Kawamoto Kihachiro

Puppet master

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Outre le long métrage Jours d’hiver, projet pharaonique rassemblant de grands noms de l’animation japonaise contemporaine (voir AL 98), les plus chanceux auront eu l’occasion de découvrir l’univers de KAWAMOTO Kihachirô grâce à ses deux interventions au Festival des Nouvelles du Japon au Forum des Images. La première, en 1999, nous avait présenté deux de ses courts incontournables : La diablesse, datant de 1972, et Le temple Dôjôji, datant de 1976. La plus récente, en 2003, nous permit de découvrir un autre pan du travail de l’animateur, lors d’une séance mémorable d’un vendredi de décembre.

Bunraku et expérimentation

Né en 1925 à Tôkyô, KAWAMOTO s’est dirigé, après des études d’architecture, vers l’animation de marionnettes, à laquelle il fut formé auprès du père du registre au Japon MOCHINAGA Tadahito, ancien élève de MITSUYO Seo. En 1963, KAWAMOTO perfectionna son art aux côtés du maître tchèque Jiri TRNKA. Son premier court métrage, Ne cassez pas les branches (1968) – adaptation d’une farce du Moyen Age autour d’un cerisier convoité – fut sélectionné au Festival International du Film d’Animation d’Annecy. KAWAMOTO s’en souvient comme de son « premier film personnel, puisque jusqu’alors je n’avais réalisé que des films commerciaux, de publicité ». Il reste aussi le seul film que Jiri TRNKA put voir avant sa mort en 1969.

Dès ce premier court, l’animateur posa les marques d’une esthétique qu’il déclinera par la suite : décors peints en papier, poupées aux visages expressifs, mais aussi bande-son travaillée et recherche dans la mise en scène, notamment concernant le choix des points de vue, enfin travail sur le montage, ces dernières caractéristiques émancipant ce court du théâtre filmé. Ses marionnettes apparaissent comme les petites soeurs des poupées du théâtre bunraku (de grande taille, elles étaient actionnées, à l’aide de fils et de leviers par trois personnes habillées de noir visibles sur scène, et figuraient au coeur de drames narrés par un chanteur accompagné d’un orchestre), leur visages de bois approchant les masques du théâtre Nô. De petite taille (20 à 25 cm), elles sont, selon l’animateur, peu aisément manipulables. Leur ossature est un cadre, en matière plastique, recouvert de mousse. Le metteur en scène reconnaît qu’elles sont également difficiles à éclairer.

Par la suite, KAWAMOTO travailla à d’autres formes d’animation : sa Farce anthropo-cynique (1970), mixant dessin animé et marionnettes, se voulait « un hommage à DUBCEK et au printemps de Prague écrasé en 1968 par les troupes soviétiques ». Un film qu’il trouva, à le revoir aujourd’hui, « compliqué », comme La vie d’un poète (1974), adaptation en dessin animé d’un texte de ABE Kôbô également projeté. KAWAMOTO estime avoir réellement décidé de son style en 1979, avec La maison en flammes. Loin de l’aspect expérimental des deux courts projetés précédemment, ce film stupéfie par sa maîtrise… flamboyante.

Perfectionniste

Inspiré du théâtre Nô, La maison en flammes retrace la fin tragique d’une jeune femme aimée de deux hommes qui s’affrontent pour gagner son coeur. Ne pouvant choisir, la jeune convoitée se suicide. Cinq cents ans plus tard, elle raconte son histoire à un bonze. Les 19 minutes du film sont un enchantement : le perfectionnisme, jusque dans les moindres détails (cheveux, vêtements) s’allie à une esthétique (rizières vert d’eau, décors rougeoyants aux tons changeants) et à une mise en scène d’une grande inventivité (KAWAMOTO joue ainsi sur la perspective et les points de vue). Les poupées changent d’expression par un jeu de visages étonnant. Leur animation, sensible et délicate, prend toute sa (dé)mesure dans les scènes où le vent fait ployer leurs vêtements et onduler leurs cheveux.

