Regis LOISEL

0

AL : Il semblerait que ta vocation de dessinateur trouve d’abord son origine dans le dessin animé, puis dans la bande dessinée seulement ensuite ?

Régis LOISEL : Exactement ! C’est vrai que je suis venu à la bande dessinée par rapport à Mickey. Et puis tous les dessins animés qui passaient à l’époque à la télévision… Enfin, il n’en passait d’ailleurs pas beaucoup, mais j’étais vraiment fasciné par ça. Évidemment, aussi, les bandes dessinées de Mickey, de Bugs Bunny, de Tom et Jerry… ce côté un peu animalier. Après, j’ai découvert tous les fascicules italiens du genre Bleck le Roc, Tex Willer, Buck John et Kit Carson. Enfin, tous ces trucs-là quoi… Donc, moi, j’étais vraiment bande dessinée populaire. Je n’étais pas du tout animé par la bande dessinée franco-belge du style Spirou ou Tintin.

AL : Ta fascination pour Peter Pan et l’idée de reprendre par la suite le personnage proviennent donc, en premier lieu, de ta découverte, enfant, du film d’animation de Disney ?

RL : Oui. Enfant, quand j’ai vu ce film – je devais avoir environ treize ans – j’avais été vraiment fasciné. Je l’avais vu deux fois d’affilée. C’était les permanences à l’époque dans les cinémas de Province… C’était pour moi merveilleux ! Parce que, sinon, les seules fois où je voyais des extraits de Peter Pan, c’était dans les émissions de fin d’année du genre L’ami public n°1. C’était Pierre TCHERNIA, ça durait deux heures et les gens téléphonaient pour tel ou tel extrait. Quelquefois, il y avait un petit extrait de Peter Pan et je rêvais de voir ça ! Car les dessins animés n’étaient pas diffusés sur le petit écran à l’époque. Alors qu’aujourd’hui, tu y as accès en cassette, en DVD. Tout le monde peut avoir du Disney chez lui !

AL : Peter Pan, c’est donc pour toi d’abord Disney, plus encore que le livre originel de James Matthew BARRIE, voire l’adolescent au fond de toi qui refuse de grandir ?

RL : Non. Ce n’est pas BARRIE, parce que je savais que c’était issu d’un bouquin de BARRIE, mais je n’avais pas eu la curiosité de m’y intéresser. Le film m’avait pleinement satisfait. Et puis, j’étais gamin… Et, finalement, ça m’est venu. En 1985, pendant que je faisais Le Rige, le troisième tome de La Quête de l’Oiseau du Temps, l’idée s’est mise en place progressivement… Parce que j’avais dû voir le film Peter Pan avec mon fils Blaise, qui est maintenant adulte, et je me suis dit qu’il y avait là décidément des choses qui m’intéressaient. Parce que le film de Disney était très édulcoré. C’était une synthèse du bouquin de BARRIE, qui était lui-même aussi très édulcoré. Ça n’était que des petites anecdotes, sans fil conducteur, alors que je pensais vivre des tas d’aventures ! Mais c’était plutôt Peter Pan fait ceci, Peter Pan fait cela… Des choses qui n’étaient pas expliquées. Et, de mon côté, je commençais à inventer une origine ou une explication à ceci ou cela… Pourquoi un réveil dans le ventre du crocodile ? Pourquoi Crochet a eu la main coupée ? Pourquoi une île ? Donc, j’essaie de donner ma version. Et c’est vraiment rigolo de constater que, maintenant, beaucoup de gens se sont appropriés Peter Pan à travers mes bandes dessinées. Ils disent : “C’est ça Peter Pan ! C’est ça la véritable histoire de Peter Pan !” C’est rigolo…

AL : Durant ton enfance et ton adolescence, outre la bande dessinée populaire européenne, tu es également influencé par une certaine bande dessinée américaine ? Celle de Jack DAVIS, de Wallace WOOD et du magazine Mad ?

