Azumi, créé en 1995 par KOYAMA Yuu – mangaka peu connu chez nous – a fait l’objet d’une adaptation cinéma en 2002 (sorti en 2003 au Japon). N’ayant pu mettre la main sur ce fameux manga, le présent article s’intéressera avant tout à sa version live. Après avoir loupé le coche sur Alive (lire notre article), KITAMURA semble bien décidé à convaincre, car cette fois-ci le film est produit par la toute puissante Toho. Le père Ryuhei se retrouve donc à la tête d’une grosse machine au budget visiblement élevé !
Dans un Japon féodal, après la bataille de Sekigahara remportée par le seigneur Tokugawa, la paix vient d’être restaurée, mais demeure encore fragile. En effet, quelques puissants clans désirent mettre la main sur le pays. Gessai (HARADA Yoshio), un samouraï aguerri, se voit chargé par son seigneur de recruter de jeunes enfants et de les entraîner à devenir de puissants assassins, afin d’éliminer les récalcitrants. Il tombe sur la petite Azumi (UETO Aya), tout juste orpheline, et décide de l’embrigader avec neuf autres garçons. Quelques années plus tard, nos tueurs en culottes courtes ont grandi, et l’heure d’accomplir leur mission a sonné. Mais avant ils doivent passer une ultime épreuve : regroupés en binôme, chacun va être chargé de tuer son partenaire…
Voici donc un pitch assez conventionnel mais tout de même excitant. Cette fois-ci, KITAMURA dispose de moyens plus confortables par rapport à ses précédentes productions (Versus et Alive), et revient vers un genre porté sur l’action : le chambara !
Dis, c’est quoi un chambara ?
L’étymologie du mot chambara provient de la contraction de « chan-chan bara-bara », une onomatopée désignant le son du sabre déchirant la chair. Le chambara est un genre narrant les aventures de samouraïs et autres rônins(1), tout en proposant en filigrane les préceptes liés au Bushido (la Voie du samouraï). Il touche à peu près tous les media possibles, à savoir la littérature, le théâtre, le cinéma et sa petite lucarne, et bien sûr la bande dessinée (sans oublier les jeux vidéo) ! Le style compte évidemment ses figures emblématiques et populaires qui ont fasciné les Japonais, et largement contribué à son succès, dont Musashi Miyamoto et Zatoichi (lire notre article) restent les plus connus. De grands cinéastes se sont essayés au genre chambara : on pense notamment à KUROSAWA Akira, signant moult chefs d’oeuvre tels Les Sept Samouraïs, Yojimbo, Sanjuro, La Forteresse Cachée, Ran, ainsi qu’à UCHIDA Tumo, réalisateur du Col du Grand Bouddha, une trilogie mémorable sur Ryonosuke Tsukue, un rônin de légende sombrant peu à peu dans la folie.
Les fans de manga ne sont pas écartés, bien au contraire ! Qui ne connaît pas Himura Kenshin de l’oeuvre du même nom (Rurouni Kenshin de WATSUKI Nobuhiro) ? Ou encore Manji, le rônin immortel de L’habitant de l’infini de SAMURA Hiroaki ? Citons également les excellents Vagabond de INOUE Takehido, Lone Wolf And Cub (de KOIKE Kazuo et KOJIMA Goseki, lire notre article) que les cinéphiles connaissent sous le nom de Baby Cart, et Lady Snowblood (toujours de KOIKE) lui aussi adapté au cinéma.
Pour clore la parenthèse, n’omettons pas l’animation : Ninja Scroll de KAWAJIRI Yoshiaki, Kamui No Ken de TARÔ Rin et Rurouni Kenshin Tsuioku Hen (Le Chapitre Du Souvenir, réalisé par FURUHASHI Kazuhiro), sans doute le meilleur volet des aventures du jeune Battosai.
Il est de retour, et il n’est pas content !
Exit le huis clos d’Alive, ici notre réalisateur retrouve les grands espaces naturels, le meilleur décor possible, et gratuit qui plus est. Quelques rescapés de ses films antérieurs viennent se greffer au projet (dont les increvables SAKAKI Hideo et SAKAGUCHI Tak), mais aussi de nouvelles têtes, comme le vétéran HARADA Yoshio, très bon acteur ayant tourné entre autre pour FUJITA Toshiya (notamment Lady Snowblood), FUKASAKU Kinji et SUZUKI Seijun, puis la jeune chanteuse et actrice de drama UETO Aya, pour la première fois dans un long métrage. Cette dernière y tient le rôle principal, non pas pour ses talents de comédienne, mais plutôt pour son physique très… aguichant ! Il faut dire que la demoiselle aborde un look très « manga » ! Une caractéristique qui a sans doute tapé dans l’oeil de KITAMURA. Car mis à part HARADA (honnête ici), la performance d’acteur ne vole pas très haut, bien que le minimum syndical soit assuré. Quitte à avoir une héroïne peu expérimentée, autant en prendre une qui ait de l’allure !
