À l’occasion du trentième anniversaire de sa diffusion au Japon, AnimeLand revient sur Très cher frère, la série animée qui a cristallisé l’incompréhension des Français face aux anime.
Nanako Misonoo s’entendait tellement bien avec son professeur Takehiko Henmi, dans l’établissement de cours particuliers qu’elle fréquentait, qu’elle entretient avec lui une correspondance, où elle l’appelle « Très cher frère », en entrant au collège pour filles Seiran. Dans ses lettres, elle lui raconte comment, avec son amie d’enfance Tomoko Arikura, elle a pénétré dans un microcosme délétère et malsain. Les élèves, toutes issues de la bourgeoisie, affichent en effet des personnalités troublées, pour ne pas dire maladives. Ainsi, quand Fukiko Ichinomiya propose à Nanako d’intégrer son très sélect « Sorority Club », qui n’accepte que l’élite des élèves, elle va déchaîner la jalousie et la colère d’Aya Misaki. Heureusement, elle peut compter sur le soutien de Mariko Shinobu, qui a tout fait pour se rapprocher d’elle… mais dans quel but, au juste ?
C’est en 1975 que Riyoko Ikeda, créatrice de La Rose de Versailles, publie dans les pages de Margaret Oniisama e…, série sombre et délétère sur les tourments de l’adolescence au féminin. L’expressionnisme de ses personnages magnifie l’effroi des lectrices face aux situations ô combien torturées que la mangaka leur soumet. Très cher frère aborde ainsi tour à tour des thèmes lourds comme la maladie physique (cancer) aussi bien que mentale (anorexie), le suicide, l’homosexualité, l’inceste, le divorce ou encore l’addiction… Grand connaisseur de l’œuvre d’Ikeda, dont il avait déjà adapté La Rose de Versailles en 1979 (Lady Oscar en VF), le réalisateur Osamu Dezaki décide de s’attaquer à ce monument malsain et vénéneux quinze ans après sa parution. C’est donc à partir du 14 juillet 1991 que Très cher frère… est diffusée sur la chaîne publique NHK, dans un écrin de couleurs délicates, de couchers de soleil et d’envols de pétales qui, par contraste, n’en fait que plus ressortir la noirceur de l’intrigue.
Aujourd’hui encore, on se demande comment une œuvre aussi licencieuse et morbide a pu se retrouver diffusée dans le Club Dorothée en 1993. Au-delà des habitudes déjà calamiteuses de l’époque (l’héroïne devient Émilie Lambert, son amie Tomoko Marina Valette… l’unique bonne idée est d’avoir traduit « Sorority Club » en « Club de la Rose »), la version française fait tout pour édulcorer le propos de Très cher frère. Peine perdue, l’émission jeunesse jette l’éponge au bout de 13 épisodes, et, à la demande du CSA, son animatrice vedette doit venir présenter des excuses publiques dans le JT de 20 heures de TF1. Il était alors inimaginable qu’un dessin animé puisse ne pas être prévu pour divertir les enfants, mais pour aborder la noirceur de l’âme à destination d’adolescentes, dans la lignée des Fleurs du Mal. Archétype de cette incompréhension, Très cher frère… se retrouve donc nimbé sur le sol français d’une aura de malédiction qui s’ajoute à son aspect sinistre. Son édition en DVD chez Kazé en 2004 a permis d’enfin découvrir la série en intégralité (39 épisodes) pour se retrouver rapidement épuisée. Son atmosphère à fleur de peau restant atemporelle, on se languit d’une réédition ou d’un streaming légal pour qu’une nouvelle génération d’adolescentes torturées frémisse à son tour devant les malheurs de Nanako !
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