Animeland : Avant de parler de vos nouveaux projets, il nous paraît utile que vous reveniez sur la genèse de votre société Des Films.
Jean-Pierre DIONNET : Tout ça est un peu compliqué, en fait, mais je vais tâcher d’être clair. J’ai commencé mon travail sur l’antenne de Canal + en présentant des émissions comme ” Cinéma de quartier ” et ” Quartier interdit “. On diffusait alors des vieux films fantastiques, d’horreur et d’aventure… bref des films de divertissement. Je me suis alors dit que ça pourrait être une bonne idée de passer des films de genre actuels et ces films là, ce sont ceux qui étaient produits et réalisés à Hong Kong ! En fait je n’en fis rien, mais j’en parlais au patron de Canal, Pierre LESCURE. Il me proposa de partir en Asie et d’acheter des films qui pourraient être intéressants pour le studio Canal qui s’occupe, au sein du groupe Canal, du cinéma. C’est durant ces voyages que j’ai découvert des cinéastes comme MIYAZAKI Hayao (Le voyage de Chihiro), KITANO Takeshi (Hana Bi), John WOO (Volte Face), Michelle YEOH (Supercop 2) ou encore Kirk WONG (Crime Story).
A.L. : Comment s’est déroulé vos débuts au studio Canal ?
JPD : Au studio Canal, j’ai commencé tout petit en leur proposant les premiers films que j’avais ramenés. Par la suite, je me suis dit que ces films méritaient bien un label qui les distinguent des autres films dont s’occupait le studio Canal, et c’est là que j’ai eu l’idée de Des Films (parce qu’il s’agissait de films du monde entier). Mon travail consistait au départ à acquérir les droits de certains films pour les distribuer en salles ou à la télé. Ensuite, au fur et à mesure que les asiatiques ont appris à me faire confiance, j’ai commencé à m’occuper de la distribution en Europe puis dans le monde.
Aujourd’hui, je suis à la fois un distributeur et un producteur de film, en association avec le studio Canal. Ce dernier co-produit et me donne plus ou moins d’argent selon qu’il estime le film rentable ou non. Il a fallu du temps pour que cette confiance s’installe. C’est pour ça que j’ai commencé petit : il s’agissait de prouver à Canal que mes films étaient rentables. Récemment encore, Audition de MIIKE Takashi leur faisait très peur, ils jugeaient ça trop bizarre et trop fou. Le succès critique et public a prouvé qu’au contraire, les Français étaient de plus en plus perméables à ces images asiatiques et, au fur et à mesure, produire devient de plus en plus facile. En fait, je sais très bien que quand j’achète des films asiatiques, je ne les rentabiliserai sans doute pas avant le troisième, voir le quatrième film. Tout ça se joue en fait sur la durée : il s’agit de faire un pari sur un auteur et d’espérer que le public apprenne à aimer son cinéma. MIIKE Takashi est un auteur difficile à vendre, mais grâce au succès d’Audition, les choses s’arrangent progressivement.
AL : Et avec les Asiatiques, les rapports sont aussi simples ?
JPD : C’est assez amusant, car, en fait, travailler avec eux n’a pas été facile au départ, surtout pour les Japonais. Imaginez quand même qu’au tout début, ils sont passés par Tonkam pour prendre des renseignements sur moi ! Aujourd’hui c’est tout le contraire. Ils ne veulent plus travailler que avec Des Films. Il faut du temps pour gagner leur confiance, mais une fois que vous l’avez, ils ne vous la retirent pas. Avec les Japonais, on avance toujours très lentement mais sûrement. On suit un chemin qui va de A à Z et il faut parfois plusieurs années pour terminer un projet. Mais cela vaut vraiment le coup de s’engager parce que, au moins, on fait rarement marche arrière.
AL : On disait les Japonais assez peu ouverts sur l’étranger et ne produisant que pour leur territoire.