RL : C’est vrai ! L’équipe de Mad. Plus que les comics américains : ils ne m’ont jamais vraiment inspiré… Ce fut le choc quand j’ai découvert ces deux dessinateurs ! Ils alliaient, à la fois, le côté pastiche, caricatural, et le côté extrêmement vivant d’une bande dessinée très gestuelle. Avec plein de monde ! Avec des gueules ! Avec des choses comme ça… Là, j’étais adolescent. J’avais seize, dix-sept, dix-huit ans. C’était l’époque de 68. C’était l’époque de Little Annie Fanny. Pas Little Orphan Annie créée par Harold GRAY, mais bien la Little Annie d’Harvey KURTZMAN, de Will ELDER et de l’équipe de Mad. Celle qui avait de gros seins… !

AL : Le fait que, dans ta technique de dessin, tu puises en partie dans le registre de la caricature, est-ce que cela s’explique par de telles influences ?

RL : Oui, ça peut venir de là. Mais ça vient peut-être également de MORRIS, voire de Disney. En fait, il s’agit de tout un amalgame. Quand tu es gamin, tu te nourris de tout ce que tu aimes. Et puis, comme tu es dessinateur, tu dessines un peu à la manière de… , suivant ton influence du moment. Après, tu es influencé par autre chose. Puis, ça, plus ça, plus ça, plus ta personnalité, ça fait autre chose.

AL : Ta qualité d’autodidacte doit aussi te forcer à prendre un peu partout ce que tu trouves ?

RL : Exactement ! C’est pourquoi je donne souvent aux jeunes le conseil de regarder, d’ailleurs pas forcément en passant par mon expérience, mais la plus belle des écoles consiste à regarder et à recopier. Comme les grands maîtres dans la peinture. PICASSO, ou autre, ils allaient dans les musées recopier les grands maîtres. C’est une manière de voir comment ça fonctionnait…

AL : Grand fan des studios Disney depuis ta jeunesse, tu as également travaillé sur certaines de leurs productions les plus récentes comme Mulan, Tarzan et Atlantide, L’empire perdu ?
RL :
J’ai travaillé sur Mulan essentiellement. Et sur Atlantide… . Pour Tarzan, je suis venu deux week-ends à Paris pour parler de la manière dont, moi, je voyais Tarzan. J’ai émis l’idée de lui mettre des dreadlocks, des bourres dans les cheveux. Parce qu’ils avaient fait un Tarzan vachement bien coiffé. Trop. On avait l’impression qu’il venait de passer dans les mains d’un coiffeur italien… Sinon, graphiquement, il n’y a rien. Je n’ai rien fait.
Sur Mulan, j’ai travaillé sur ce qu’ils appellent le dessin ” inspirationnel “. Quand je suis arrivé là-bas, je ne savais pas de quoi il s’agissait. On m’a dit : “Tiens, vous êtes dans un marché chinois au XIe siècle, trouvez-nous des situations !” Ou, par exemple : “Vous êtes dans un camp de barbares, trouvez-nous des situations !” Bon, les camps des barbares nomades, ils restaient une nuit et ils repartaient le lendemain. Il n’était donc pas question d’architectures… Donc, au fur et à mesure, j’ai trouvé des situations. Des petites saynètes, des petits machins. Qu’ils prenaient, ou qu’ils ne prenaient pas… D’ailleurs, ils n’ont rien pris. Mais ils étaient ravis parce qu’il y avait une poésie dans ce que j’avais fait. Même si cela ne pouvait pas fonctionner pour ce dessin animé-là. Parce que ce n’était pas le propos et parce qu’un dessin animé c’est comme un film. Il y a un timing précis à respecter. Même si cela leur plaisait, ils n’allaient pas rajouter une scène. Parce que cela dépassait le timing et qu’une scène de deux minutes, ça coûte très très cher. Cependant, satisfaits du boulot que j’avais fait, ils m’ont recontacté deux ans après pour faire les personnages principaux d’Atlantide, l’empire perdu. J’ai donc dessiné mes personnages principaux et, de tout ce que j’ai fait, il n’en est rien resté car mes dessins sont repartis sur un autre dessinateur, puis les dessins de ce dernier sont repartis sur un autre dessinateur. Et ils n’ont conservé que ce qui les intéressaient.

