[Rencontre] Tatsuya Nagamine et Kenji Yokoyama – 25 ans de One Piece

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À l’occasion des 25 ans de One Piece, Toei Animation Europe a ouvert un Pop-up Store One Piece du 19 octobre au 3 novembre 2024. L’évènement était précédé d’une masterclass plutôt intéressante puisqu’elle invitait deux noms réguliers de l’anime, et deux vétérans de l’industrie, Tatsuya Nagamine et Kenji Yokoyama. Le premier est un réalisateur surtout connu pour être intervenu sur Ojamajo Doremi, la saga Precure et plus récemment à la direction de Dragon Ball Super : Broly, mais il a aussi réalisé One Piece Film: Z en 2012 et mène la série TV depuis l’arc Wano. Le second est animateur de grande expérience passé sur Harlock ou le premier anime Dragon Quest. Il est surtout un animateur et un directeur d’animation très régulier de One Piece depuis 1999. AnimeLand était évidemment présent pour couvrir ce beau moment de partage.

Note : les questions étaient préparées par l’équipe de Toei. Seules les dernières proviennent du public de la salle car M. Yokoyama n’avait pas fini le live drawing. La traduction fut assurée par Olfa Sakakibara-Berhouma

Q : Messieurs, est-ce la première fois que vous venez en France ?

Tatsuya Nagamine (avec la veste rouge): Pour tous les deux, c’est la première fois que nous venons en France. Comme nous aimons beaucoup les animes et les mangas, nous avons une image de la France qui est très prononcée avec des personnages comme dans Lady Oscar (imite un rire type Lady Oscar ohoho). Nous voulions voir ça de nos yeux. Nous sommes ravis que la France soit comme on l’imaginait, la Tour Eiffel existe vraiment ainsi que l’Arc de Triomphe ! Je suis très heureux d’être là, et M. Yokoyama aussi.

Q : Comment avez-vous commencé votre carrière en tant que réalisateur – pour M. Nagamine – et en tant que directeur d’animation – pour M. Yokoyama – ?

TN : Quand je suis entré chez Toei Animation, c’était les débuts de One Piece et je lisais ce manga dans le Jump. Je me disais toujours en lisant One Piece « peut-être qu’un jour je vais vraiment travailler sur cette licence ? ». Et à ce moment-là, on m’a dit « tu vas bosser sur le film One Piece Z ». Moi j’étais super content, et à cette période-là nous en étions au 62e tome, et je me souviens avoir tout relu depuis le début. Quand on m’a mis en charge de One Piece Z, j’ai été invité dans la maison de monsieur Oda qui m’a dit « Il faudrait que tu fasses bien les choses ». Et depuis cette période-là, je me retrouve à faire Wano kuni en tant que réalisateur de la série.

Kenji Yokoyama : Je n’ai pas commencé tout de suite avec One Piece, la première série sur laquelle j’étais directeur de l’animation sur une série entière c’est Slam Dunk. Sur One Piece j’ai commencé sur l’épisode 3 et depuis cette période je suis dessus, ça fait donc 25 ans.

Q : Vous étiez fan depuis le début ?

KY : J’ai toujours été fan de l’anime depuis ses origines, et je n’ai jamais lâché la lecture du manga, c’est pour cette raison que je suis heureux de travailler dessus.

Q : Comment se passe le processus de conversion du manga en animation ?

