Think different…Think EGAWA !

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Le constat est plus enthousiasmant : l’emballage apparemment éculé dissimule des thématiques communes et parfois subversives. D’un petit magicien aux joues rouges déconcertant de naïveté à un jeune homme à tout faire épris de connaissances et de découvertes, le gouffre n’est pas si béant.

Talulu est “un petit magicien venu du pays de la magie”. Hébergé chez la famille EDOJO, il s’éprend d’amitié pour le jeune garçon Honmaru. Grâce à sa magie, il va aider Honmaru à triompher des petites épreuves quotidiennes et à conquérir le coeur de sa belle, l’irréprochable Iyona. Evidemment, les bonnes intentions se transforment souvent en gaffe… Touchant de naïveté et de spontanéité, Talulu symbolise l’enfant dans son sens premier ; il découvre un pays qui lui est étranger et va se laisser guider par son instinct pour l’appréhender. Mû par ses sentiments et ses instincts, Talulu aide Honmaru par véritable amitié, mais peut aussi se laisser distraire par sa gourmandise ou son espièglerie. De l’autre côté, nous avons Kintaro Oé, 25 ans, le héros de Golden Boy, qui parcourt le Japon au guidon de son mountain bike. Ayant choisi de faire table rase de tous ses acquis, Kintaro a abandonné la fac de droit pour écumer le pays : à l’enseignement de l’université, il a préféré l’école de la vie. S’auto proclamant “homme à tout faire professionnel”, Kintaro apprend, de petit boulot en petit boulot. Naïf patenté ou génie hors norme ? Sous sa dégaine d’éternel adolescent, Kintaro fait preuve d’une faculté d’adaptation et d’assimilation hors du commun : une personnalité charismatique qui attirera les honneurs de toutes les dames croisées sur son passage, donnant lieu à des scènes assez torrides.
EGAWA s’offre donc le luxe de mettre en scène deux héros en position d’apprentissage total, et de recréer le monde sous leurs yeux. Étonnant de maturité, il nous livre dès ses 28 ans une vision du monde novatrice. Et en matière d’innovation et d’esprit d’initiative, il s’y entend : après avoir abandonné sa carrière de professeur de mathématiques pour devenir mangaka, EGAWA a toujours refusé de s’affilier à une maison d’édition particulière. On retrouve d’ailleurs ses attributs de mathématicien dans la construction de son propos : il nous livre une théorie point par point, étayée d’exemples qui seront par la suite analysés. Un véritable guide de la vie qu’EGAWA jette en pâture aux jeunes Japonais, en quête de repères dans une société en pleine mutation.

Loin d’être un mangaka didactique dans sa narration, EGAWA manie allègrement l’humour et second degré. Ses histoires prennent apparemment pied dans des cadres prédéfinis et déjà connus des lecteurs : l’école et le dépassement de soi dans Talulu, l’éducation sexuelle d’un ado attardé dans Golden Boy. Vite feuilletés, les tomes de Talulu semblent se complaire dans un humour enfantin, tandis que ceux de Golden Boy lorgnent vers le sexy. Mais EGAWA prouve très rapidement qu’il maîtrise les codes du genre, et peut se permettre de les détourner : caricature de l’homme idéal selon les codes graphiques du manga (vol.8 de Talulu), références à Devilman (le personnage de Ryval), aux sentaï… La force D’EGAWA est de rendre le lecteur complice de son rire pour mieux faire passer son message. Ainsi, la ribambelle de bombes sexuelles, tous seins dehors, qui gravite autour de Kintaro, donne lieu à une analyse sociale : les chapitres de Golden Boy sont d’ailleurs présentés comme autant d'”études” successives.

Par la fine analyse des mécanismes de séduction, le mangaka stigmatise un à un les travers de la société japonaise : dans Golden Boy, c’est l’informaticienne arriviste, la fille à papa désoeuvrée qui se joue du Lolita complex, ou encore les modestes employés de restos abusés par des yakuzas… Mais le regard n’est jamais moqueur ou cruel. Tel une éponge, Kintaro s’efface devant son interlocuteur et se nourrit de ses réactions. Comme le professeur Onizuka (GTO), Kintaro fait peu cas de son ego, il peut se mettre en danger ou se rendre ridicule si c’est pour venir en aide à une tierce personne en détresse morale. Rien n’est jamais perdu : même un personnage comme Masahiko, condensé de la misère humaine, réduit à l’état de loque malveillante par le démon de la jalousie, saura trouver écho dans la grandeur d’âme du jeune homme. Tel un prophète, Kintaro fait partager un peu de son savoir avant de s’envoler vers d’autres contrées. “Il sauvera le Japon, et pourquoi par, le monde entier… peut-être” : cette formule lapidaire introduit chaque nouvelle aventure du jeune homme. Sous couvert de second degré vivifiant, c’est bien une philosophie de la vie que nous soumet EGAWA.

