#TBT : Le club des divorcés

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Le manga ne se limite pas au seul divertissement. Avec Le club des divorcés, Kazuo Kamimura livrait, il y a cinquante ans, une œuvre politique critique envers la société nippone.

Dans le quartier chic de Ginza, au détour d’une ruelle du sixième bloc, se trouve un établissement particulier, Le club des divorcés – un nom donné par un écrivain renommé. Ce bar à hôtesses fréquenté par une clientèle masculine aussi riche que perverse, la tenancière Yûko donne sa chance à des femmes ayant quitté leur mari. Elle-même a divorcé deux ans plus tôt, à 23 ans, du pianiste qu’elle avait épousé à 20 ans et qui lui a laissé une fille, Asako, qu’elle a confié à sa propre mère. Alors que cet ex-mari lui tourne encore autour, la jeune femme de 25 ans souhaite vivre sa vie comme elle l’entend : romantiquement avec son barman Ken, sexuellement auprès de clients qui l’envoutent bien malgré elle, professionnellement en tenant son affaire contre vents et marées, socialement en assumant son image de femme indépendante face aux qu’en-dira-t-on…

Quand Kazuo Kamimura entame Le club des divorcés au début des années 1970, le Japon est en proie à de nombreux bouleversements. Après les émeutes estudiantines, c’est au tour des femmes de manifester pour leur indépendance – un mouvement féministe que l’on retrouvera notamment dans les productions du Groupe de l’An 24. À leurs revendications sociales s’ajoute une crise économique suite au choc pétrolier. Dans ces conditions, le modèle habituel du mariage qui voit l’homme au travail et la femme à la maison se fissure, et les divorces, le plus souvent par consentement mutuel, se généralisent peu à peu. En effet, quel intérêt pour un homme malheureux en couple de continuer à donner une partie de sa paye à son épouse ? Alors qu’à cette époque, 60% des hommes divorcés ne versent aucune pension à leur ex-femme !

Kazuo Kamimura alimente en effet son récit de statistiques permettant de mieux comprendre la situation des Japonaises à cette période-charnière pour leurs droits et leur indépendance. Loin de tomber comme un cheveu sur la soupe, ces tableaux et ces camemberts ajoutent une universalité à un récit avant tout humain et centré sur le personnage de Yûko. Avec son style souple et poétique, Kamimura nous fait partage ses doutes et ses espoirs, ses joies et ses peines, en faisant preuve d’un sens du découpage inégalé, ponctué de doubles pages mémorables et de haikus. Publié au Japon le 5 mai 1973, ce manga reste tristement d’actualité quand on voit le classement mondial du Japon sur l’égalité des sexe (116e sur 156) ! Disponible aux éditions Kana, sa lecture n’en est que plus recommandable, au-delà même de son statut patrimonial.

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A propos de l'auteur

Matthieu Pinon