Je l’ai vu hier avec Xanatos (qui va commenter dès qu’il aura pu résoudre des problèmes de connexion avec le fofo), Sharbett et Nael_hitengo. Je ne le cacherai pas, je suis loin de partager en tous points les louanges hyperboliques de la critique : “Le meilleur anime de l’ère post-Miyazaki” (sic!), “Un chef-d’oeuvre d’intelligence”, “Une perle merveilleuse”, etc., etc.
C’est un bon film, oui, mais il n’a absolument rien d’exceptionnel ; j’ai vu beaucoup de films japonais “live” sur la guerre (les films chinois ou coréens que j’ai vus aussi n’en différant pratiquement pas), on y décrit avec soin les malheurs nationaux, la petite larme à l’oeil, sans en donner la moindre explication… Comme dans tous ces films, ici encore les “gens ordinaires” vivent à part, sans paraître au courant qu’il y a une guerre de très grande échelle ; or c’est faux. Comme en Allemagne, comme en Italie, le fascisme au Japon orchestrait une constante pression sur le peuple, et jusque dans les plus petits villages : par la radio, par des meetings-célébrations de “victoires colossales” sans échappatoires permises, par des autodafés de disques de jazz et de livres interdits, par des brochures de propagande décrivant et dessinant le “Monstre ABC” (Américains, Britanniques, Chinois) comme violeur des filles et femmes, rôtisseur et mangeur des enfants. D’où les suicides de familles entières à la débâcle du Japon.
D’accord, pas la peine de mettre de l’huile sur le feu d’une manière qui pourrait être tout aussi ambiguë que le silence, mais si vous voulez des films plus près du réel, à la mémoire moins sélective, voyez plutôt “Kanzo Sensei” (Dr Akagi) d’Imamura, ou “Les vingt-quatre prunelles”, très célèbre au Japon (les 24 prunelles sont celles des 12 élèves d’une jeune institutrice dans une petite île avant et pendant la guerre, et la pression y est très sensible).
Toutefois, deux petites touches risquent tout de même une allusion à la réalité du régime, ce qui est mieux que rien comme dans le “Tombeau des Lucioles” (corrigez-moi si je me trompe), un anime qui là encore ne fait pas de “Dans un recoin de ce monde” une formidable nouveauté…
Les vraies qualités du film sont plutôt bien sûr dans l’empathie très spontanée qu’on ressent pour la gentille, rêveuse, maladroite Suzu, d’autant plus adorable par son look si puéril. On aime sa passion du dessin. Les personnages autour d’elle sont habilement caractérisés en sobres dialogues “à l’asiatique”, en petits gestes quotidiens : le mari, si attentionné envers sa petite femme, la belle-soeur, une “dure” qui a “choisi sa vie” mais en tire un tragique échec plus grand que celui dont elle plaint Suzu, l’ancien condisciple de celle-ci qui ne s’est pas déclaré à temps pour l’épouser… Le chara-design un peu naïf est plein de charme, ainsi que les lignes légères et les coloris un peu pastellisés. De nombreux détails sur la vie de tous les jours sont instructifs, même pour moi qui ai énormément étudié le Japon et la Chine des années 1920 à 1950 pour les besoins de mon roman.
Puis, on voit le Yamato et Kure, le port de guerre où se trouve le Musée Mémorial et la maquette du Yamato, que j’ai visité grâce à Akiko qui l’avait mentionné dans son voyage.
Oui, un bon film, mais je trouve presque étrange l’enthousiasme médiatique plutôt immérité à mon avis autour de lui…
Dans un recoin de ce monde
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Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi
Après une semaine à galèrer à me reconnecter (la plupart des rares messages que j’ai écrit la semaine dernière, je l’ai fait via mon iPhone, ce qui n’est guère pratique), j’ai réussi par miracle à me reconnecter hier (OUF !) et j’ai bien cliquer sur l’icône réclamant que je veux rester connecté !
Donc, comme promis Yupa, je participe à ton topic et je donne mon petit avis sur ce long métrage ! 😀
Alors pour ma part, j’ai beaucoup aimé ce film, sans toutefois le considérer comme un chef d’oeuvre, et en cela, je rejoins certains des propos de Yupa à ce sujet.