TN : Passer du manga à l’anime c’est comme un processus de traduction où on doit penser différemment et utiliser une technique différente pour transmettre d’une autre manière. Par exemple ce que l’on a dans le manga de monsieur Oda c’est une image finale d’un mouvement. Prenons par exemple celui de Zorro (il mime le mouvement de Zorro*), qui se découpe en deux étapes avec le début de son geste, et à la fin il va donner le coup final avec ses trois sabres. D’abord il y a ce côté où il doit “traduire” ce mouvement. La suite, c’est monsieur Oda qui a beaucoup de connaissances sur tout ce qui va être technique. Il utilise des mots qui sont dans le rakugo. Il faut vraiment que les gens comprennent tout le contexte, toute l’information que monsieur Oda veut donner avant de vraiment pouvoir faire ce processus du manga à l’anime. Ce qui est intéressant dans One Piece, c’est qu’il y a tout un contexte et des informations qui sont cachés dans le manga qui nous poussent à en savoir plus. Par exemple le nom des personnages : Trafalgar Law, Barbe Noire, Barbe Blanche, ce sont des pirates qui ont existés. Le fait de savoir que monsieur Oda va vraiment chercher l’information sur des faits quasi-réels nous poussent à chercher nous-même l’information avant de nous lancer dans ce travail du manga à l’anime.

Q : Combien d’animateurs travaillent en même temps sur la production de One Piece ?

KY : C’est un nombre impressionnant si on compte les animateurs clés jusqu’aux intervallistes. Beaucoup de gens y participent. Considérant uniquement les animateurs clés, on a 20 personnes par épisode.

TN : On a de la chance d’avoir une propriété sur laquelle beaucoup de gens veulent travailler, dont des animateurs français. On a par exemple Vincent Chansard à qui je dis bonjour, qui est au Japon et qui s’occupe de One Piece. Vincent nous a conseillé d’aller voir l’école des Gobelins d’où il est originaire, nous allons donc y aller lundi (ndlr : 28/10/2024). Merci à tous ceux qui participent à One Piece, en espérant que vous aussi vous participerez un jour à l’anime !

*Le live drawing commence*
*Nagamine montre sa veste*

TN : La veste que vous voyez c’est le staff de Wano kuni qui a dit qu’on devrait tous avoir la même, c’est Midori Matsuda (animatrice régulière) qui s’en est occupée.

Q : Dans la partie Wano kuni, il y a un gain en qualité d’animation. En tant que réalisateur, comment avez-vous fait pour élever la qualité à ce niveau-là ?

TN : La première étape à retenir, c’est que j’étais en charge du film Dragon Ball Super : Broly. Sur ce film, il y a une technique qui a été développé, c’est d’avoir un trait différent, avec du caractère, un peu plus de texture que le trait habituel. Ça a été fait avec une boite de production qui se nomme Asahi Pro. Le directeur en charge à cette époque était M. Wada (note : cela ne semble pas être monsieur Takuya Wada). C’est une technique qu’ils ont reprise pour Wano kuni. Donc le premier aspect c’était l’aspect technique lié à l’expression du trait à l’écran, et le deuxième aspect c’est madame Matsuda qui a fait les blousons et est une personne assez jeune. J’ai pensé à m’entourer d’une équipe assez jeune comme Matsuda, dynamique et motivée par One Piece, et ça se voit. En voyant les premières images, je me suis dit « Waou, faites de votre mieux, allez-y à fond » car ça marche super bien. La One Piece Staff-room où tout le staff se rassemble pour travailler sur One Piece, est composées de gens jeunes et motivés par le projet ! À tel point qu’on les entend super fort, et que les gens dans les salles d’à côté disent « Taisez-vous ! » (rires). Je suis super content que vous le ressentiez vous aussi.

Q : Dans la partie wano kuni, concernant le Gear Fifth. Quelle a été la partie la partie la plus difficile à animer pour cette transformation de Luffy.

N : Par rapport au traitement du Gear Fifth à l’image, monsieur Oda et moi sommes de la même génération. On voyait les cartoons américains à la TV et ça nous a marqué. Pour le Gear 6 on se disait qu’on pouvait faire quelque chose complètement différent, monsieur Oda était super motivé par le fait d’inclure toutes les déformations dans l’anime. On se demandait si les animateurs étaient capables de suivre car c’est quelque chose d’inédit, on n’a jamais fait ce style. Et en fait je me suis rendu compte que ça passait super bien avec eux, ils peuvent animer tout ce qu’ils veulent. C’est Vincent Chansard qui a bossé sur la transformation, on lui repasse le bonjour !

