Après un excellent premier numéro, la revue 10 000 images s’intéresse à Osamu Tezuka. Le précédent numéro traitait du yaoi avec une réelle intelligence : analyses fines, réflexions poussées… on avait entre les mains une excellente revue destinée à un public de passionnés désireux de comprendre les mécanismes de création du genre.
L’arrivée de ce second numéro, consacré à Osamu Tezuka, ne pouvait donc que nous intéresser puisque parler de Tezuka revient à parler de la création du manga. De plus, la revue a augmenté sa pagination de 50%, la faisant passer à 256 pages et propose deux nouvelles inédites du maître, ce qui n’est pas rien !
Dissection du numéro
Après une biographie d’Osamu Tezuka, un fin connaisseur de la bande dessinée, Jean-Paul Jennequin (auteur de BD et spécialiste de la bande dessinée homo et américaine) lance les hostilités. En s’intéressant aux retouches effectuées par Tezuka sur La Nouvelle île au trésor, Jennequin croit voir une sorte de mensonge organisée par son créateur. Tezuka aurait gommé ses erreurs pour faire croire qu’il aurait démarré seul (ce manga fut en fait cosigné par Shimachima Sakai) et se faisant passer pour un maître dès son premier titre (Jennequin déplore en fait la pauvreté de la mise en scène). De plus, il aurait donné l’impression de penser dès ses débuts en terme de caméra, se donnant l’image d’un animateur frustré : le manga serait juste le film du pauvre.
Avec ce papier, le ton est donné. Ainsi, Xavier Hébert s’intéresse ensuite à l’analyse du style de Tezuka, critiquant l’aspect pionnier de l’auteur, insistant sur ses emprunts à d’autres et sur la façon dont le maître a créé une narration de plus en plus efficace. L’image de Tezuka, inventeur du manga, en ressort écornée.
Les chroniques des œuvres du maître publiées en France laissent, là encore, un étrange goût puisqu’aucune ne trouve totalement grâce aux yeux des rédacteurs. Même Bouddha ou Black Jack sont remis en cause. Le lecteur se demandera sans doute quoi lire de Tezuka, tant tout semble finalement décevant.
Tezukamasutra : de l’art ou du cochon ? développe une autre forme de critique. Sébastien Kimbergt démontre que si on accole systématiquement à Tezuka l’épithète d’humaniste, il vaudrait mieux reconsidérer notre opinion sur la question et s’intéresser à l’érotisme dans son œuvre. Les deux nouvelles publiées en fin de volume n’ont d’ailleurs pas été choisies par hasard : elles entendent récapituler quelques unes des obsessions sexuelles de Tezuka.
Il faudrait bien sûr faire un sort aux quelques autres textes, mais ils ne rentrent pas dans le cadre de notre réflexion : Kimbergt s’offre une étude psychanalytique sur Ayako et Elodie Lepelletier s’intéresse aux remakes des œuvres de Tezuka (elle oublie juste de citer l’emploi des personnages de Vampires dans Léviathan). N’oublions pas non plus les interviews des éditeurs français et japonais de Tezuka : elles n’apportent pas d’éclairage particulier même si on apprécie les propos de Dominique Véret (Akata) pour son franc parlé et ses réflexions.
Contre étude de Tezuka
Ce numéro nous a donc un peu surpris. S’il paraît logique de critiquer Osamu Tezuka, les rédacteurs vont parfois loin. Le sous-titre de la revue annonce déjà la couleur. « Dissection d’un mythe » évoque à la fois l’idée que ce mythe est mort et d’autre part qu’on va découvrir, à y regarder de plus près, des choses contestables… pourquoi-pas ! mais en cela la revue cède à l’air du temps : on se croirait dans l’émission de dézingage des people, On n’est pas couché, avec Eric Zemmour et Eric Naulleau, qui vous démontrent que, finalement, tout ce qu’on croyait être vrai, eh bien c’est de la pipette pour bobo…
Il y a bien ici une volonté éditoriale de casser le personnage Tezuka. Pourtant, si on avait voulu démontrer son humanisme ou l’importance de ses œuvres pour enfants, les exemples n’auraient sans doute pas manqués. À la place, on découvre un auteur roublard, inégal sur ses séries et à l’intérieur même des pages d’une œuvre, copieur autant que copié, trainant derrière lui des obsessions sexuelles consternantes et finalement antiféministe. Ses créations sont même datées et finalement assez décevantes si on prend de la hauteur pour les observer.
Quand on aime…
Qu’on ne s’imagine pas que nous cherchons à contester la valeur de ce numéro : il est très intéressant car il propose des lectures, informations et réflexions inédites et référencées. Les amateurs de Tezuka auraient donc tort de la bouder. Toutefois, nous regrettons un parti pris éditorial trop porté sur la remise en question. Une contre analyse, dans le cadre d’une réflexion globale sur le travail de Tezuka, aurait permis de démontrer l’inanité des hagiographies entourant le maître sans pour autant finir par laisser croire que Tezuka serait devenu un géant un peu par accident.
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