AL : Ils sont donc allés chercher de l’inspiration chez toi, dessinateur européen, et ils ont confronté ton travail pour Atlantide… avec celui de Mike MIGNOLA, au style différent, expressionniste en noir et blanc ? On ne s’attend pas forcément, venant de leur part, à ce mélange assez étonnant et intéressant ?

RL : Oui. Mais l’idée en revient aux gens de Disney… Certes, il est vrai que, quand tu regardes Atlantide… , tu n’y trouves rien que l’on puisse éventuellement m’attribuer en disant : “Tiens, là il y a un peu de LOISEL”…

AL : Contrairement au nouveau film de Disney, Lilo et Stitch ?

RL : Dans ce film, je pense que le petit personnage est assez inspiré par le Fourreux de La Quête de l’Oiseau du Temps. Là, ils ont quand même dû regarder mes “trucs” ! Je sais que j’ai découvert ça parce que pas mal de gens m’ont dit d’aller voir sur Internet ou d’acheter tel bouquin avec des images de ce petit personnage. Alors, c’est vrai que ce n’est pas tout à fait ça. Mais on sent que, dans la morphologie et dans l’ensemble, c’est assez inspiré de…

AL :…de certains petits personnages bleus à canines proéminentes de Peter Pan également ?
RL :
Voilà… Il est bleu, il a un peu les mêmes couleurs, les mêmes pattes, la même morphologie, les rondeurs, un peu la même tenue. Bon, il a le nez qui change, parce qu’ils ont pris plutôt un nez de koala et ils ont fait les oreilles différemment. Bon, c’est un autre personnage, qui est inspiré de… . Mais on ne peut pas dire que c’est un plagiat. Car il y a trop de différences pour que ce soit un plagiat.

AL : Tu avais aussi créé ce type de petit personnage dans le cadre de ton travail sur un jeu vidéo ?

RL : Je n’ai pas vraiment de connaissances dans le domaine du jeu vidéo. Je suis arrivé là par accident. Parce que l’on m’avait demandé de faire une mascotte du jeu. Un personnage rouge, vague cousin du Fourreux. J’ai donc fais la mascotte. Mais, comme je n’y connais rien et que je ne peux pas m’empêcher de ramener ma gueule, j’ai suggéré des choses et les gens du jeu se sont dits que je pourrais faire ça, ça ou ça… J’ai donc travaillé sur le scénario de ce jeu, Gift de Cryo, avec Philippe ULRICH ; ainsi que sur les story-boards des animatics, les séquences animées, et sur les personnages, faces et profils. Ceci dit, entre ce que j’ai fait, ce que j’ai proposé et ce qui a été réalisé, on en est à des années-lumière car j’avais créé un rythme dans le truc. Mais, bon, le jeu, c’est le jeu. Tandis que les séquences animées, c’est autre chose. C’est un plus. Mais il est vrai que cela coûte très cher. Alors, ils ont coupé beaucoup de gags, de machins… Du coup, ça n’a plus la même saveur. En plus de cela, les bruitages ne sont pas très bons… Mais c’était une expérience et, de cette expérience-là, va naître une série de petits épisodes d’animation en 3D car un producteur a été intéressé par le personnage et par l’univers développés pour ce jeu.

AL : L’évocation du Fourreux nous ramène à La Quête de l’Oiseau du Temps. Son succès provient, en partie, de la rencontre entre le genre anglo-saxon de l’Heroic Fantasy et une certaine spécificité et sensibilité à la française que vous lui apportez avec le scénariste Serge LE TENDRE ?

