiance qui annoncent les oeuvres futures. Le romantisme et la poésie que dégagent certaines séquences font de ce film une production Ghibli par anticipation.
L’histoire est un savant mélange de romantisme, d’action débridée, d’humour, avec des séquences où l’émotion confine à l’émerveillement. Le film comporte une bonne dizaine de scènes d’anthologie, aussi bien dans l’action que dans l’émotion, les décors superbes évoquent une Europe fantasmée et la réalisation technique est, pour l’époque, exceptionnelle. Manifestement inspiré par Paul GRIMAULT, MIYAZAKI apporte au film cette touche de poésie romantique qui caractérise l’oeuvre du maître français. Le Château du Comte rappelle celui du Tyran du Roi et l’oiseau, aussi bien dans son aspect extérieur que par les “gadgets” dont il est truffé (notamment le couloir rétractable qui conduit au donjon où est enfermée la princesse). La comparaison ne s’arrête d’ailleurs pas là : Cagliostro séquestre Clarisse dans un donjon pour la forcer à l’épouser et Lupin, tel le petit ramoneur, viendra l’en délivrer. Clarisse est un personnage attachant, sosie de Nausicaä, frêle de corps mais forte de caractère. Sa pureté éblouit Lupin, qui en oublie ses penchants habituels. Leur relation, faite d’amour fraternel et de confiance, est très touchante et constitue l’âme du film.
Mais Le Château de Cagliostro est aussi l’occasion d’un retour aux sources de l’oeuvre de Maurice LEBLANC (créateur d’Arsène Lupin), puisqu’il fait explicitement référence à l’un des romans de la série : La Comtesse de Cagliostro (1924). De plus, le mystère des deux bagues à tête de bouc est dans la plus pure tradition des fameuses « quatre énigme » de la série de romans (voir article : Lupin le Premier). Enfin, touché par Clarisse, notre Lupin troisième du nom retrouve un peu de la noblesse de caractère qui faisait le charme de son illustre aïeul…

Immense succès au Japon, Le Château de Cagliostro y est encore considéré comme l’un des meilleurs anime de tous les temps, si l’on en croit son classement chaque année à l’Anime Grand Prix. Le film vient d’ailleurs d’y être réédité en DVD, dans la collection « Studio Ghibli », et il se classe en tête des ventes d’anime sur ce support… En France, on a pu le découvrir grâce à Manga Vidéo, mais d’abord dans une version inexplicablement tronquée (toutes les scènes où apparaît Goemon le samourai étaient coupées…). La récente réédition répare cette injustice mais Lupin y est toujours appelé Wolf, pour ne pas froisser les héritiers de Maurice LEBLANC. Quant à MIYAZAKI, il réalisa en 1980 deux épisodes, paraît-il exceptionnels, de la seconde série télé, Shin Lupin.

Oeuvre de commande pourtant tout à fait personnelle et singulière, Le château de Cagliostro a peu vieilli et est considéré comme le meilleur film de Lupin. La rencontre entre MIYAZAKI et Lupin leur a profité à tous les deux : le succès du Château de Cagliostro permit à son auteur de réaliser ensuite des longs métrages d’inspiration personnelle ; et le personnage de MONKEY PUNCH est, sans nul doute, ressorti grandi de ce film.

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