C’est dans les thèmes abordés que l’on retrouve les préoccupations de EGAWA, fortement imprégnées d’animisme et de Taoïsme : le Grand Un règne, si l’homme s’en rend compte, tout devient possible. Encore proche de l’état de nature par son âge et sa situation, Talulu montre à Honmaru qu’il suffit d’être à l’écoute du Monde pour trouver sa juste place et emprunter la bonne voie. Les objets ou les éléments prennent vie (vol.4 p.161 ; vol.5, p.172 ; vol.8 p.16), les humains se transforment eux-même en vapeur d’eau pour mieux comprendre que nous sommes tous partie d’un seul et même ensemble. On assiste parfois à de véritables scènes oniriques, Honmaru et Talulu volant au-dessus de la ville dans une bulle d’eau géante (vol.5 p.177).
EGAWA, préconise l’harmonie de l’homme et des éléments, tout comme l’union du corps et de l’esprit. Il est souvent question de cette dualité dans Golden Boy. Les personnages féminins vont tester la résistance psychologique de Kintaro par un véritable harcèlement sexuel ! L’un des épisodes les plus frappants de Golden Boy reste d’ailleurs la longue épopée née de la rencontre avec M.Kongoji, Shizuka et Ryoko, ou l’initiation au “Véritable Amour” (vol.3 et 4) : véritable pamphlet de l’analyse des relations humaines, cette théorie redéfinit les fondements et les mécanismes de l’Amour et de la relation charnelle. EGAWA déploie tout son talent et fait preuve d’une véritable introspection, prenant en compte l’ego, les jeux de pouvoirs et de domination qui se nouent au sein d’une relation amoureuse. Un exercice qui tend parfois à évoquer certaines déviations comme les pratiques utilisées par les sectes, mettant en lumière les dangers de l’ascendant d’un leader charismatique sur une communauté. Car si EGAWA lorgne du côté de certaines religions millénaires, il inscrit aussi ses problématiques dans le réel.

EGAWA ne donne pas à proprement parler des leçons de vie, mais enseigne plutôt un comportement face à la Vie. Son propos trouve son apogée dans le traitement de la sexualité : fort en sens, le sexe attire l’oeil et constitue un sujet de choix au coeur des relations humaines. EGAWA aborde des thèmes aussi osés que le SM, le triolisme, allant toujours plus loin dans l’exploration des comportements sexuels (il est d’ailleurs fort probable que l’on ne voit jamais certains tomes ultérieurs de la série, jugés trop scabreux par l’éditeur). Sa force est de nous présenter ces comportements, parfois choquants parce qu’encore marginaux dans nos sociétés, sous un jour sain. Loin des atermoiements de la plupart des héros de manga pour ados, Kintaro cède allègrement aux plaisirs de la chair : il s’enrichit de ce qui est avant tout une rencontre humaine, part joyeusement à la découverte des possibilités infinies dont recèlent les relations charnelles. EGAWA ne s’interdit rien, du moment que tout est fait dans le respect de l’autre : personne n’est jamais humilié ni méprisé dans Golden Boy, tout au contraire apparaît lumineux et baigné d’altruisme. Kintaro expérimente par curiosité et par désir d’épanouissement. Le même principe de plaisir régit la vie de Talulu : rien n’est réfléchi chez ce petit magicien sorti de l’oeuf. N’ayant conscience ni du Bien, ni du Mal, il peut téter les seins d’une dame en pleine rue, par désir de satisfaction immédiat. Ces démonstrations d’affection qui choqueraient chez un humain lambda sont acceptées de bon coeur venant de Talulu, car il agit sans arrière pensée.
Par la mise en scène de Kintaro et de Talulu, personnages libérés de toute convention sociale et de tout a priori culturel, EGAWA semble donc nous dire : affranchissez-vous des tabous et des interdits qui régissent votre vie. À l’écoute de votre coeur, dans le respect et l’attention continue portés à l’Autre et au monde, la vie sera facile et pleine de surprises : chaque jour constitue un apprentissage, et une conduite positive et libérée peut porter ses fruits. Lors de brèves interventions en 2e de couverture de Golden Boy, EGAWA invite ainsi le Ministère de l’Education Publique à revoir entièrement sa copie au niveau de la pédagogie : “Apprendre devrait être stimulant et divertissant (…) mais la situation actuelle m’amène à croire qu’il est encore trop tôt pour introduire de nouvelles méthodes d’enseignement, fondées sur la capacité à utiliser son cerveau “.

Proposer une philosophie de la vie qui rompt avec un héritage culturel et social fait d’interdits et de culpabilité : davantage que par la surabondance de petites culottes et de créatures lascives, les oeuvres d’EGAWA sont réellement explosives par les messages qu’elles véhiculent. La portée de son propos est telle qu’elle a influencé la nouvelle génération de mangaka, comme FUJISHIMA Kosuke : l’un des personnages du manga You’re under arrest est d’ailleurs tiré d’une oeuvre d’EGAWA, Be free. User du manga comme support d’une véritable réflexion sur les fondements de la société semble être chose courante au Japon : à quand la découverte de nouveaux titres s’apparentant à la même catégorie en France ?

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