RL : Oui. Mais nous ne l’avons pas fait exprès ! Je vais te dire une chose : je n’ai jamais aimé l’Heroic Fantasy. J’ai horreur de l’Heroic Fantasy ! Avec Serge, à l’époque, en 1973, nous nous sommes rencontrés et nous avons parlé de La Quête… . Lui avait une vague idée. Mais cela n’avait rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui. À ses propres idées, j’ai rajouté mes idées et, petit à petit, tout cela a fait son chemin.
Il y a eu une première version, en 1975, dans le magazine Imagine, qui n’a rien à voir avec ce qui a été fait après. Ensuite, on a repris La Quête… en 1982, car c’était quelque chose qui nous tenait à coeur. Moi, graphiquement, j’avais évolué entre les deux périodes et je me suis mis à faire La Quête… comme je pensais la faire. Pas du tout inspiré par les uns ou par les autres. Inspiré par mon univers à moi. Par une manière de faire les choses. Par une manière d’aimer reproduire la nature. Des choses pas bizarres, mais simples… Des trucs sur pilotis dans le brouillard… Des animaux qui sont crédibles, dans le sens où il ne s’agit pas de monstres “monstrueux”. Contrairement aux Américains qui vont te faire dix yeux, deux cornes et des écailles. Un amalgame, un melting-pot, un patchwork de références animalières. L’iguane, le machin… Des trucs qui accrochent, qui déchirent ou qui broient… Moi, j’ai fait des trucs avec un design très simple. Des bestioles pas compliquées, mais qui ont leur propre logique.

AL : Un autre aspect important réside dans cet amour des rondeurs et ce côté rabelaisien qui est développé dans La Quête… ? Ce que j’ose résumer par : “le cul de Pélisse”…

RL : Que l’on ne voit jamais d’ailleurs ! Dans le scénario de LE TENDRE, dans le premier tome, Pélisse se met face à la foule et on devait voir une grosse paire de seins. Mais j’ai préféré prendre le phénomène inverse. J’ai préféré la représenter de dos et montrer l’expression des gens. Ainsi, en tant que lecteur, tu te dis : “Mince, mais je ne les vois pas moi les seins ! Je voudrais bien les voir !” Mais jamais tu ne les verras ! Et quand quelqu’un voit son cul, c’est l’Inconnu ! Il se dit : “Waouh ! Quel cul !” Et, nous, lecteurs, on ne le voit pas. On imagine…
Je pense que c’est un personnage qui a été mythique pour cela. Car, objectivement, si tu regardes les dessins de l’époque, elle est très laide ! Enfin, elle était à la limite du singe car mon trait n’était pas ce qu’il est devenu maintenant. Mais les gens ont oublié le trait et il ne reste seulement que ce qu’ils ont imaginé. Parce que, justement, je n’ai pas montré les choses…

AL : Toi qui te situes à la croisée de l’Europe et de l’Amérique en ce qui concerne tes influences formatrices, comprends-tu l’engouement de la jeune génération pour le dessin animé japonais et pour les manga ?

RL : Oui. C’est une question de génération et tout vient de l’enfance. Le gamin, tu lui files du manga à regarder, il regarde le manga et c’est ça qui va l’intéresser. Moi, c’était Disney à l’époque et, pour d’autres, je ne sais pas quoi… Mais, bon, Albator ça existe depuis déjà longtemps. Depuis plus de vingt ans, tous ces gamins, y compris les miens d’ailleurs, ont été petit à petit inspirés. Au fur et à mesure, les manga ont commencé à “grignoter” de plus en plus l’Europe. Donc, le mec qui veut faire de la bande dessinée maintenant, automatiquement, il est obligé de regarder ce qui se fait en franco-belge et de regarder également les manga. Quelqu’un comme MARINI, par exemple, s’est inspiré des manga. FRANCARD aussi. Plein de gens se sont inspirés des manga. Remaniés à l’européenne, ça amène un autre style, différent. On ne peut pas dire qu’on ait à faire à des manga, mais on sent qu’il y a là quelque chose qui vient en partie des manga.

AL : On en arrive ainsi à une bande dessinée hybride, un style hybride qui puise dans trois courants majeurs, le franco-belge, les comics américains et les manga…

RL : Tout à fait. C’est normal d’ailleurs ! On s’inspire de tout. Rien ne naît comme ça. Parce que tu prends des choses à droite et à gauche. Tu mets là-dessus ta petite sauce à toi et ça fait quelque chose qui va te donner une impression de nouveau. Quelque chose que tu n’as jamais vu. En fait, tout existe maintenant. On ne fait que reprendre les choses et les remanier différemment, en changeant de point de vue.

AL : Donc, tu vois une influence de plus en plus forte des manga et des comics américains s’exercer sur la production franco-belge actuelle ?