JPD : Ce n’est pas faux, mais cela a changé depuis un moment. Déjà, parce qu’ils ont réalisés qu’il y avait des choses qu’ils produisaient et qui fonctionnaient bien à l’étranger. En ce sens là, Ring a été une grosse surprise : les films ont plu et Presse Pocket a sorti le livre sur mes conseils et il se vend très bien. Ensuite, parce qu’aujourd’hui le Japon souffre financièrement et qu’ils ne peuvent plus réunir à eux seuls un budget conséquent pour leurs films. Du coup, la Corée et Hong-Kong co-produisent, mais ce n’est pas suffisant. Il leur faut des capitaux européens… Les Japonais ont donc dû apprendre à mieux communiquer sur leurs films et à présenter à leurs partenaires une démo tape qui contient les premières minutes, le story-board et le script traduit en bon Anglais. Parce qu’avant, je passais parfois des heures à essayer de comprendre ce qui avait été mal traduit !
AL : Donc, vous avez des contacts aussi bien au Japon qu’à Hong-Kong. Vous parlez leur langue ?
JPD : Pas du tout ! C’est le drame de ma vie. Moi, je fais partie de la génération d’après-guerre (je suis né en 1945) qui est née et a grandi avec la culture américaine comme seule référence. Quand j’étais jeune, je partais en voyage aux states dès que j’avais deux sous en poche. Vers 1986/1987, j’ai commencé à découvrir vraiment le cinéma asiatique et ça a été une révélation. J’achetais des tas de films auxquels je ne comprenais rien, mais qui me fascinaient. La langue n’était pas un obstacle pour comprendre et ressentir les émotions qu’ils véhiculaient. C’est ce qu’expliquait HITCHCOCK : quand vous regardez un film, vous devriez pouvoir couper le son et comprendre ce qui se passe à l’écran. Quand j’ai vu dernièrement Boat people from China de MIIKE Takashi, je suivais le film même si je ne comprenais rien à ce que les acteurs disaient.
Quand je suis en Chine, en Corée ou à Hong-Kong, je peux parler Anglais avec mes interlocuteurs. Par contre, ça se complique au Japon où l’anglais n’est pas toujours très… académique ! Mais bon, on finit tout de même par réussir à se comprendre.
AL : Nous avons été assez surpris que OSHII Mamoru ne fasse pas référence au rôle que vous aviez joué dans la production d’Avalon.
JPD : Mais parce que ce n’est pas son rôle de faire parler de moi ! Et puis OSHII-San (NDLR : le San est utilisé pour marquer le respect et la déférence), tout comme OTOMO-San (NDLR : il s’agit d’OTOMO Katsuhiro) se moquent complètement de ces aspects financiers ! Quand on est en réunion sur Ghost in the Shell 2 ou sur Steam Boy, ils dorment tous les deux… Moi, je suis un amoureux du cinéma. Je travaille la question du commercial parce que j’adore ça. Communiquer sur un film, lui donner corps, c’est un grand plaisir. Mais à la différence de certains, je déteste faire des effets d’annonces sur des films qui ne se feront jamais. Par exemple, j’avais le projet de produire un film live de Gunm avec Kirk WONG à la réalisation et JODOROWSKY au scénario. Cela n’a finalement jamais abouti. Si je vous en avais parlé à l’époque, à quoi est-ce que ça aurait servi ? Maintenant, je préfère rester prudent et ne parler d’un film que lorsque je suis sûr qu’il se fera.
AL : On peut tout de même parler de Ghost in the Shell 2 et de Steam Boy ?
JPD : Oui, parce que ces films se feront, c’est une certitude. Pour ma part, je joue pour l’instant un rôle annexe sur ces deux films, plus un rôle de consultant que de producteur. Je ne peux donc pas encore confirmer que je serais présent dans la production.