Q : En ce qui concerne Egg Head et la version remasterisée de l’île des hommes poissons, quelles sont les différences auxquelles vous faites attention, qu’est-ce que vous souhaitez améliorer ?

TN : Pour cette version remasterisée de l’île des hommes poissons, ce que l’on va faire c’est exactement ce que l’on a fait pour wano kuni, c’est-à-dire retraiter l’image, ajouter des choses un peu plus originales, revoir le traitement du trait, prendre en contrepied ce qui a été fait auparavant et intégrer les nouvelles techniques qu’on a eu jusqu’à présent. On va changer le rythme, il y aura moins d’épisodes pour cette version. Ainsi, tout ce qui va être trop long ils vont le couper. D’ailleurs, le chargé de production a dit « ah ça c’est exactement le tempo qu’il nous faut ». La semaine prochaine vous pourrez le voir de vos propres yeux et pourrez juger du résultat. On a déjà assez rallongé (rires) Dragon Ball Super aussi, cette fois on vous laissera juger.

Q : Quel est votre membre préféré de l’équipage du chapeau de paille ?

TN : Mon personnage préféré est Luffy. Je voudrais vous reparler de l’île des hommes poissons, comment je travaille la version remasterisée. Je me suis fait l’épisodes 1 à 3 où je suis bien sur directeur. Tous les soirs je suis sur After Effect et je rajoute des petits détails, je refloute des choses…Ces sont des modifications très très très pointues. Parfois je me demande “mais pourquoi je fais ça ? ” (rires). Même 6h avant de partir en France j’étais encore dessus. Pourquoi j’aime Luffy ? Quand j’ai commencé sur One Piece Z, Luffy en général se bat contre la marine qui représente un peu la justice, et j’essaye toujours de me mettre à sa place : Pourquoi il se bat contre eux ? C’est quoi son état d’esprit ? Comme vous le savez, dans le film Luffy se bat contre Z. Je me demandais pourquoi il se bat, je n’arrivais pas à comprendre. J’ai même demandé à Oda. J’essayais toujours de me mettre à sa place et c’était difficile de comprendre ses intentions. Là Luffy a encore changé, il faut encore que je comprenne pourquoi il agit de cette manière. C’est comme les shôjo où les filles disent « lui je le déteste » alors qu’en fait elle l’aime. C’est un peu la relation que j’ai avec Luffy. Je suis super ému en parlant de cela car en fait j’étais chez Oda et j’ai vu le bureau sur lequel il travaillait et dessinait One Piece. Je me dis que tout part de ce bureau puis cela transite ensuite à Izumi là où est produit l’anime One Piece. Je vois où c’est créé, et là je fais 14h d’avion pour être en France en face de vous qui aimez One Piece, c’est incroyable, merci à tous ! Quand je suis arrivé devant le One Piece Shop, c’était éclairé mais je ne voyais pas trop de monde. Ensuite j’ai vu la queue des gens qui attendaient, il y avait même un petit enfant qui disait « je veux entrer, je veux entrer ! ». Quand je vois autant de gens heureux d’y rentrer je me suis dis « mais ça a la cote One Piece ! ». Quand je travaille je fais ça sérieusement, et quand je vois comment les gens sont heureux d’être là, je suis envahi par les émotions.

TN : Dans la staff room en ce moment, il y a un américain, un coréen, un chinois, un allemand, c’est vraiment international. On a aussi un studio aux Philippines qui s’occupe des intervalles. On peut se dire qu’il y a le monde entier qui travaille sur One Piece, donc c’est normal que ça soit connu aux quatre coins du globe, mais au Japon on ne regarde que notre point de vue Japonais. Donc quand on voit dans le journal que One Piece est connu dans le monde, on se dit que c’est exagéré, mais en fait non. Par exemple à l’époque on voyait que Grendizer obtenait des records d’audiences en France. On pensait que c’était exagéré, idem pour Saint Seiya. On ne se rendait pas compte que c’était bel et bien vrai, et que ces séries étaient super connues en France.