RL : À vrai dire, je ne le vois pas car je regarde très peu de bandes dessinées. Je regarde comme ça, à l’occasion, lorsque je suis dans un festival ou dans une librairie. Mais je ne suis pas surpris. Je ne suis pas épaté. Il y a des gens qui dessinent bien. Beaucoup et de mieux en mieux d’ailleurs ! Mais c’est toujours cette impression de déjà-vu. C’est le même type de couleurs. C’est le même type de narration ou de mise en page avec les cadres qui débordent. C’est toujours un peu de l’Heroic Fantasy. Tu as l’impression qu’il ne se passe rien de nouveau.
La seule chose nouvelle qui s’est passée ces derniers temps, c’est GUARDINO avec Blacksad [NDLR : Blacksad de Diaz CANALES et de GUARDINO, publié par Dargaud]. C’est tout ! Et pas parce que j’en ai rédigé la préface… Parce que c’était quelque chose de bien dessiné, surprenant dans les couleurs, surprenant dans la narration et dans la manière de faire. De mettre des personnages humains avec des têtes animales. Certes, ça c’est déjà fait avant. Ça n’est pas la première fois… Ceci dit, remanié de la façon dont cela a été remanié, avec la maestria que ce garçon possède, avec son intelligence et sa finesse… Ça, c’était super !
Ça me rappelle, dans un genre différent, Ranxerox, au début des années 80. Quand c’est arrivé, j’ai pris un coup dans la gueule ! Mais, maintenant, il y a tellement de gens qui dessinent comme LIBERATORE, avec un serti noir, avec un modelé à l’intérieur… Bon, cela banalise le truc. Tu as désormais l’impression que ça date.

AL : En définitive, comment analyses-tu cette place grandissante prise par les manga et par les comics ? De façon positive ou négative ?

RL : C’est plutôt positif. C’est très bien que les jeunes lisent des manga et, petit à petit, commencent, à part les manga, à découvrir autre chose en se disant qu’il existe une bande dessinée française en partie inspirée par les manga. En lisant cette dernière, ils vont ensuite se dire qu’ils aimeraient bien lire de la bande dessinée d’inspiration purement européenne. Puis, ils vont découvrir Corto Maltese, La Quête…, JUILLARD, TARDI et des tas d’auteurs. C’est un moyen de les ouvrir à tout ça. S’ils restent toute leur vie sur le manga, ça n’est pas important. Tant pis pour eux., ça n’est pas grave ! Mais je pense que c’est un moyen de les ouvrir… Je pense qu’il n’y a pas de mauvaises choses dans la bande dessinée. Il y a des courants. On prend ou on ne prend pas. C’est le public qui décide.

AL : Quels sont tes goûts en matière de manga et de dessins animés japonais ?

RL : Porco Rosso et Princesse Mononoke m’avaient surpris. MIYAZAKI, par le rythme et par la manière, c’est super… Même si je ne suis pas toujours en osmose avec ce type de personnages. Ils ont des caractéristiques qui, à moi, ne me sont pas familières ; qui sont un peu grossières et caricaturales dans l’expression. Mais, dans les décors, dans les thèmes, dans la narration, les Japonais ont vingt coudées d’avance sur les Américains ! Parce que chez les Américains, il ne se passe plus rien. Ils ne font que répéter les mêmes recettes et ça devient très chiant !
Évidemment, il y a un label Disney. Alors, comme on veut concurrencer Disney, on fait toujours du sous-Disney, ou l’équivalent. Des choses qui sont très belles d’ailleurs ! Mais qui n’étonnent pas. Alors que Princesse Mononoke, ça t’étonne ! Quand tu penses que ce dessin animé dure deux heures un quart et, qu’à aucun moment, tu ne te fais chier ! C’est quand même extraordinaire !

AL : As-tu également été de ceux qui ont ressenti le choc provoqué par Akira d’OTOMO ?

RL : Akira, j’avais vu surtout le manga et j’avais trouvé que c’était vachement bien foutu ! J’ai eu accès, malheureusement, à une très mauvaise cassette du film au moment où il est sorti en vidéo et, depuis, je ne l’ai pas revu. Mais j’aimerais bien le revoir.