Comme il le souligne avec justesse, le character design est doux, absolument charmant, voire apaisant et il est franchement très plaisant. 🙂
L’animation quant à elle est très bonne et les paysages sont très beaux.
Parmi les personnages, je me suis bien attaché à Suzu. C’est une jeune femme assez distraite et étourdie et qui est également rêveuse. Sa passion pour le dessin et la peinture permet de laisser libre cours à sa créativité et j’aime beaucoup les effets de style de la mise en scène quand elle crée une oeuvre. Elle observe son environnement, et ensuite, on voit apparaître des tâches de peintures dans le ciel ou sur terre, comme si nous spectateurs, nous voyions à travers son regard d’artiste.
De plus, bien qu’elle soit de nature conciliante et paisible, il lui arrive parfois de faire preuve de se rebeller et de dire ouvertement ce qu’elle pense, elle n’est pas non plus un paillasson que les gens écrasent.
Et puis, elle est souvent mignonne quand elle ferme ses yeux et qu’elle arbore son sourire ingénu. 🙂
Ce qui nous avait troublé Nael et moi c’est son physique. Bien que nous la voyons grandir au fil des années, à l’âge de 18, 19 ans, elle avait encore un visage très poupon et juvénile, voire enfantin, elle paraissait davantage avoir 12 ou 13 ans plutôt que 19 !
Il y a aussi des moments comiques inattendus dans le récit qui nous font bien fait rire Yupa, Sharbett, Nael et moi.
Par exemple, des soldats croient que Suzu est une espionne car à un moment donné elle dessine le Yamato et ensuite ils réprimandent vertement sa belle famille. Après qu’ils soient partis, ils éclatent tous de rire tellement ils trouvaient cela absurde qu’ils aient pris Suzu pour une espionne ! 😆
Il y avait même une scène qu’on aurait pu croire tragique et qui s’avéra incroyablement comique:
Spoilerdes bombardements ont lieu et le beau père de Suzu protège cette dernière et celui ci ne bouge plus ! On croit qu’il a été tué alors qu’en fait il s’était juste endormi à cause de la fatigue ! 😆
[collapse]A côté de cela, il y avait des scènes terriblement dramatiques, voire poignantes:
SpoilerSuzu se balade tranquillement avec la petite Harumi, quand tout à coup, une bombe explose, tue l’enfant et mutile la jeune femme qui perd son bras ! La mort de Harumi était déjà déchirante en soi, et quelques passages plus tard, Suzu se remémore tous les dessins qu’elle a réalisé et toutes les toiles qu’elle a peinte avec ce bras qu’elle a perdu et ce qu’elle ne pourra plus jamais faire à l’avenir…
[collapse]C’est aussi une femme de principes: elle avait du épouser Shusaku par mariage arrangé, mais au fil du temps, elle a fini par aimer vraiment son mari.
Un jour, elle retrouve Tetsu, un garçon qu’elle a connu étant petite.
SpoilerIl lui avoue ses sentiments et veut faire l’amour avec elle, mais elle refuse catégoriquement, ne souhaitant pas tromper son époux, et, même si jadis elle éprouvait des sentiments réciproques envers Tetsu, il est maintenant bien trop tard. Tetsu comprend et respecte ce que veut Suzu et renonce à coucher avec elle.
[collapse]En ce qui concerne les défauts du film, je trouve que l’intrigue manque parfois de rythme et souffre de quelques longueurs (le film dure 2H10, 20 minutes auraient pu selon moi être coupées), et c’était un peu facile d’avoir fait emménager Suzu dans la ville de Kure, qui, comme par hasard, était pas si éloignée de Hiroshima. Enfin, comme l’a dit Yupa, il y a l’occultation de la propagande exercée par le fascisme en ce temps là envers le peuple Japonais qui est très contestable.
Enfin ceci dit, c’est malgré tout un très bon film que je conseille. Mais à mes yeux, ce n’est pas un chef d’oeuvre, il y’a eu de meilleurs films sur un sujet similaire, et les derniers films de Mamoru Hosoda ou encore la dernière pépite de Masaaki Yuasa (Lou et l’île aux Sirènes ) méritent davantage ce qualificatif de chef d’oeuvre.