Q : Quelle est votre scène préférée dans One Piece ?

N : Forcément, des scènes préférées j’en ai beaucoup, mais peut-être que ma favorite c’est le moment où Corazon et Law se séparent. Ce que j’adore dans les personnages de Oda, c’est qu’au début on se dit toujours « Mais c’est qui ce gars ? Il m’énerve », pour Carazon je ne le supporte pas, et à la fin on se dit « Ah mais non c’était un gars bien ». La force de création des personnages c’est qu’ils parviennent à nous faire changer d’avis, et qu’en réalité ce sont des gens biens. On voit au fond pourquoi ils ont agi de telle ou telle manière. Désole je dis ça en tant que fan, mais même quand Law se bat contre Big Mom et qu’il utilise la technique de Corazon on se dit « Ah mais ça c’était fait exprès » ! C’est vraiment quelque chose que j’adore.

*plus de questions par le présentateur, improvisation de questions du public*

AnimeLand : À quoi ressemble votre journée type en tant que réalisateur ?

TN : J’arrive au travail à 9h30, et il me faut bien 30 minutes pour me mettre dans le bain. À partir de 10h, je reçois tous les gens qui viennent me voir pour fixer des choses, pour voir si telle ou telle chose peut être faite ou est validée. En général jusqu’à midi je travaille sur la correction des e-konte (storyboard). À 12h30 c’est l’heure de déjeuner, mais comme j’ai la flemme de sortir dehors je mange à mon bureau. Après ça pendant 1h je vérifie tous les rush. Après ça je vérifie ce qui est en lien avec les personnages (character setting) avec la designer (Matsuda), mais comme elle est parfaite à chaque fois je valide et je dis « Parfait ! ». Après ça, je vais dessiner toutes les scènes dont je suis en charge, et je vais faire des recherches sur internet sur tout ce que je ne connais pas comme par exemple un bateau de pirate. Moi je suis en charge du storyboard, je vais finir ce dont je suis responsable et ensuite je vais vérifier le layout des animateurs, et là je dis « ah, ils sont doués ! ». Chez Toei Animation on essaye d’améliorer la manière de travailler, et comme on est censé travailler jusqu’à 18h, on dit à tout le monde de rentrer chez soi. Et après on souhaite qu’ils rentrent tous à 18h. Donc si vous venez bosser chez nous, ne vous inquiétez pas vous partirez à l’heure !

Q : Est-ce que vous faites valider parfois des choses par Oda directement de peur que ça soit mal interprété, où ça part directement en production ?

Toei : On ne répond pas à la question

Q : Quel est votre arc préféré ?

TN : Tout le monde fait de son mieux sur les arcs, donc afin de ne pas juger les arcs et les gens qui ont bossés dessus, je dirai que je les préfère tous (rires) !

Q : À quels détails vous faites attention quand vous dessinez Luffy ?

KY: C’est hyper important pour nous de faire attention aux moindres détails quand on dessine, mais pour Luffy il faut garder en tête qu’il n’est pas méchant du tout, donc même quand il est énervé ou qu’il a envie de frapper quelqu’un, on doit faire attention à ne pas montrer un visage méchant. Luffy est un personnage qui se bat pour la liberté, pour ses idéaux, ce n’est pas quelqu’un de mauvais, c’est ça qu’il faut retransmettre dans son expression faciale. Luffy est un personnage brave et vaillant. Il ne doit pas faire peur.

  

Remerciements à l’équipe de Toei Europe et Myriem Benseghir pour cette opportunité

Couverture et compte-rendu réalisés par Jérémie Goubier

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A propos de l'auteur

Bruno

Défendre les couleurs d'AnimeLand était un rêve. Il ne me reste plus qu'à rencontrer Hiroaki Samura et je pourrai partir tranquille.