À peine le film commencé, la première séquence d’action s’offre à nous : une forêt sombre, de jeunes samouraïs courant et bondissant dans tous les sens, des sabres s’entrechoquant de façon brutale, une silhouette féminine bien mise en valeur… KITAMURA retrouve ses sensations de Versus et nous donne l’occasion de voir un petit aperçu de ce qui nous attend : de la grosse baston il va y avoir ! Doucement l’ami ! Avant de rentrer dans le vif du sujet, c’est le cas de le dire, il faut nous attarder brièvement sur le développement du film et ses personnages.
Azumi et les garçons
Disons-le franchement, la trame du récit ne brille pas par sa complexité. Cousu de fil blanc, le scénario évolue de façon bien linéaire. Le spectateur suit cette bande de six personnages, soucieux d’éliminer les seigneurs trouble-fête, sans qu’il n’y ait de véritables rebondissements. L’aspect graphique des héros a fait l’objet d’un certain soin (Azumi en tête, conforme à son homologue dessiné), mais la dimension psychologique semble avoir été occultée. Les personnages ne bénéficient d’aucun passé, aucune histoire susceptible d’approfondir leur caractère et nous attacher à eux. Ils demeurent des machines à tuer qui, entre deux combats… s’amusent comme des enfants ! N’oublions pas que nos joyeux drilles ont été élevés dans les montagnes à l’abri du monde extérieur, dans l’unique but de maîtriser leur art, expliquant peut-être leur « étrange » comportement. Le réalisateur effleure seulement leur personnalité, chose regrettable, car le personnage principal aurait pu se révéler intéressant. Le chambara a toujours su donner une belle place aux femmes, comme en témoigne le superbe Lady Snowblood, un film racontant l’histoire d’une enfant engendrée dans la haine, élevée uniquement dans le but de venger sa mère violée et son défunt père.
Il aurait pu en être de même pour Azumi, dans sa version cinéma, si KITAMURA avait davantage creusé vers l’incompréhension qu’elle suscite auprès des gens quant à sa condition d’assassin, et sa féminité oubliée (conséquence d’une enfance passée à jouer du katana). Notre ange de la mort se contente donc de charcuter à tout va sans broncher. Pas si mal, direz-vous, et vous aurez raison !
Baston !
Venons-en alors au principal attrait d’Azumi : les combats ! La demoiselle et ses compagnons vont rencontrent alors tout un tas de vermines qui auront le tort de se mettre en travers de leur chemin. Cette galerie de méchants va du simple brigand au puissant samouraï-psychopathe-androgyne-sanguinaire (ce qui fait beaucoup pour un seul homme), en passant par un ninja au comportement simiesque ! Des bad guys à la fois déjantés et comiques, que les fans de Baby Cart apprécieront. Les combats s’avèrent nombreux, bien chorégraphiés et soigneusement filmés. Point d’expérimentation hasardeuse dans la manière de montrer l’action (cf. Alive) ; ici, tout s’avère lisible.
On retrouve les ralentis très à la mode depuis Matrix, ainsi que des bruitages exacerbés, dans le genre du Pacte Des Loups de Christophe GANS, renforçant les impacts et assourdissant nos pauvres oreilles. Les geysers de sang (répandu en hectolitres), caractéristiques du chambara, répondent bien sûr présents. Quel agréable spectacle que ce petit bout de femme, courant et découpant du méchant, magnifiée par la caméra de KITAMURA à chaque plan et chaque pose ! Il faut la voir manier du sabre lors de la bataille finale, qui tient toutes ses promesses en matière de carnage (sans tomber toutefois dans le gore) ! Pour un peu, on croiserait bien le fer avec la miss, à l’instar de notre samouraï-psychopathe-androgyne décidément surexcité ! Un mot sur la musique enfin : un mélange de BO traditionnelle et de guitare électrique du meilleur effet, ajoutant du dynamisme à l’action sans être assommante.
Azumi est essentiellement basé sur l’esthétisme et l’action. La mise en scène s’inspire largement des manga et des récentes productions cinématographiques, conférant au film une empreinte résolument moderne. Le film n’a ni la profondeur ni l’envergure des classiques du chambara, mais il s’impose malgré tout comme un actioner jouissif et bien réalisé. KITAMURA Ryuhei rectifie donc le tir, dépoussiérant au passage un genre revenu à la mode, comme le montre le récent Zatoichi de KITANO Takeshi ou le mollasson Princess Blade (remake de Lady Snowblood par SATO Shinsuke), et livrant à ce jour son travail le plus abouti.
Azumi, de LITAMURA Ryuhei, sorti au Japon en mai 2003.
Coffret 3 DVD, Editeur CTV International, distributeur TF1 vidéo, sortie en France le 9 septembre 2004.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.