Ça y est, le nouveau Digimon Story est enfin là ! Le soft, annoncé en 2017 comme le grand projet sur consoles de Digimon, a traversé un développement long et sinueux, marqué par le départ, en avril 2023, de Kazumasa Habu. En effet, le producteur emblématique qui, pendant plus d’une décennie, a façonné les jeux Digimon (et l’univers Digimon tout entier), avait annoncé ne plus être en charge du projet depuis avril 2023. Dix ans après Cyber Sleuth et huit ans après son annonce initiale, Digimon Story : Time Stranger arrive enfin à maturité.
Alignement des planètes ou génie du marketing, cette sortie coïncide avec les 25 ans de la franchise et le lancement de la nouvelle série d’animation Digimon Breakbeat (disponible chez nous via Crunchyroll et J-One). Tous les voyants sont donc au vert pour faire de ce retour un événement et enfin permettre, peut-être, à Digimon d’obtenir la reconnaissance d’un grand public international qui l’aura trop longtemps boudée.
« Time Stranger » Le Digisaver
La marque Digimon souffre d’une image brouillée en Occident, la faute premièrement à une méconnaissance de la franchise qui, pour beaucoup, s’est faite par la version de la société Saban Entertainment de la première série Digimon Adventure, où l’intrigue fut aplatie, les dialogues simplifiés, noyant les nuances de la série dans un ton infantilisant et simplet. Une distribution qui masqué jusqu’à aujourd’hui la profondeur d’un univers qui, dès cette première série, proposait des thématiques plus sombres et complexes comme les amitiés éprouvées, la mort, le deuil et la perte de l’innocence (comme le prouve l’épisode 21 réalisé par Mamoru Hosoda).
Aussi, la licence a souffert d’une comparaison systématique et incorrecte avec Pokémon. Que ce soit la presse ou le public, Digimon a été systématiquement enfermé dans un rôle d’éternel rival qu’elle n’a pas choisi, comme si la licence n’existait aux yeux des crédules qu’en miroir de son “concurrent”. Pourtant, Digimon ne repose pas sur la collection fiévreuse d’animaux de compagnie pour le sport ou le commerce, mais sur une idée centrale : un lien d’amitié puissant entre un humain et son partenaire digital. Lien qui survivra à l’adversité, à des enjeux existentiels et souvent tragiques. Caricaturer Digimon comme un “Pokémon-like” de seconde zone a eu pour résultat une franchise restée prisonnière d’une réputation injuste, celle d’un ersatz, plutôt que d’une œuvre singulière qui aurait mérité d’être jugée pour elle-même. Alors, Time Stranger sera-t-il le “digisauveur” qui permettra à la franchise d’être reconnue pour ce qu’elle est vraiment, à savoir une saga riche, adulte dans ses thèmes et novatrice dans ses mécaniques ?
Après une sélection de personnage, on sent que Time Stranger met les moyens avec une introduction hautement stylisée aux allures d’opening anime SD et très « catchy » qui accueille le joueur. On incarne un agent d’ADAMAS, une organisation secrète chargée d’enquêter sur des phénomènes étranges, ou « anomalies ». Votre nouvelle mission vous transporte à Shinjuku et ses environs. Mais très vite, on comprend que ce Shinjuku n’a rien de celui qu’on connaît. Un immense mur cerne tout le quartier, jusqu’au siège du gouvernement métropolitain de Tokyo. De l’autre côté, un décor apocalyptique de fin du monde. C’est là que vous rencontrez Inori, une lycéenne qui semble vous connaître, et son futur partenaire Digimon, Aegiomon. Difficile d’en dire plus sans rentrer dans les détails, mais comme le titre du jeu le laisse supposer, en plus du Digiverse, le récit abordera aussi le voyage dans le temps. Les enjeux empruntent aux codes classiques du JRPG « sauver le Digiverse de la destruction », mais se teintent d’une gravité nouvelle : l’extinction menace non seulement les Digimon, mais également l’humanité tout entière.
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Exit Yggdrasill, bienvenue à Iliad :pour la première fois, la saga explore ce Digital World, régi par le host Homeros. Pour les habitué.es du lore Digimon, une seule règle importe à Iliad, celle d’un digiworld régi par l’instinct et le libre arbitre. Il n’y a donc pas d’intervention divine, même si cela mène à la destruction totale. Dans ce monde, deux factions s’affrontent : les Olympos XII, Digimons héros menés par Junomon, équivalents des Royal Knights, et les Titans de Plutomon, bannis jadis par Chronomon et désormais prêts à tout renverser. Ce conflit fratricide ne manquera pas d’avoir des conséquences dans le monde humain.
