TAKAHATA et Horus

0

Pour cerner cette « oeuvre de la renaissance » de Tôei Animation (1), le programmateur du festival Ilan NGUYEN est revenu sur le contexte de production du film et sa place dans la filmographie du studio. Lancé en 1965 comme 10e long métrage de Tôei Animation, Taiyô no ôji no Horusu no daibôken ne sortit en salles que 3 ans plus tard, en tant que 14e long métrage, du fait des difficultés rencontrées (la production fut même un temps abandonnée). Le film a réuni, autour du réalisateur TAKAHATA Isao, des personnalités-phares du cinéma d’animation : ÔTSUKA Yasuo (directeur de l’animation), MIYAZAKI Hayao (crédité à la « construction scénique » et également animateur-clé), MORI Yasuji, KOTABE Yôichi et son épouse OKUYAMA Reiko (animateurs-clés). Ce projet fut davantage voulu par le syndicat du studio, dont ÔTSUKA et TAKAHATA étaient des membres actifs, que par la direction. « Les deux hommes avaient des idées précises sur la qualité qu’ils souhaitaient obtenir et sur le pouvoir directeur accordé au metteur en scène, avec une participation active de tous concernant les idées », a expliqué Ilan NGUYEN. Des démarches à l’encontre du système alors en vigueur chez Tôei Animation. En avance sur son temps, Horus connut davantage de succès à la fin des années 70 qu’à sa sortie.

Retour aux années 60

Les premiers mots de TAKAHATA Isao exprimèrent le trouble ressenti en apprenant la sortie dans les salles françaises du film, dans un contexte proche de celui de sa sortie nippone, en 1968. « Se propageait alors dans la société japonaise un sentiment de crise, de danger, du fait de la guerre du Viêtnam. L’éventualité que les Etats-Unis ne gagnent pas cette guerre n’était pas exclue, et le Japon, son allié, risquait d’être entraîné dans ce conflit. Aujourd’hui, je retrouve cette situation de crise avec l’intervention unilatérale des Etats-Unis en Irak. Or, en dépit de l’article 9 de notre Constitution, par lequel le peuple japonais renonce au droit de faire la guerre et d’intervenir dans des conflits armés, le gouvernement KOIZUMI (2) a décidé l’envoi des forces d’auto-défense japonaises en Irak. Malgré l’opposition à cette mesure de 80% de la population. » L’état de fait de la fin des années 60 a joué sur l’élaboration de Horus, prince du soleil. « Pour le personnage d’Hilda, tiraillée par des tensions psychologiques contraires, nous avons pensé à ce que devaient ressentir les soldats américains au Viêtnam : accueillis en ennemis, coincés dans un guêpier, menant un combat tout en s’interrogeant sur leur motivation…»

Les années 60 furent aussi synonymes d’autres problèmes majeurs, dont « celui de l’environnement, le développement économique du Japon s’étant basé sur la destruction de la nature. Auparavant, le rapport entre l’homme et la nature était du domaine de l’interaction, mais ce lien se dilue dans les années 60. » Le réalisateur évoqua l’un des grands sujets de société de l’époque, la maladie de Minamata (3). « Ce n’est que dans les années 70 que les entreprises en cause perdent leurs premiers procès ; la fin des années 60 est encore liée à la haute croissance économique. » L’autre problème qu’est l’industrialisation provoqua le dépeuplement des villages, détruisant l’unité de base de la société qu’étaient ces communautés. S’il n’y a pas de référence à l’environnement dans Horus, la menace pesant sur la communauté humaine est elle très présente. « Durant la guerre du Viêtnam, les Etats-Unis luttèrent contre une guérilla. Pour la combattre, ils utilisèrent des méthodes brûler des villages, déplacer la population dans des camps qui détruisirent des communautés. Assister à un tel spectacle était extrêmement douloureux, c’était un cauchemar. Et voilà qu’il se poursuit aujourd’hui. » Ces événements ont déclenché chez TAKAHATA une « prise de conscience » qu’il cultive toujours.