Pour l’instant, j’ai pu lire le scénario de Ghost in the Shell 2 et je peux vous dire qu’il est encore meilleur que celui du premier ! C’est un script fabuleux qui tient compte des leçons d’Avalon. Au passage, sachez aussi qu’une série télé de Ghost in the Shell est en préparation, mais je n’en sais pas plus car je ne travaille pas dessus. Pour Steam Boy, la production a enfin été relancée et j’ai pu voir les premières minutes du film et étudier le storyboard. Le film d’OTOMO-San visera le public des 8-12 ans, ce qui a nécessité de proposer une histoire accessible pour toute la famille. Ainsi, je trouvais que dans le film le personnage du petit garçon était fabuleux mais que celui de la petite fille manquait de relief. J’en ai parlé aux producteurs japonais (parce qu’il n’est pas question de parler de contingences commerciales à l’auteur lui-même !). Ils ont visiblement fait passer l’information à OTOMO-San parce que dans le nouveau storyboard, la petite fille a un rôle beaucoup plus intéressant. Cette décision m’a fait plaisir, parce que cela prouve que mes remarques sont prises en compte, même si elles doivent passer par des intermédiaires hiérarchiques. Ces intermédiaires ont pour mission de protéger l’auteur, de le mettre à l’abri de tout ce qui pourrait l’empêcher d’être lui-même. Comme dans un film de samouraï, tous ces commerciaux discutent silencieusement entre eux pendant que le samouraï/réalisateur part se battre. Il ne s’agirait pas de le déranger… .
AL : Vous avez d’autres projets liés à l’animation ?
JPD : Je travaille actuellement avec celui que je considère comme le secret le mieux gardé du Japon : MORIMOTO Koji. C’est lui qui a réalisé le premier sketch de Memories, le meilleur en fait. MORIMOTO est un type fabuleux : tout ce sur quoi il a travaillé est génial et à la différence d’autres réalisateurs, il aura les moyens de toucher un public jeune parce qu’il a cette culture du jeux vidéo et de l’utilisation de la 3D. Moi, je travaille avec lui sur l’adaptation animé de Amer béton, le manga paru chez Tonkam. Mon fils a vu les premières images et il a trouvé ça super : pour lui, c’est un jeu-vidéo et quand il dit ça, c’est un compliment !
Le public de cet animé, c’est celui des 12-15 ans qui sont immergés dans cette culture des jeux et qui n’ont pas nécessairement lu le manga. Du coup, imaginer un scénario qui tire la substance même de l’oeuvre n’est pas aisé et on en est déjà à la troisième mouture. Les Japonais ont fait appel à un scénariste américain de série TV (un choix discutable, selon moi) qui aura la lourde tâche d’écrire un nouveau script. En tout cas, c’est un projet auquel je crois beaucoup.
AL : Est-ce qu’on pourrait avoir votre sentiment sur les nombreuses adaptations de comics en cours, comme celui de
JPD :
Concernant la possibilité de produire, il faut bien comprendre que je suis déjà assez débordé comme ça : on ne peut pas tout faire dans la vie, malheureusement. En même temps, j’avais bien quelques projets comme celui d’adapter Death de Neil GAIMAN ou de m’occuper de certains personnages de la Marvel, mais bon ils sont déjà tous pris. En plus, ce qui fonctionne en bédé ne marche pas forcément à l’écran. Adapter un comics nécessite un gros travail de re-création, alors… Et puis moi, plus que les personnages, ce sont les créateurs qui m’intéressent. Alors là, oui, j’ai un projet avec Warren ELLIS , le scénariste de Authority et de Planetary. Cela parlera d’un monde de vidéo game et KAWAÏ Kenji (Avalon,Maison Ikkoku, Ghost in the Shell) fera la musique.
AL : Peut-être un message personnel pour conclure ?
JPD : Oui, je pense que quoi qu’il advienne désormais, l’avenir vient de l’Asie. Même si dans deux ans le Japon perd son leadership, la génération qui a grandi avec ses dessins animés et ses films continuera à le faire vivre, qu’ils soient asiatiques ou pas.
Moi, je me considère comme un citoyen du monde : je suis chez moi partout où je mets les pieds. A mon avis, ce n’est qu’avec ce multiculturalisme, ces passerelles qui sont en train de se créer qu’on pourra lutter contre certaines formes d’exclusion. C’est avec les moyens de communication que nous offre Internet et le cinéma qu’on pourra faire tomber les préjugés entre les peuples.
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