Une fois le décor posé, on remarque rapidement qu’ici pas de réalité virtuelle : tout est du domaine du tangible. Le Digimonde existe bel et bien, et est accessible via des portails dimensionnels. Chaque zone est vivante et réserve de véritables émerveillements. Entre l’impact de guerre ou le fait de recroiser des personnages ou un Digimon après un saut temporel, on ressent de l’affection pour ces lieux, tant les changements narratifs et visuels qui s’y opèrent réussissent à toucher le joueur. Au fil de son enquête, l’agent ADAMAS croise Inori et Aegiomon, pivot de l’intrigue. On s’attache vite à eux, mais aussi aux personnages secondaires, humains comme Digimon. Rarement un jeu tiré de licence aura proposé une galerie de rôles aussi marquants et originaux. Si le début paraît un peu longuet (explorer trois fois les égouts de Shinjuku, c’est barbant), l’intrigue prend vite de l’ampleur. Chaque révélation tient le joueur en haleine, jusqu’à un climax qui en fera bondir beaucoup de leurs chaises. Les cinématiques en temps réel sont d’ailleurs particulièrement réussies et leur réalisation fourmille d’idées.
Input :
Time Stranger reste premièrement proche de son prédécesseur. On est sur du J-RPG au tour par tour, avec trois Digimon actifs, trois en réserve et trois slots pour des invités liés au scénario. L’ordre des actions s’affiche via une timeline. Chaque tour offre ses choix : utiliser un objet, changer de Digimon, attaquer, se mettre en garde ou lancer une technique spéciale. Bonne nouvelle : l’utilisation d’objets et le switch ne consomment pas de tour. Pour plus de confort, on peut automatiser les combats (R3), accélérer ou ralentir la vitesse (stick directionnel). L’exploration, même linéaire, reste gratifiante grâce aux trésors, objets et petits easter eggs. Evidemment, la gestion des Digimon est au cœur du jeu. Pour se faire, pas de boutiques ou de lieux dédiés, tout passe par le menu principal. Chaque créature a ses HP, SP et cinq statistiques (ATK, DEF, INT, VIT, SPI). Classique, mais enrichi par une double couche de faiblesses : les Attributs (Data, Virus, Vaccine, en cercle d’avantages/désavantages) et les Éléments (Feu, Glace, Vent, Terre, Foudre, Eau, Lumière, Ténèbres), qui multiplient les dégâts ou réduisent leur impact, jusqu’à ×3. De quoi donner une vraie dimension tactique à chaque affrontement !
Le Digi Vice.
Pour éviter que tout le monde ne chope trop vite les Digimon ultimes, Time Stranger introduit le niveau d’agent. L’arbre de compétences du héros évolue avec des points d’anomalie, obtenus via l’histoire ou les quêtes annexes. Ce niveau conditionne l’accès aux Digivolutions les plus puissantes. Autre système central : la collecte et conversion des données Digimon. Plus vous combattez un Digimon, plus sa jauge de data se remplit. À 100 %, il peut être converti via le Digivice et ajouté à votre banque Digimon. À 200 %, vous obtenez une version plus puissante. Ensuite, il s’intègre dans une ligne d’évolution labyrinthique. Avoir les 450 Digimon du jeu suppose de remplir de multiples conditions : stats, objets spéciaux, et désormais rang d’agent. Le cycle est clair : analyser, convertir, entraîner, faire Digivolver. Ansi, Chaque Digimon devient une pièce d’un puzzle immense et addictif. Pour les collectionneurs, sachez que la Digiferme permet d’élever jusqu’à 30 Digimon en parallèle, avec nourriture, objets de sessions d’entraînement de 15 à 90 minutes temps réel. De quoi calibrer précisément leurs stats et débloquer les évolutions voulues. Ajoutez à ça quelques mini-jeux (combat de cartes, donjons spéciaux avec course, survie, chrono-boss, tower defense) : très inégaux mais fun, et surtout utiles pour récupérer objets de soin et argent.