Récit d’un combat permanent

Le réalisateur s’est ensuite exprimé sur la place d’Horus dans l’animation nippone : « Ce film fut pour nous (4) un point de départ ; il a aussi exercé une forte influence sur la génération suivante. Tous très jeunes, nous voulions réaliser ce que souhaitions voir. Alors que les films habituellement produits par la société étaient destinés au public enfantin, nous avons intégré ici des aspirations plus personnelles. Cette idée a été reprise par la suite dans l’animation japonaise. » Techniquement, Horus marqua aussi un tournant : « Nous aurions pu nous contenter de rester dans le cadre de la maîtrise technique que nous avions alors. Mais comme nous visions quelque chose d’élevé, nous avons voulu dépasser notre savoir-faire. »

De cette ambition sont nées des difficultés, causes de graves problèmes pour la société, répercutés en définitive sur le film. « Il a fallu renoncer à intégrer des scènes auxquelles nous tenions, et la direction a imposé de réduire la durée du film. Sa forme achevée de 82 minutes est courte, si on la compare à la durée de mes autres films, autour de 100 minutes. Il y avait une forme d’inconscience à vouloir mettre autant dans un format si réduit. » TAKAHATA a avoué que chaque vision de Horus lui donnait des « sueurs froides ». « En dépit de la conscience que j’avais alors de mon manque de maturité, j’ai voulu intégrer un certain nombre de choses », a-t-il précisé, ajoutant que « ce qui était en jeu dans la réalisation de ce film était le combat permanent contre la direction du studio. Notre travail, qui nous posa de nombreux problèmes formels, s’est en plus fait en opposition constante avec la société. Aussi, ce qui touche au rire ou à ce qui est plaisant, est absent de Horus. Une fois le film achevé, après tant d’adversité, est restée la pensée d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes. »

Parmi les aspects positifs qu’il reconnaît au film, figurent notamment les scènes chantées : « Je revois la plupart avec un certain soulagement. Beaucoup sont des scènes de foule certaines animées par KOTABE, d’autres par MIYAZAKI qui me surprennent par la qualité des mouvements qu’on y trouve. »

Réalisme et distance

Une des préoccupations majeures de TAKAHATA sur Horus fut que « le spectateur garde une distance par rapport à ce qu’il voyait, qu’il reste spectateur. » Une démarche à l’opposé de celles des « récits japonais où souvent l’on comble le désir du spectateur de voir certaines choses se produire. Les choses s’y passent trop bien, ce qui n’est pas le cas dans la vie. On retrouve cela dans les oeuvres de MIYAZAKI. Mes films s’efforcent au contraire de ne pas laisser oublier cela au spectateur. » Tous cependant partageaient sur Horus une recherche du réalisme : « Nous voulions montrer une réalité crédible. Nous partagions l’ambition de créer un dessin animé auquel nous puissions croire. Ensuite, à l’intérieur de cette réalité, nos chemins se sont séparés sur la question de la distance au spectateur. » Lui souhaitait conjuguer réalisme et distance. Concrètement, le réalisme peut être atteint en donnant au cadre une « profondeur » : « Nous avons souvent placé les personnages dans une verticalité, l’un vu de dos, face à l’autre, afin de donner une perspective à l’ensemble. Ceci ne peut être obtenu avec un cadre plat, en plaçant les personnages de profil l’un en face de l’autre. »

L’une des grandes réussites du film, le personnage d’Hilda, a marqué durablement les esprits. « Nous avons créé une figure de dessin animé à la psychologie complexe, ce qui permet au spectateur d’avoir une appréhension du personnage avec une implication émotionnelle différente », loin « d’une plongée du public dans un spectacle dont il perd les tenants et les aboutissants, comme c’est un peu le cas chez MIYAZAKI. Cette démarche prend la forme de tours de force enchaînés les uns aux autres, procurant au spectateur le sentiment d’être venu à bout de quelque chose ». Horus fut au contraire mené avec l’idée de « permettre au spectateur de contempler le mouvement dans ce qu’il aurait de cohérent, de juste. Il s’agissait de réaliser un film de cinéma en usant des moyens du cinéma d’animation. »

Un type d’efforts menés sur le film concerne les mouvements de caméra, pour lesquelles il y eut « beaucoup d’expérimentations ». Plutôt que d’utiliser une caméra multiplane (de « mauvaise qualité chez Tôei Animation », précisa TAKAHATA), le réalisateur s’est intéressé au pan-focus, mouvement panoramique couvrant un care spatial donné. « La 3D résout aujourd’hui ce genre de problèmes, mais je préfère recréer ce type d’éléments dans un univers basé sur le tracé, ce qui donne à mon sens des résultats nettement plus concluants et intéressants que dans le domaine de la 3D. »

La rencontre s’est achevée par une question sur les mouvements de caméra, TAKAHATA y répondant en précisant qu’il les avait conçus entièrement en amont. Le réalisateur cita comme type de construction formelle remarquable (à l’aide de la caméra) car « permettant d’obtenir un effet précis sur le spectateur », des séquences tirées des Bas-Fonds de RENOIR, des 400 coups de TRUFFAUT ou des films de MIZOGUCHI. Une belle leçon de cinéma d’animation.

Parlez-en à vos amis !

A propos de l'auteur