AL : L’homme qui marche de TANIGUCHI, plus calme et d’une grande sensibilité, doit aussi faire partie des manga susceptibles de te plaire ?

RL : Je ne connais pas. Mais, d’une manière générale, je suis toujours très sensible au dessin. Donc, si le dessin n’est pas présent au niveau des personnages, j’ai du mal. Évidemment, dans les dessins animés, il peut y avoir de jolis décors, une jolie musique. Cependant, ce qui m’intéresse, dans le dessin, ce sont les personnages. Néanmoins, les codes japonais, il est vrai, ne sont pas des codes que je connais bien.

AL : En 1979, tu as fondé le studio Bergame à Paris, avec Michel ROUGE et Olivier TAFFIN notamment. Vos méthodes de travail d’alors avaient-elles quelque chose à voir avec le système de production japonais ou s’agissait-il plutôt d’un artisanat à l’européenne ?

RL : Il faut bien voir que, quand on parle de l’atelier Bergame, c’est un endroit où trois dessinateurs travaillaient plutôt que de rester chacun chez soi. On se tenait chaud. On déconnait. Mais chacun faisait ses bandes dessinées. Il n’y avait pas d’interpénétrations. Aucune personne n’a travaillé sur mes bandes dessinées, comme moi je n’ai pas travaillé sur celles des autres. C’était simplement un regard… On se tenait chaud et on a fait des petits boulots en commun qui n’avaient rien à voir avec l’édition. Pour la pub par exemple. Des petites choses qui demandaient du temps mais qui étaient inintéressantes. On faisait ça pour le fric. On en mettait un bon coup à trois et on partageait la galette à trois ! Plutôt que de travailler quinze jours, on travaillait une petite semaine à trois et c’était réglé. On touchait moins d’argent mais on se faisait également moins chier !

AL : Peut-on dire quelques mots de tes projets à venir, une fois terminé Peter Pan ?

RL : Il va sûrement y avoir la suite de La Quête… , que je vais certainement reprendre…

AL : Après avoir été co-scénariste avec LE TENDRE, tu vas donc reprendre le dessin, laissé à LIDWINE sur L’ami Javin, le tome 1 de la suite de La Quête… ?

RL : Oui, je vais reprendre le dessin parce que LIDWINE n’aura pas le temps pour le moment. Il est sur autre chose. Mais, avec LE TENDRE, nous ferons certainement le scénario ensemble sur les tomes 2 et 3. Comme ça, je vais dessiner le second et, quand LIDWINE aura fini, il fera le troisième. Ainsi, les gens n’attendront pas trop longtemps entre les deux… Enfin, c’est ce qui est dit. Mais, entre ce qui est dit et ce qui va être fait, ça c’est autre chose…

AL : Pour conclure, ton installation au Québec trouve-t-elle une motivation dans un quelconque projet que tu souhaites concrétiser sur place ?

RL : Non, en fait, il s’agit d’un pur hasard. Rien ne m’attire particulièrement là-bas. C’est simplement une expérience. Suite à un coup de téléphone d’un copain qui m’a vanté le Québec… À ce moment, je voulais déménager, mais pour aller en ville, à 30 kilomètres de chez moi, car j’habitais à la campagne. J’étais en Touraine et je voulais aller à Tours. Je n’ai pas trouvé à Tours… Mais, entre-temps, un copain m’a vanté par téléphone, depuis le Canada, les mérites de ce pays. Je me suis dit alors pourquoi pas le Canada ? Comme j’aurais pu dire pourquoi pas l’Italie ? Et puis, je suis venu à Paris pour voir mon éditeur, Vents d’Ouest, et j’en ai profité pour passer à l’ambassade et pour prendre un dossier. Je l’ai rempli par jeu. Par jeu, on m’a répondu. Au fur et à mesure, ça c’est fait comme ça et, à un certain moment, on m’a dit : “C’est bon, vous pouvez y aller”… Donc, on s’est dit qu’on allait y aller puisqu’on pouvait y aller… Bon, je ne pense pas y rester 107 ans. Je ne crois pas. Mais pourquoi pas trois ou quatre ans encore…

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur