MIYAZAKI marque ses films d’une empreinte si forte que l’on trouve des éléments communs à nombre de ses oeuvres. Le château dans le ciel (1986) est sans doute l’un des films qui porte en lui le plus de thèmes, visuels ou intellectuels, propres à son auteur. Cette richesse fait du film une oeuvre charnière dans la carrière de MIYAZAKI, première production du studio qu’il a fondé avec TAKAHATA Isao, véritablement positionnée entre ses nombreux travaux passés et les suivants.
Quoi de plus naturel pour un dessinateur et animateur que d’avoir ses motifs graphiques préférés ? L’un des thèmes visuels favoris de MIYAZAKI concerne le vol et les engins volants. Le père de MIYAZAKI dirigeait une entreprise de construction aéronautique, et son fils se passionna pour les machines volantes notamment de l’ère de l’Aéropostale. Le château dans le ciel lui permet d’animer les engins de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, ou inspirés de cette époque. Une passion déjà exploitée dans des épisodes de Sherlock Holmes (1982) ou dans Nausicaä de la vallée du vent (1984). Dirigeables à la structure compliquée et aux multiples hélices, flaptères (machine à quatre ailes ressemblant à une tête de mouche) et avions sont dessinés dans les moindres détails. Leur animation, exceptionnellement réaliste et virtuose, recrée la sensation subtile du vol. Les ballets aériens donnent le vertige et culminent dans des batailles en plein ciel. Ces scènes permettent à MIYAZAKI de se livrer à sa passion du vent, de l’air, du ciel où émerge la monstrueuse masse des nuages, formidablement rendue graphiquement. Le réalisateur a pu exploiter le monde du ciel comme jamais dans ses autres films, hormis dans Porco Rosso (1992).
Le film est également marqué par des thèmes souvent porteurs d’une vision du monde : ainsi la représentation de la nature, confrontée à la civilisation de l’homme, industrielle et néfaste (l’un des enjeux de la série Conan fils du futur (1978), Nausicaä et Princesse Mononoke (1997)). Le village de Pazu est souillé par l’exploitation des mines. La nature est liée à un monde perdu, celui de l’ancienne civilisation de Laputa. Elle y est devenue l’unique forme de vie avec un robot jardinier et des créatures sauvages, les hommes ayant disparu de ce monde idéal. Sont réunies sous le sceau du sacré la nature et la terre perdue de l’Âge d’Or.
La reprise par MIYAZAKI du monde de Laputa crée par SWIFT dans Les voyages de Gulliver s’accompagne donc d’une transformation quant au message véhiculé ; chez SWIFT, Laputa symbolise l’éloignement intellectuel des élites, et un monde perdu à jamais. Visuellement, la nature vivante et puissante est aussi un espace de beauté verte délicat et fragile. L’île volante est devenue un arbre gigantesque au feuillage protecteur. La nature selon MIYAZAKI est idéalisée dans ce qu’elle est de plus paisible, loin de la fureur des hommes.
L’être humain, justement, est aussi un des sujets du réalisateur qui place des personnages archétypaux dans des situations extrêmes, les obligeant à se dépasser dans leur héroïsme ou leur dangerosité. Le château dans le ciel livre un personnage de vrai méchant, le dément Muska, comme il y en a rarement chez MIYAZAKI. Sa soif de pouvoir, assortie comme toujours d’une conquête d’un territoire (ici Laputa et son fabuleux savoir) entraîne Muska dans une lutte mettant le monde entier en danger. Le message sur l’ambition démesurée apportant la destruction est lié à celui sur la violence des hommes, capables de mettre au point des armes de destruction totale. Nulle équivoque chez MIYAZAKI : sa vision de l’homme est pessimiste, malgré la présence de personnages exceptionnels et positifs. Investis d’une mission, ces héros multiplient les actes de bravoure et défient la mort (très présente dans les opus dramatiques du réalisateur) sans hésiter. Le château dans le ciel compte de beaux exemples de héros véritablement héroïques avec Pazu et Sheeta. L’une des grandes réussites du film est sans doute la relation exceptionnelle qui les lie. Leur amour naissant dans l’adversité, thème souvent présent chez le réalisateur, est d’une dimension rarement égalée. À travers l’entraide absolue dont ils font preuve l’un vis-à-vis de l’autre, ils quittent l’enfance pour l’adolescence et construisent une relation d’amour sous nos yeux. Cet élan romantique se marie avec le reste du film et les thèmes de la découverte, du voyage, de la poursuite, entre beaucoup d’autres.
Le château dans le ciel doit sans doute sa richesse à la possibilité offerte à MIYAZAKI Hayao pour la première fois de faire exactement ce qui lui plaisait, le film étant la première production du studio Ghibli. Un film si formidablement riche qu’on ne peut ici qu’effleurer les thèmes et enjeux qu’il contient.
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