DAO CAO MAO
Pour ce qui est de la direction artistique, Time Stranger garde le triumvirat d’artistes de son prédécesseur. Le développement est toujours assuré par Media.Vision, qui nous gratifie d’un système tour par tour simple mais complet, de quoi ravir les amateurs de J-RPG par le classicisme de son gameplay, sans pour autant rebuter ceux qui cherchent du confort de jeu. Suzuhito Yasuda, habitué de chez Atlus (Devil Survivor) et illustrateur du lightnovel Durarara!!, revient au character-design qui est d’ailleurs très bien retranscrit en 3D. Aussi, le compositeur Masafumi Takada revient lui aussi à la musique et nous sert une BO toujours juste, riche en références et en méta-références. Même la petite incursion de Oh!Great (Enfer et Paradis, Air Gear, etc.) sur le design du boss principal est respectée. Pour ce qui est du départ de Kazumasa Habu, sa marque et ses choix de Digimon mis en avant sont bien présents de bout en bout (il suffit de voir, très tôt dans le jeu, le combat contre Titamon pour s’en convaincre).
Les plus :
- Univers riche, original mais fidèle à l’ADN originel de Digimon
- Mise en scène inspirée et stylisée mais
- Les références et meta référence multiples
- Direction artistique solide et un monde foisonnant
- Gameplay classique mais complet et confortable
- Durée de vie de 60h en ligne droite le double ou plus pour le 100%
- Écriture soignée, personnages secondaires marquants, intrigue qui prend de l’ampleur
Les moins :
- Début laborieux (séquences répétitives comme les égouts de Shinjuku)
- Quelque cinématiques secondaires a l’animation rigide
- Les mini-jeux inégaux
- Capé à 30 fps (même si fluide)
- Quelques point du scenario un peu expéditif.
Graphismes : ★★★★☆
Jouabilité : ★★★★☆
Durée de vie : ★★★★★
Gameplay : ★★★★☆
Note globale : ★★★★☆S’il n’est pas une démonstration technique, Time Stranger reste un savant mélange porté par une direction artistique incroyablement convaincante, qui n’a pas à rougir tant les univers fourmillent de vie. Le tout se mélange parfaitement et harmonieusement pour créer une patte visuelle homogène, attachante et à l’épreuve du temps. Certes, le jeu est capé à 30 fps, mais aucun ralentissement n’a été perçu sur PS5. Ajoutez à cela une narration extrêmement riche et convaincante : à certains moments, on se rapproche plus du film d’animation japonais que de la simple cinématique en temps réel.
Les références à l’univers Digimon sont palpables. Si Cyber Sleuth portait en filigrane l’influence de Mamoru Hosoda, entre Summer Wars et même le Superflat Monogram (court réalisé avec Murakami et Louis Vuitton), Time Stranger s’ancre lui du côté des origines de la franchise. On retrouve l’ambiance sombre et mystérieuse du pilote de 25 minutes et la série Digimon Adventure (1999), avec des images marquantes comme l’apparition de Greymon dans la fumée ou l’affrontement de Parrotmon au sommet de la tour. Cette différence d’inspiration confère au jeu une identité visuelle singulière, brute et profondément fidèle à l’ADN originel de Digimon. On pourrait même s’amuser à dresser la liste des références pop culture disséminées partout, tant elles sont nombreuses et assumées. Et avec ses 450 Digimon et leurs Digivolutions labyrinthiques, nul doute que les fans vont passer des mois à remplir les wikis et autres bases de données, planifiant les meilleures lignes d’évolution possibles, pendant que les nouveaux venus auront de quoi s’occuper des années avec cette masse encyclopédique. Bien sûr, la perfection n’étant pas de ce monde, on aurait pu s’attarder davantage sur les défauts du jeu, mais force est de constater que Time Stranger fait preuve d’une homogénéité rare dans le monde vidéoludique. Certes, le début s’avère laborieux avec ses séquences répétitives dans les égouts de Shinjuku, certaines cinématiques souffrent d’une animation rigide, les mini-jeux sont inégaux, le tout reste capé à 30 fps, et une partie du scénario paraît un peu rushée. Mais après quelques heures de jeu, ces écueils deviennent presque anecdotiques, tant l’expérience globale, cohérente et maîtrisée, parvient à les faire oublier.
Digimon Story: Time Stranger n’est pas un digne successeur de Cyber Sleuth. Ce n’est pas non plus un “bon jeu Digimon”. Ni même un bon jeu à licence… En réalité, il est déjà tout ça à la fois et se permet même d’être un excellent JRPG. Point.
Infos supplémentaires :
- Jeu complété à 97%
- Version fournie par Bandai Namco FR
- Pas de mise a jour day1 utilisé
- Pas de DLC utilisé.
- Niveau difficulté : Normal+Hard
- Testé sur PS5.
- Temps de jeu : 70h environ.
Test réalisé et rédigé par Ilyes Rahmani Martinez
Avec l’aide de Yuri Shibuya du site Digiduo
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