Entretien Tomm Moore

Qu’elle était verte ma vallée…

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Comment êtes-vous venu au cinéma d’animation ?
J’ai commencé par m’exercer dans l’association Young Irish Film Makers, dont j’étais membre, avant d’étudier l’animation au Ballyfermot College à Dublin. Mon diplôme obtenu, les grands studios d’animation américains avaient cessé leur activité en Irlande, aussi j’ai dû créer mon propre studio, Cartoon Saloon.

Première évidence quand on confronte vos deux premiers films : votre fort attachement à l’Irlande. Un souci de faire connaître votre culture ?
Je pense en effet qu’il est important, lorsqu’on a la chance de réaliser un film indépendant, d’offrir un regard singulier. Par exemple, les films japonais nous donnent souvent des indices sur ce qu’est la culture du Japon. Quand on découvre Mon voisin Totoro ou Le Voyage de Chihiro, il n’est pas nécessaire de connaître réellement la culture japonaise, mais cela ajoute une saveur à l’expérience. On cherche à garder cela dans nos films irlandais.

Vous citez Totoro : en quoi a-t-il été déterminant dans votre parcours ?
J’ai découvert Hayao Miyazaki à l’université. J’avais grandi sans connaître ses films, ayant plutôt été élevé dans une culture anglo-saxonne. J’ai trouvé passionnant de découvrir la culture japonaise. Tout en étant universel, Totoro propose une porte ouverte sur la culture nippone. Il y a une ambiance mélancolique que j’ai voulu reprendre dans Le Chant de la Mer. C’est aussi le film préféré de mon scénariste Will Collins. Nous avions un point commun dès le départ ! Mais le film qui m’a le plus marqué est Brisby et le Secret de NIMH, de Don Bluth. J’avais 8 ans et j’étais à une fête avec beaucoup d’enfants. J’ai été absorbé par ce film. Les autres se moquaient de moi, mais c’était la première fois que je voyais un film d’animation aussi riche, magique et captivant. Quand j’étais petit, je rêvais même de travailler pour Don Bluth, qui avait ses studios à Dublin.

C’est amusant que vous citiez Don Bluth, car Le Chant de la Mer évoque son univers, par sa manière d’aborder des thèmes comme la maladie…
E.T., Les Goonies, tous ces films des années 1980 font partie de mon enfance. C’est pourquoi j’ai situé l’action en 1987. Je conserve une petite nostalgie de cette période, où les films, dont ceux de Don Bluth, assumaient la tristesse et la mélancolie, avec des thèmes plus durs que ceux traités dans les films actuels. Il y avait davantage d’aventures pour les enfants, avec une certaine profondeur. Deux films live irlandais m’ont également inspiré : Le Cheval venu de la mer de Mike Newell, et Le Secret de Roan Inish de John Sayles.

Depuis la fin des années 1980, selon vous la culture irlandaise s’est noyée dans la mondialisation. Succombez-vous déjà à la tentation du « c’était mieux avant » ?
Je suppose qu’il est normal de commencer à être nostalgique à mon âge (presque 40 ans, NDR) ! On juge alors que la vie était meilleure durant l’enfance. Je considère cependant que ce que l’on perd dans un sens, on le gagne d’une autre manière. Si on perd peut-être quelque chose du folklore et des traditions, la société a progressé sur de nombreux points. Mon fils a étudié en gaélique toute sa vie et il existe un mouvement en Irlande qui tend à conserver les traditions.

Comment avez-vous construit votre graphisme tout en rondeur ?
J’ai cherché à faire évoluer ce style, déjà présent dans Brendan et le Secret de Kells, en arrondissant davantage le dessin dans mon nouveau film. Avec Adrien Mérigeau, le directeur artistique, j’ai voulu utiliser en priorité des couleurs marines pour recréer un environnement un peu crasseux. De la même manière que lorsqu’on marche dans l’herbe en Irlande et qu’on finit avec les chaussettes mouillées, je souhaitais faire sentir que l’herbe était réellement mouillée. Il y a aussi quelque chose de plus doux dans ce film que dans Brendan. Retrouver la même équipe a facilité le travail, et la production a aussi été plus facile. Grâce au succès de Brendan, j’avais la confiance des financiers, même si cela a pris 3 ans pour réunir le budget…

À l’instar de Brendan, votre nouveau film est une coproduction internationale. S’agit-il avant tout d’une nécessité économique ?
Si chaque pays a investi 6 millions d’euros dans le projet – en Irlande, nous n’en avons récolté que 2 – l’objectif était avant tout de dénicher des talents étrangers. Par exemple, nous avons collaboré avec le compositeur français Bruno Coulais, et nous avons trouvé en Belgique une équipe spécialisée dans la couleur et les effets spéciaux. Beaucoup d’artistes sont venus travailler au studio, et j’ai moi-même beaucoup voyagé partout en Europe.

En parallèle, vous avez aussi travaillé sur Le Prophète, un film réalisé avec de grands noms de l’animation (voir AnimeLand n°199). Pouvez-vous nous en dire plus sur cette production très ambitieuse ?
C’est un projet assez fou. J’espérais qu’il commence avant Le Chant de la Mer pour pouvoir me consacrer pleinement à mon nouveau film, mais cela n’a pas été possible. Je me levais donc tôt le matin pour travailler jusqu’à environ 9 h 30 sur Le Prophète, puis sur mon film. J’ai codirigé mon segment de 5 minutes avec Rod Stewart, qui a signé les story-boards. Les deux équipes travaillant simultanément sur les deux projets, créaient une petite compétition : « Mon projet sera le meilleur ! Non, ce sera le mien ! ». Je n’ai pas rencontré les autres réalisateurs durant la production, tout s’est fait par Skype. Nous avons été réunis à l’occasion des avant-premières à Toronto.

Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?
Mon prochain film, réalisé par Nora Twomey, s’intitule The Bread Runner (Moore devrait sans doute occuper le poste d’animateur sur ce long-métrage, NDR). Il racontera l’histoire d’une fillette afghane qui se coupe les cheveux pour nourrir sa famille en se faisant passer pour un petit garçon. J’enchaînerai ensuite sur un film irlandais. J’espère juste qu’il ne sortira pas dans 7 ans !

Interview réalisée par Gersende Bollut
Photos : Gersende Bollut
Remerciements à Monica Donati et Camille Scarparo.

FICHE TECHNIQUE :
Titre Français : Le Chant de la mer
Titre original : Song of the Sea
Origine : Irlande, Danemark, Belgique, Luxembourg, France
Format : Film (1 h 33)
Année : 2014
Réalisation : Tomm Moore (Brendan et le secret de Kells)
Musique : Bruno Coulais (Coraline)
Animation : Cartoon Saloon, The Big Farm, Mélusine Productions, Superprod, Nørlum Studios
Diffusion : Haut et Court Distribution, en salle le 10 décembre

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  1. Akiko_12

    C'est une chance que Tomm Moore soit ainsi attaché à sa culture irlandaise, d'autant qu'elle est particulièrement riche ! Je ne connaissais pas le Livre de Kells avant Brendan et son histoire m'avait fascinée. J'ai vraiment hâte de découvrir Le Chant de la mer !
    Merci beaucoup pour cette interview. wink.gif