Si vous avez raté l’annonce du 28 août dernier, lisez d’abord cette information.
Dans ce rachat, qu’est-ce qui a motivé Shûeisha et Shôgakukan dans le choix de Kaze, plutôt qu’un autre éditeur bien établi en France?
John Easum : Depuis la naissance de Viz Media Europe, il y a presque trois ans, nous avons pris le temps d’analyser le marché. Un des objectifs de Viz à l’époque était de donner une cohérence entre l’exploitation de manga et d’anime. Nous souhaitions être plus réactifs et créer des ponts « mediamix » sur nos propriétés. Par exemple, c’est ce que nous avons fait pour Bleach, permettant de développer des stratégies communes avec les différents acteurs exploitant ce titre. Mais nous avons compris que rester un simple gérant de licence avait des limites.
Shûeisha – Shôgakukan – ShoPro a choisi Kaze car cet éditeur a développé cette politique de mediamix à son niveau, avec des liens puissants entre tous les médias, notamment audiovisuels. De plus, Kaze était assez avancé dans le domaine digital (VoD, KZTV). C’est ce qui a plu à nos maisons-mère. Au final, les deux parties étaient parfaitement complémentaires : l’une avait du contenu, l’autre la distribution. La synergie était facile à imaginer.
Pourquoi avez-vous préféré racheter un des acteurs du marché plutôt que de créer vous-même votre propre structure d’édition, comme ça été le cas aux Etats-Unis ?
JE : Parce que je ne voulais pas avoir de crise cardiaque avant l’âge de 44 ans (rires) ! Plus sérieusement, Kaze, mais aussi sa filiale Anime Virtual en Allemagne, était déjà un partenaire important de Viz et de ses maisons-mère. On peut dire que Kaze représentait déjà Viz à travers une partie de son catalogue. Cette longue histoire entre nous a rassuré les sociétés japonaises.
Ensuite, je dirais que ce n’était pas impossible de créer un label, mais c’est aussi une question de rapidité. Après avoir mûrement réfléchi, nous avons pensé que c’était la meilleure décision.
Quand s’est décidée cette transaction et depuis combien de temps Viz avait-il approché Kaze dans cette optique ?
Cédric Littardi : C’est quelque chose qui s’est construit petit à petit, au cours des deux dernières années. Depuis l’installation de Viz Media Europe à Paris, nous avons établi des relations de confiance, notamment en travaillant ensemble sur un certain nombre de licences telles que Bleach, par exemple. Au départ, je dirais qu’il était d’abord question de partenariat privilégié. La proposition de rachat est seulement venue plus tardivement.
Pourquoi vendre Kaze à un groupe japonais ? Est-ce difficile aujourd’hui de rester un éditeur indépendant ?
CL : Le développement de Kaze au-delà de la simple édition DVD devenait difficile à gérer en restant indépendant, avec des fonds propres limités. Par ailleurs, on ne peut pas cacher que la chute des ventes de DVD causée par la généralisation du téléchargement illégal ces dernières années nous aurait empêché de développer nos autres activités dans de bonnes conditions. Kaze s’est donc mis à chercher de nouveaux investisseurs. Le problème, c’est que les acteurs traditionnels de la finance, tels que les banques ou les fonds d’investissement, ne comprennent pas le marché du manga, ni les comptes d’une entreprise avec autant d’activités que la nôtre. On l’a vu : tous les gros qui se sont lancés à un moment dans l’animation japonaise, comme TF1 Vidéo, Pathé ou Warner, en sont revenus. Leurs méthodes traditionnelles ne fonctionnent pas sur ce secteur qui est réellement particulier.
En réfléchissant bien, seule des sociétés comme Shôgakukan – Shûeisha – ShoPro pouvaient le comprendre se donner les moyens de le développer. On notera au passage qu’il est très rare qu’un groupe japonais rachète directement une société étrangère.
Quels sont désormais vos rôles respectifs au sein de la nouvelle entité ?
JE : J’aimerais préciser que Shôgakukan, Shûeisha et ShoPro sont trois sociétés faisant partie de Hitotsubashi Group dont le propriétaire est la famille Oga.
C’est important de savoir que, jusqu’à présent, Viz Media Europe était une filiale à 100% de Viz Media à San Francisco, elle-même filiale du groupe. Par ce rachat, Viz Media Europe n’est plus filiale d’une société aux Etats-Unis, mais intégrée directement dans cette nouvelle structure pilotée au Japon. Nous aurons désormais une connexion directe avec Tôkyô et nous allons intégrer les équipes parisiennes de Viz et de Kaze, ainsi que nos confrères en Allemagne (nous gardons toutefois une antenne à Berlin). Cela changera symboliquement, mais également logistiquement. Désormais, je représenterai Hitotsubashi Group, en tant que président de cette nouvelle structure et je serai en relation directe avec Tôkyô.
CL : Je reste le directeur général de Kaze et je m’occuperai de tout ce qui concerne l’édition en France à travers nos différents labels. Je tiens à préciser également que jamais cette opération ne serait aboutie si nos nouveaux actionnaires ne nous avaient pas garantis que nous puissions poursuivre dans la même voie.
