L’événement de ce deuxième programme de courts, c’est assurément The moon and the son : an imagined conversation : un témoignage bouleversant sous forme de psychothérapie. John CANEMAKER n’est pas un novice il a notamment travaillé pour la Warner sur les séquences animées de films comme Le monde selon Garp, et publié de nombreux ouvrages sur l’animation mais c’est ici le petit garçon qui s’adresse à son père décédé, pour imaginer « cette discussion qu’ils n’ont jamais eue ».
C’est en effet à l’âge de 61 ans, soit presque 10 ans après la mort de son père, que John CANEMAKER trouve la force d’exorciser en 28 min une relation conflictuelle mais fondatrice, au coeur même de sa vocation d’animateur. Sans jamais verser dans l’exhibitionnisme, le réalisateur remonte la chaîne de l’histoire familiale pour essayer de dénouer les noeuds d’une « famille dysfonctionnelle » : « Ce n’était pas facile, mais il y a aussi beaucoup de choses que je n’ai pas mises dans le film, j’ai filtré certaines émotions. Mon frère est venu à la première au Musée d’art moderne, et il a beaucoup aimé. Pendant des années, nous avions eu honte de ce que nous avions traversé, les visites en prison… nous ne voulions pas en parler. Mon frère a eu une vie encore plus dure, son mariage a presque été dévasté par mon père. Ce film a été une réconciliation avec notre passé », explique le réalisateur.
Le réel se mêle au vécu subjectif : images d’archives, films de famille, les bases de travail objectives sont étayées de séquences animées qui matérialisent le vécu du narrateur, permettant par exemple de représenter ces coups de colère paternels irraisonnés dont il a tant souffert : « Avec l’animation, on peut rendre compte de choses qui n’ont pas de réalité, comme les souvenirs ou les rêves. J’ai réalisé des films sur des sujets difficiles, comme l’inceste, le cancer des enfants, le suicide des ados, ou encore les fantasmes d’un jeune homme sur son père qu’il n’a jamais connu, pour Le monde selon Garp… Je trouve que l’animation est une bonne manière de se réapproprier des souvenirs de manière plus abstraite, de relater des choses qui sont trop dures à retranscrire en images live. »
Un cheminement intérieur passionnant, déchirant, d’une lucidité poignante, qui ne fait l’impasse ni sur la culpabilité ni sur des sentiments cruels, permettant au fils d’enfin s’affranchir du poids paternel, en le symbolisant comme une lune : « assez de distance pour s’en éloigner, assez de lumière pour ne pas l’oublier ». Du grand art.
Délicatesse néerlandaise
Autre jolie surprise de ce programme, le poétique Notice, prouvant une fois de plus à quel point l’animation néerlandaise est riche et bourrée d’un humour inventif et délicat. Le réalisateur Roelof VAN DEN BERGH s’attache de manière très fine à décrire le parcours d’une femme toujours en décalage par rapport à sa vie : ici, c’est une porte qui s’ouvre sur des étapes capitales de son parcours, et notre héroïne s’apprêtant indéfiniment ne trouvera jamais la tenue adéquate. Jusqu’au rendez-vous final… « Au début, j’imaginais un film sur un homme qui se changeait… J’aimais bien le mouvement, donc j’ai gardé l’idée. Puis j’ai choisi de dessiner une femme, parce qu’elles se changent plus souvent ! Et je me suis dit que dans la vie, on n’arrêtait pas de se changer, et que quand on était enfin prêts, c’était les choses qui changeaient… et qu’on était finalement jamais prêts. C’est la vie ! », s’amuse le réalisateur.
Une création enlevée (1min50) qui évite les poncifs, tout en laissant une sensation douce amère en bouche. « J’ai fait les dessins à la main, et toute la technique a été réalisée à l’ordinateur, pour me faire gagner du temps et de la richesse dans les mouvements, notamment grâce à l’effet de bluring, qui permet d’économiser les positions intervalles », explique l’animateur. Trait tremblé, dessin 2D, animation simple et vivante au service d’un propos fort : on pense bien sûr à Paul DRIESSEN, un autre ténor de l’animation néerlandaise.
Animation et spectacle vivant
Enfin, après le 28 min éblouissant de The moon and the son, la touche d’humour de Bow the duty for squareheads a clos le programme sur une note plus légère : mêlant humour potache à la Jackass et happenings urbains, la petite troupe menée par Stephen FLINT MULLER s’en donne à coeur joie dans les rues de Berlin : détournements de logotypes, animation d’affiches publicitaires, utilisation de marionnettes, la machine s’emballe peu à peu, et c’est à un véritable cadavre exquis d’images que l’on assiste. De marabout en bout de ficelles, la troupe fait feu de tout bois, et d’un oeil avisé s’amuse de tout un mobilier urbain, jusqu’à l’ébouriffante présentation des « plus grands chapeaux de Berlin », habiles montages de marionnette coiffée des monuments de la ville… Création débridée, montage audacieux et spontanéité d’un film amateur : l’audace d’une animation qui se mêle à la rue pour devenir spectacle vivant. Un gros succès.
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