Parvenu à la maîtrise de son art, KAWAMOTO mit en scène, quelques années plus tard, Tirer sans tirer (1988), récit philosophique d’origine chinoise relatant l’oubli par un archer de l’existence même de son arc. L’animateur s’exprima surtout sur les difficultés autour de ce projet auquel il tenait beaucoup : « Personne ne voulait le produire. Enfin, une délégation chinoise rencontrée lors du Festival d’Animation d’Hiroshima, en 1985, me proposa deux ans plus tard de réaliser le film à Shanghai. Dans des conditions financières très dures, il a été conçu avec une équipe chinoise ». Outre le très court Autoportrait (1988) en pâte à modeler proposé lors de la séance, ce sont « les passions humaines » qui sont au coeur des films de KAWAMOTO, « un thème souvent présent dans le théâtre de marionnettes ».

La princesse endormie (1990), dernier film projeté, en est une autre superbe illustration. Cette co-production nippo-tchèque est selon son réalisateur, une « histoire d’amour inassouvi et de mésentente », qu’un de ses amis tchèque a défini comme « une version freudienne de La Belle au bois dormant ». Le récit prend place dans une Europe féerique où les rouets où ont été bannis pour empêcher la jeune princesse de s’y frotter. Mais la coquine gouttera à la piqûre, et au plaisir, incestueux, de la chair. Gestes comme expressions des poupées atteignent ici de nouveau une perfection rarement égalée, jusque dans l’animation des doigts des marionnettes.

Loué hors Japon, KAWAMOTO doit surtout sa célébrité nippone à la conception des marionnettes des séries télévisées L’épopée des 3 royaumes (1982-1984) et Le Dit des Heike (1993-1995). Egalement président de la JAA (Japanese Animation Association), ce réalisateur apparaît en Occident comme l’ambassadeur idéal d’une animation japonaise « noble », en filiation avec les Arts traditionnels (donc respectables) nippons. Une étiquette réductrice qui ne doit pas empêcher tout un chacun d’apprécier sereinement son oeuvre.

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Un commentaire

KAWAMOTO Kihachirô

Père de Jours d’hiver

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AnimeLand : Pouvez-vous revenir sur la genèse de Jours d’hiver ? Pourquoi avoir choisi d’adapter ce renku (suite de 36 poèmes enchaînés) de Bashô ?

KAWAMOTO Kihachirô : C’est un projet que je portais en moi depuis une quinzaine d’années. Cela fait très longtemps que je m’intéresse à l’oeuvre de Bashô. Le point de départ de cette passion fut un livre intitulé Le monde de Bashô, écrit par un professeur d’université nommé OGATA Tsutomu. Il décrit la vie qu’a menée Bashô, partagée entre la vocation d’artiste et celle d’artisan. Quant à Jours d’hiver, cette oeuvre fait partie d’un de ses plus célèbres recueils de poèmes, qui regroupe en plus de lui 5 autres poètes. Le processus de réalisation de ce renku est le suivant : chaque poète s’est appuyé sur le verset précédent pour élaborer à tour de rôle un verset. Des images se succèdent ainsi et se modifient peu à peu au fil de l’inspiration de chacun. Ce qui m’intéressait, c’était de voir comment des artistes aux styles très différents parvenaient au fur et à mesure et collectivement à élaborer une oeuvre cohérente, dans une logique de concurrence ou tout au moins d’émulation. Cela me semblait être le point de départ idéal pour rassembler des réalisateurs de cinéma d’animation, aux styles également très différents.

AL : Comment avez-vous procédé au choix des réalisateurs ?

KK : De ce point de vue là, Jours d’hiver a été un projet très difficile à monter. Il a vraiment été lancé en 2000 lors du festival d’Hiroshima, avec le ralliement enthousiaste de l’animateur indépendant FURUKAWA Taku. C’est aussi à l’occasion de ce festival que j’ai rencontré le futur producteur de Jours d’hiver, M. SHIMAMURA. A mon retour d’Hiroshima, j’ai commencé à solliciter par écrit des animateurs japonais dont j’appréciais le travail, mais aussi des étrangers avec qui j’avais des affinités. C’est alors qu’à l’occasion de l’une de ses visites au Japon, Youri NORSTEIN m’a déclaré être intéressé par le projet, d’autant plus qu’il avait déjà songé à adapter lui-même une oeuvre de Bashô. Qu’un artiste de sa trempe nous rejoigne était une excellente nouvelle. J’ai donc décidé de lui confier l’honneur d’adapter le premier verset de l’oeuvre. En effet, les versets les plus importants dans Jours d’hiver sont ceux rédigés par Bashô lui-même, outre le premier, le 8e, le 11e, le 18e, le 21e, le 28e et le 31e. En plus celui confié à NORSTEIN, il en restait donc 6, qu’il convenait d’attribuer à égalité entre 3 Japonais et 3 maîtres étrangers. Ce furent donc Raoul SERVAIS, Bretislav POJAR et le jeune Marc BAKER pour les étrangers, et M. TAKAHATA à qui je réservais le verset le plus difficile à adapter , M. FURUKAWA, et la paire formée par M. KOTABE et Mme OKUYAMA pour les Japonais. Je pense qu’ils ont tous remarquablement réalisé la partie qui leur avait été attribuée.