Comment va se passer, dans les prochains mois, l’édition en France de licences détenues par Viz. Y aura-t-il un nouveau label « Viz Vidéo » de créé ? D’une manière plus générale, le nom et la marque « Kaze » sont-ils amenés à rester dans l’édition de DVD en France ?
CL : Il n’est pas question de faire disparaître la marque Kaze. C’est une valeur forte, bien connue de notre public. Nous tenons absolument à la garder.
JE : En fait, Kaze sera la gamme commerciale de la société, auprès du grand public. Nous ne prévoyons à priori pas de créer de Viz Vidéo. Néanmoins, ce nom est aussi important pour nos maisons-mère. Viz Media Europe est connu des chaînes de télévision et des professionnels. Cela restera la marque dédiée au business.
Kaze est-il désormais contraint d’exploiter uniquement des licences du catalogue Shueisha – Shogakukan – ShoPro, ou pourra-t-il toujours acquérir des séries ou des films d’autres producteurs du Japon ?
CL : Nous n’avons aucune obligation et cela faisait partie des points essentiels auxquels nous avons tenu. Nous continuerons donc à acquérir des titres qui ne sont pas forcément détenus par Shûeisha, Shôgakukan ou ShoPro. Par exemple, nous continuerons notre politique qualitative sur les sorties cinématographiques où pourtant ces sociétés sont moins présentes. La seule chose que nous aurions pu avoir à regretter, ce serait que des partenaires au Japon qui ne voudraient plus travailler avec nous pour des raisons politiques, mais il semble au contraire que nos nouveaux liens avec le Japon les rassurent.
Bien entendu, nous récupérons de facto une partie du catalogue de droits détenus par Viz, notamment en matière d’anime. Blue Dragon, par exemple, devrait sortir chez Kaze. Mais même des titres comme Kilari font l’objet de discussions pour savoir si nous sommes bien à même de le distribuer.
Il me semble que la situation est plus complexe sur les licences manga. Depuis 20 ans, Shûeisha et Shôgakukan ont vendu leurs titres les plus importants aux plus gros acteurs du marché (Glénat, Dargaud, Pika, Delcourt…). D’abord, Viz a-t-il l’intention d’éditer du manga sur support papier en direct, devenant ainsi l’un de leurs concurrents ?
CL : Les éditions Asuka, qui font partie du groupe, vont travailler dans ce sens. Il est possible qu’Asuka deviennent un « Kaze Manga » et sommes en train de réfléchir sur ce point. Asuka va également éditer des titres de Shûeisha, avec lequel il ne travaillait pas jusqu’à présent. Toutefois, il nous apparaît plus important que jamais de continuer la politique que nous avons développée jusqu’à présent de soutien aux éditeurs quand nous travaillons un anime dont ils possèdent le manga, comme nous l’avons fait par exemple avec Nana, Monster ou Bleach.
JE : Je sais que la création de notre propre structure d’édition suscite quelques inquiétudes, mais je tiens à préciser que nous souhaitons continuer à développer le marché français en partenariat avec les autres éditeurs. Cette politique ne changera pas. Bien sûr, nous allons lancer des titres en direct, mais les relations vont se poursuivre avec les autres éditeurs. L’objectif des maisons-mère, c’est d’agrandir le marché de l’édition, pas de se l’approprier. En aucun cas, nous ne voulons déstabiliser le marché existant.
Concrètement, si demain vous avez une licence importante entre les mains, vous pourrez la proposer aux autres éditeurs avec lesquels vous travaillez depuis des années ?
JE : Absolument ! La décision de la future répartition des titres manga reviendra uniquement à Shûeisha et Shôgakukan. Bien sûr, en tant que représentant, Viz Media Europe reste l’intermédiaire (« l’agent »). De plus, l’agence Kashima continuera à gérer la plupart des licences de Shôgakukan.
Je comprends la particularité de la situation, mais nous entrerons en concurrence au même titre que les autres éditeurs français. Au final, Shûeisha et Shôgakukan veulent pouvoir choisir le meilleur acteur pour chaque titre. Ce ne sera pas forcément notre équipe et c’est important de clarifier cela.
Est-il possible de voir un jour un équivalent du magazine Shônen Jump en France ?
JE : Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui. Lancer un tel magazine manga nécessite une grande discussion et, honnêtement, ça ne fait pas partie des choses qu’on verra dans le court terme.
CL : On sait qu’en France, les différentes tentatives de magazines de pré-publications n’ont jamais duré bien longtemps. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut lancer à la légère, même si tout peut être envisagé.
Avez-vous un calendrier de travail ?
CL : Rien n’est encore fixé. Pour l’instant, Kaze et Asuka ont encore suffisamment de titres déjà acquis pour avoir de quoi sortir jusqu’au début de l’année prochaine. Il faut à présent fusionner les équipes des deux entreprises et définir les priorités à venir. C’est un chantier énorme qui donnera une nouvelle impulsion et profitera à tout le secteur
Les premiers titres communs à Viz et Kaze devrait arriver début 2010. Nous communiquerons prochainement sur ces licences.
