Citation (kuronoe @ 12/11/2012 11:29)
Je regrette juste que ce soit Disney qui ait distribué le film, ce qui implique nécessairement un happy end, alors qu'une issue plus réaliste (sur le plan de la science et de la morale) aurait donné une toute autre dimension au film; finalement il reste cantonné au petit spectable de divertissement, sympa mais avec un manque de profondeur à mon goût
A vrai dire c'était aussi Disney (chez qui Tim Burton a fait ses premières armes) qui lui avait donné le budget pour le premier Frankenweenie en prises de vue réelles, sorte de cadeau d'adieu à Burton qui a les a quitté peu après. Le film était censé faire la première partie de la ressortie de Pinocchio et a finalement été interdit aux moins de douze ans. C'est donc une belle ironie et un sacré pied de nez qu'ils aient financé et distribué aujourd'hui un long métrage Frankenweenie, dont beaucoup de plans sont exactement les mêmes qu'à l'époque !
Pour ma part j'ai beaucoup aimé ce film, pari osé puisqu'en stop motion et en noir et blanc, pour respecter l'ambiance originale de son aîné. A ce stade on peut aisément penser que Tim Burton pèse suffisamment lourd pour presque tout se permettre, et ça c'est tant mieux !
Techniquement j'ai été bluffée par les marionnettes qui pleurent, c'était génial. Leurs expressions étaient aussi très bonnes, avec un petit côté figé “vintage” où l'on pouvait presque percevoir les ficelles, mais toujours avec une bonne fluidité. On avait vraiment l'impression de se perdre dans les mises en abîme entre le film en carton-pâte de Victor (le personnage fictif) et derrière la caméra son avatar réel Tim Burton qui fait son propre film en bric à brac.
Plusieurs séquences sont esthétiquement proches du sublime, mais celle qui m'a fait le plus d'effet fut la première dans le grenier. Encore plus impressionnante que dans l'original, elle est vraiment grandiose et justifie à elle seule tout le film. Le montage, le capharnaüm étrange, les effets et l'orage étaient saisissants ; s'il ne fallait retenir de ce film qu'une seule chose, ce serait absolument celle-là.
Comme dit plus haut les références affluaient, et l'on pouvait y voir là un hommage géant à tout ce qui inspira Burton et à ses propres films. Déjà, le Frankenweenie original est excellent à ce niveau. On peut y chasser tous les éléments qui font l'univers burtonien et se retrouvent plus tard dans ses films. Ainsi, le plus évident est l'aspect autobiographique avec la banlieue proprette et étouffante qui rappelle Burbank, ses voisins qui savent tout les uns des autres, leur étroitesse d'esprit et le rejet de l'élément étrange ; exactement ce qui fera la trame d'Edward aux mains d'argent. Le petit Victor fait un bel écho à Burton enfant mais aussi à ce que sera plus tard le film Ed Wood, où l'on retrouve la passion pour le cinéma et les films faits avec trois ficelles. La figure du cimetière avec ses collines préfigure le futur Nightmare before Christmas (on y retrouve un avatar de Sparky, d'ailleurs), tandis que le moulin/dernier refuge en feu a été repris en plus grand et plus impressionnant dans Sleepy Hollow… Lorsque Victor lance contre le ciel son cerf-volant en chauve-souris, je n'avais pu m'empêcher de sourire en pensant aux deux Batman réalisés des années plus tard.
La glissade est aussi intéressante concernant l'apparence et le prénom du petit héros, sorte de jeu de référence et de retours en arrière. Le premier court de Burton, Vincent, mettait en scène un personnage en marionnette à la figure triangulaire et blafarde dont le prénom faisait référence à Vincent Price. Dans Frankenweenie 1984, le petit garçon s'appelle Victor. Dans The Corpse Bride, le héros s'appelle Victor mais son apparence est très proche de celle de Vincent (le père l'appelle parfois Vincent, d'ailleurs). Dans Frankenweenie 2012, le garçon réel Victor a été avatarisé mais conserve l'apparence de son “successeur” Victor de The Corpse Bride, en version plus jeune. C'est ainsi que, comme le faisait remarquer Sharbett, il devient le seul personnage à avoir un physique à peu près normal dans son école.
Le temps ayant passé, Tim Burton fait un retour sur lui-même. Dans Frankenweenie 2012, les personnages se retrouvent suspendus aux ailes du moulin comme dans Spleepy Hollow, alors que c'est ce même moulin sorti de Frankenweenie 1984 qui inspira cette séquence. Il insiste d'ailleurs sur la Nouvelle-Hollande avec la colline hollywoodienne et la fête histoire de boucler la boucle, là où le moulin n'était qu'un décor de golf dans le moyen-métrage original.
Il réussit aussi à placer Martin Landau dans la peau du professeur de sciences, avec une apparence proche de celle qu'il lui avait donné dans Ed Wood lorsqu'il incarnait Bela Lugosi. Il fait même un clin d’œil appuyé à Christopher Lee, autre interprète de Dracula pour la Hammer, dans la séquence où les parents regardent la TV… On pourrait sans doute continuer longtemps ainsi dans la chasse aux références, tant elles sont nombreuses (sans compter celles qui ne font pas partie directement de sa filmographie !).
J'ai beaucoup aimé la façon dont il a transposé en marionnettes les personnages réels du moyen-métrage. On les reconnait très facilement mais en même temps ils ont acquis des caractères plus appuyés qui font ressortir, intérieurement comme extérieurement, leur part d'étrangeté propre. J'ai particulièrement aimé la blonde et son chat détestable (déjà présents, même si on les voit très peu, dans Frankenweenie 1984), et la voisine semi gothique très “Lydia-esque” (de Beetlejuice) de Victor. L'ambiance décalée et drôle était comme toujours plus que sympathique, et la bande son de Danny Elfman proche d'Edward aux mains d'argent par moments m'a-t-il semblé… Elle mériterait réécoute car, si elle fonctionne comme le reste, elle doit aussi renvoyer aux films précédents dans ses thèmes.
En conclusion, Frankenweenie 2012 a été ficelé intelligemment et malgré le manque de rythme sur le début dû à l'étirement de la situation initiale, le rajout du milieu (résurrections par les autres élèves) permet un délire de références et se raccorde bien à la trame principale. Je garde tout de même une préférence pour le moyen-métrage original qui était une œuvre de jeunesse plus fraîche et plus rythmée du fait de son format court. Frankenweenie 2012 c'est comme une nouvelle qu'on aurait étirée en roman ; on perd un peu de son essence, de l'état d'esprit et des limitations techniques du moment, qui donnent finalement un certain cachet et une spontanéité. Cette nouvelle version n'en demeure pas moins très bonne, sorte de retour aux sources de réalisateur, avec le vécu qu'il a eu entre temps et tout ce que sa brillante carrière lui permettent maintenant d'y apporter.
Un très bon film à voir et à savourer d'autant plus à la lumière de la filmographie de son réalisateur ! 😃