A voir quand même, malgré ses faiblesses, il vaut le coup car ce film a aussi de jolis points forts. 😉
Bien d’accord avec toi, Xan’, et tu as eu raison de pointer les moments drôles du film.
Oui, c’est quand même un peu gênant ce silence presque complet sur le fascisme japonais, son totalitarisme impitoyable et minutieux, et les méthodes féroces de son armée (même si les nazis ont réussi à faire encore pire). Comme dans Le Tombeau des Lucioles, les Japonais du coup passent pour un peuple-victime face à d'”injustifiables” bombardements américains, et à la limite l’armée du Grand Japon n’apparaît que dans un rôle de protection de la population, les soldats partant “au loin” dangereusement, héroïquement… Comme par hasard, dans les deux films, ce sont d’adorables enfants qui meurent, simplement à cause des Alliés dans la logique du récit…
Toutefois dans le passage dont tu parles la police militaire est à deux doigts d’arrêter Suzu, et cela fait rire la famille, mais pas elle, qui “ne voit pas ce qu’il y a de drôle” et en effet ça ne risquait pas de l’être… Belle honnêteté, plus nette peut-être dans le manga d’origine. Le grand désespoir de notre héroïne à l’annonce de la capitulation nous révèle aussi (à brûle-pourpoint) son engagement pour la victoire. Cela, en un sens, est plus près du réel. On joue sur la victimisation aussi en situant le récit juste à côté d’Hiroshima, comme tu l’a souligné aussi Xanatos.
D’accord, ce n’est pas un film révisionniste pour autant, et je peux comprendre certaines hésitations de créateurs de fictions historiques à noircir le dévouement aveugle de leurs (arrières?) grands-parents, notamment dans le contexte asiatique. Mais je l’ai mentionné, il y a des films plus réalistes que celui-là.Oui effectivement Yupa, la situation de Suzu ne prêtait effectivement pas à rire sur le coup, et je dois dire que j’étais très inquiet pour elle suite aux menace proférées par les militaires envers elle, il aurait été tragique que sa passion pour le dessin cause sa perte.
En fait, le fou rire de la famille était à la fois inattendu et très communicatif et contribuait à faire oublier la tension qui émanait des passages précédents.
Quant à la détresse de notre héroïne face à la capitulation du Japon elle est hautement compréhensible: elle, sa famille et ses compatriotes se sont livrés à de nombreux sacrifices, ils ont du rationner leur nourriture pour soutenir l’effort de guerre… Et tout ça pour rien !
En tout cas j’ai bien aimé la fin quand Suzu
Spoilera accepté d’adopter une petite fille dont la mère fut tuée par la guerre, qui démontrait qu’elle avait su conserver sa générosité.
[collapse]J’ai été marqué aussi par la présence inattendue de
Spoilersurnaturel: ainsi le temps d’une scène, Suzu voit un mystérieux Zashiki Warashi, qui dans les légendes Japonaises est un esprit de la maison ! C’est l’un des nombreux types de Yôkai.
[collapse]Oui, moi aussi j’ai beaucoup aimé la fin ! Et la réaction de la belle-soeur, arrachée à son noir chagrin par le choix des vêtements…
Ben ça alors, pas repéré le yôkai ! Tu m’en bouches un coin !
Quand le film sera un peu hors circuit, je parlerai d’un détail de “réalisme de la vie quotidienne” assez frappant pour les gens qui connaissent le Japon interne des années 30 et 40 (= trois pelés et deux tondus + moi). En France on peut quand même lire le terrible “Histoire des trois Adolf”, manga d’Osamu Tezuka, pour avoir une idée de la vraie ambiance dans le Japon de l’époque…
Tiens, ce film décidément plébiscité vient d’entraîner la sortie chez nous en DVD de Princesse Arete, de Sunao Katabuchi, et du manga d’origine de “Dans un recoin de ce monde” par une mangaka, en deux volumes sous un cartonnage (J’aurais aimé le comparer au film, mais bon, 30 euros quand même).
Enfin, je l’ignorais mais Sunao K. est le réalisateur du long métrage animé Mai Mai Miracle, que je possède et qui ne manque pas de charme poétique, de même que “Dans un recoin de ce monde” bien sûr.
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