Le rachat de Kaze / Anime Virtual concerne aujourd’hui les marchés français et allemand. Qu’en est-il de la place de Viz dans le reste de l’Europe, notamment en Italie, Espagne ou Angleterre ?
JE : Actuellement, Kaze est très actif dans les pays francophones et Anime Virtual en Allemagne et en Pologne, le plus grand pays d’Europe de l’Est. Viz, quant à lui, était déjà bien présent en tant que vendeur de licences dans toute l’Europe.
CL : Chaque marché est différent, mais pour l’instant, on a déjà la capacité de lancer directement des DVD en Allemagne, comme en France. Nous allons élargir notre positionnement en tant qu’éditeur de DVD, mais on ne va pas pour autant lancer de label en Espagne. Notre focus, pour l’instant, c’est la France et l’Allemagne. Ailleurs, nous préférons privilégier des ventes TV comme Blue Dragon ou Kilari qui arrivent en Italie. On n’a pas vraiment envie de perturber ces marchés.
JE : Néanmoins, nous allons être plus réactifs dans la gestion de ces licences. Par exemple, actuellement, chaque validation ou approbation passe par San Fransico. Demain, nous allons transférer ces fonctions à Paris pour gagner en efficacité.
Un mot sur le téléchargement (fan-sub, scan-trad). Au delà du débat qu’il suscite, ce rachat va-t-il avoir des conséquences pour les gens qui consomment du manga ou des anime sur le Net ?
CL : Parmi les facteurs qui motivent les gens à télécharger illégalement, il y a généralement le délai qu’il peut y avoir entre la diffusion d’un manga ou d’une série et son arrivée en France. En travaillant plus directement avec le Japon, nous allons nous efforcer de réduire ce temps et envisager d’autres formes de diffusion. Je pense notamment à tout ce que nous sommes en train de mettre en place avec KZTV, iTunes, Free, Alice et bientôt d’autres portails… Des nouvelles formes de média que nous avons déjà commencé déjà à exploiter.
JE : Un des grands chantiers à venir, c’est notre positionnement dans le domaine digital. Kaze l’a d’ailleurs bien compris. En élargissant notre offre avec des solutions validées, officielles et rapides, on estime que ça réduira le piratage et le téléchargement illégal.
Le délai entre le Japon et le monde entier doit être réduit. C’est d’ailleurs un paradoxe car, historiquement, les chaînes TV aiment acheter des séries qui ont fait leur preuve, qui ont des antécédents de succès ! Il faudra donc les convaincre désormais sur la richesse du contenu. Il faudra aussi créer des développements sur les nouveaux médias qui soient complémentaires avec une diffusion télévisée, ce qui n’est pas forcément facile.
Pas de commentaire
Ou une section juridique digne de "Duke Nukem" avec les moyens équivalents à ceux d'un film de Cameron.
Je repense à un truc qui m'a fait sourire "et un Jump en France", pour qu'il se casse la gueule comme Jump au Japon à la fin de Dragon Ball et Slam Dunk ?
Pour lancer un périodique en France il faut une série de ouf' et le seul véritable magazine périodique a avoir eu un succès d'estime, si mes souvenirs sont bon c'est le magazine "STRANGE".
Il y avait eu KAMEHA à un moment coté périodique manga, mais j'avais revu en librairie… donc… mort né.
Il y avait même eu DRAGON BALL en kiosque en mini périodique, pareil, plus de son ni d'image…
En tout cas, si périodique il y a en France par Shueisha, ce serait Asuka qui serait au manettes ?
Intéressant !
"En élargissant notre offre avec des solutions validées, officielles et rapides, on estime que ça réduira le piratage et le téléchargement illégal."
Pour etre muni face aux team de fansub il faudrait une diffusion des épisodes quasi instantanée(1-2 jours) avec le Japon, mais il est vrai qu'une parution déja un peu plus rapide convaincra une grande partie de fans à s'armer d'un peu de patience, et puis ça attirera un nouveau public, après tout des productions récentes et diffusées de façon régulière y a pas d'raisons qu'ça marche pas …
Cela dit les ventes d'anime sont (y parait) en constante diminution, est-ce qu'une baisse des prix est envisageable?Après tout Shôgakukan Shûeisha et ShoPro distriburont leur propres licences par l'intermédiaire de leur filiale française maintenant (à l'exception de quelques-unes d'après ce qu'ils affirment, mais les gros morceaux devraient rester chez eux) donc avec un peu moins de 'gourmandise' il pourrait s'faire moins d'marge et en vendre plus par la meme occaz', mais garder les meme prix pour les titres des éditeurs extérieurs?(utopie quand tu nous tiens)
Le renouvellement d'une licence peut il laisser imaginer une montée des enchères puisque Shueisha disposera d'une vitrine manga et Viz d'une vitrine animation…
Ainsi si un éditeur ne met pas le prix demandé, la licence serait directement exploitée par le groupe.
Ca s'annonce pimenté, et va finir comme les licences pour la ligue 1 cette affaire
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