AL : Selon quels critères ont été attribués les autres versets ?

KK : Cela s’est vraiment décidé en fonction de la sensibilité de chacun. Par exemple, dans cette oeuvre, il y a deux versets qui parlent d’amour. Le premier en exprime la tristesse, le second les joies. J’ai intentionnellement confié le premier à Mme OKUYAMA, même si elle aurait préféré le second, car je pensais que cela lui convenait mieux. Et elle a réalisé un film magnifique. De la même manière, le verset confié à POJAR évoquait une histoire ancienne, de laquelle se dégageait une forme de tristesse qu’il a très bien saisie.

AL : De quelle marge de manoeuvre disposaient les réalisateurs du film pour adapter ces versets ?

KK : L’important était que chacun puisse se laisser pénétrer par le verset qui lui avait été confié et ainsi en livrer sa propre interprétation. Mais dans ce type de poésie courte, il y a beaucoup de choses à saisir en filigrane, et un certain nombre d’images devaient impérativement se trouver représentées dans tel ou tel verset. C’est pour cela que j’ai demandé à recevoir en amont les storyboards des différents réalisateurs, afin d’exercer une forme de contrôle sur le contenu visuel de chaque film, notamment en ce qui concernait les réalisateurs étrangers qui avaient choisi d’ancrer leur film dans des paysages japonais, qui se devaient d’être réalistes. Par ailleurs, il fallait également veiller à la cohérence générale du projet, à ce que les courts métrages, tout comme les poèmes, s’enchaînent bien les uns avec les autres.

AL : Quel regard portez-vous sur le résultat final ?

KK : Je suis très satisfait car tous les réalisateurs se sont montrés à la hauteur de l’oeuvre de Bashô. Chaque renku dure à peu près de 40 secondes, mais ce qui est remarquable, c’est que malgré une durée aussi courte, on perçoit la force du style de chacun. Le film regroupe de plus 35 réalisateurs, formant ainsi un kaléidoscope de styles et de techniques d’animation inédit, qui va de l’encre sur papier jusqu’à l’image de synthèse, en passant par l’animation de poupées, etc. Cette diversité étant susceptible de donner une impression d’hétérogénéité, nous avons inséré entre chaque séquence un panneau identique indiquant le verset adapté. La musique joue également un rôle primordial dans l’unification du film, et nous avons bénéficié de la participation d’un compositeur de premier ordre, IKEBE Shinichirô (1).

AL : Quel message souhaitez-vous transmettre à travers Jours d’hiver ?

KK : La première chose que je voulais transmettre, c’était la virtuosité de la poésie de Bashô et à travers elle l’immense richesse de la culture de l’ère Edo (1600-1868). Par ailleurs, je voulais montrer à quel point Jours d’hiver reste, plus de 300 ans après son élaboration, une oeuvre exceptionnelle, d’autant plus qu’à l’époque où il l’a rédigée, Bashô avait 41 ans, et les autres lettrés qui ont participé à cette oeuvre étaient également très jeunes : Kakei en avait 38 et Yasui 27. En ce qui concerne le film, j’ai essayé de faire appel à des réalisateurs expérimentés comme KURI Yôji, qui a derrière lui 40 ans de carrière aussi bien qu’à des débutants, des animateurs de studio, comme MM. TAKAHATA et KOTABE, ainsi qu’à des réalisateurs indépendants, afin de montrer la diversité du cinéma d’animation japonais.

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