Kenshin

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Adaptée d’une partie du manga crée par WATSUKI racontant les origines de Kenshin, cette série impressionne par sa qualité générale et une histoire poignante : Japon, 1865, Kenshin, orphelin rescapé d’un massacre, devient l’assassin attitré d’un clan de samouraï en rébellion contre le régime du shogun. Adolescent sombre et torturé, il tue sans pitié pour l’avènement d’une ère plus juste. Obligé de fuir Kyoto, il se réfugie à la campagne en compagnie de Tomoe, une jeune femme mystérieuse qui s’obstine à le suivre. Il goûte avec elle à une vie différente de ce qu’il a toujours connu. Mais, victime d’une terrible machination, il connaîtra à nouveau le malheur…
Réalisé en 1999, cette série de 4 OAV, éditée en France par Dynamic Visions, s’affirme d’ores et déjà comme un classique de l’animation japonaise. La qualité de la musique, la finesse des dessins et une réalisation inspirée font de cette mini-série une perle du chambara. Abordant la passionnante période de la fin de l’ère Edo (1603-1868), Kenshin raconte l’implication des clans de samouraï dans la guerre qui va mettre fin au gouvernement du shogunat TOKUGAWA. La nouvelle ère Meiji (1868-1912) verra pourtant la disparition de leur caste, devenue anachronique. Le contexte y est à la fois brillamment reconstitué, à travers la présence de personnages historiques, et parfaitement intégré à l’histoire, qui y puise sa richesse et son ampleur.

Un peu d’histoire…

L’ère Edo est une période de l’histoire du Japon caractérisée par plus de 250 années de paix intérieure et le règne sans partage de la famille TOKUGAWA. Faisant suite à l’ère des dictateurs (1567-1603), son début coïncide avec la prise du pouvoir par TOKUGAWA Ieyasu, évinçant TOYOTOMI Hideyori, fils du Shogun précédent Hideyoshi. Les premières années troublées du règne des TOKUGAWA inspirèrent également nombre d’écrivains, de cinéastes et de mangaka. Citons le roman Le château de Yodo de INOUE, La pierre et le sabre de YOSHIKAWA, de même donc que le manga que INOUE Takehiko en a tiré.
L’ère Edo est également marquée par la politique d’isolement du shogunat. Elle prend fin en 1853 quand la flotte du Commodore Perry pénètre en baie d’Uraga demandant l’ouverture des ports japonais. Impressionnés par les bateaux américains, le Bakufu (gouvernement du Shogun) l’autorise et lie même des traités économiques avec les pays occidentaux, largement défavorables au Japon. Les dernières années du règne TOKUGAWA se caractérisent donc par une crise économique et civile. Il prendra fin avec le soulèvement d’une armée entraînée par les clans de samouraï Chôshû et Satsuma, lors de la guerre du Bôshin (1866-1868). L’issue de la guerre verra leur victoire et l’inauguration de l’ère Meiji, avec la restauration de l’Empereur Mutsuhito, qui fait de Tôkyô sa capitale.
Kenshin se déroule pendant les mois qui précèdent la guerre du Bôshin, le jeune assassin fait partie du clan Chôshû, dirigé par KATSURA Tarô. Les clans Chôshû et Satsuma ont entamé, plus ou moins clandestinement, leur entreprise de déstabilisation du pouvoir, bien que divisés, comme le montre film, sur les stratégies à employer. Ces samouraï sont traqués par les hommes du Shinsen-gumi, milice aux ordres du Shogun.

Cette période a également inspiré d’autres oeuvres. Citons Kamui, le film d’animation réalisé par RINTARO en 1985. Il raconte le long combat d’un jeune homme, Kamui, contre Tenkai, chef d’un clan ninja, qui a assassiné ses parents. Tenkai, qui s’est rangé du côté du shogun, cherche un trésor dont seul le père de Kamui connaissait l’emplacement. Le trésor devient un enjeu pour l’avenir du Japon car Tenkai le convoite pour financer les opérations militaires de son camp. Mais c’est Kamui qui le découvrira, donnant ainsi l’avantage aux Daimyô (seigneurs) de l’ouest, partisans de l’Empereur. Dans Kamui, comme dans Kenshin, on aperçoit quelques personnages historiques, et le contexte est partie prenante de l’histoire. Citons également Tabou, le film de OSHIMA Nagisa, sorti sur nos écrans en 2000, dont l’action prend place en 1865 à Kyoto, dans le camp d’entraînement du Shinsen-gumi. Le contexte historique n’y est pas directement traité (le film se concentre sur les intrigues au sein de l’école, dont on ne sort quasiment pas), mais à travers la description des moeurs dévoyées du Shinsen-gumi et de ses rivalités de pouvoir, on comprend bien que le temps de la milice est compté.

Une reconstitution rigoureuse

Deux personnages ayant réellement vécu à cette époque apparaissent dans les OAV de Kenshin : KATSURA Tarô, chef du Chôshû-han, et TAKASUGI Shinsaku, membre du même clan.
KATSURA (1847-1913) est l’autorité suprême du clan de Kenshin. C’est lui qui remarque l’adolescent dans le camp d’entraînement de TAKASUGI. Ils se rencontrent à plusieurs reprises dans le film. Kenshin respecte KATSURA pour ses idéaux. Après la restauration Meiji, il occupera divers postes, à l’étranger notamment ; promut Général en 1894, puis Gouverneur de province en 1896, il accède en 1901 au poste de premier ministre. Il occupera à nouveau ce poste en 1908 et en 1912. Personnage important de l’ère Meiji, il apparaît dans le film légèrement “mythifié”, personnification de la noblesse et de l’intégrité : il refuse la proposition de MIYABE, chef du clan Satsuma, de brûler Kyoto, pour épargner des vies humaines. TAKASUGI (1839-1867) est l’ami de KATSURA. Pour s’opposer au shogunat, Il fonda une armée de samouraï ronin (sans maître) et de paysans, dans laquelle Kenshin se fait remarquer. Il battit les troupes shogunales en 1866 mais mourut de tuberculose un an après. Dans le film, on le voit mourir sur le champ de bataille terrassé par la maladie. Il y est décrit comme instable et c’est en pensant à la “folie” de TAKASUGI, canalisée par l’amour de sa femme, que KATSURA demande à Tomoe de devenir le “fourreau” où Kenshin puisse laisser reposer son agressivité.
Le Shinsen-gumi, dont font partie, dans le film, Saito et Okita, est aussi rigoureusement authentique. Milice composée de samouraï, elle fut crée par le Bakufu en 1863 pour servir de police et protéger ses déplacements. Elle lui resta fidèle pendant la guerre du Bôshin…

La fin d’une époque

L’ère Meiji, pour laquelle KATSURA et Kenshin se battent avec tant de ferveur verra pourtant la mort de la caste qui a travaillé à son avènement : les samouraï… Après la restauration, ils furent englobés dans la classe des Shizoku (“peuple d’origine guerrière”), perdant leurs privilèges, victimes de la modernisation forcée du pays. En 1976 le port des sabres leur fut interdit, ce qui provoqua quelques rebellions. Quelques années plus tard, l’établissement de la conscription acheva de les priver de leurs derniers droits…
Dans Kamui, la victoire des troupes impériales lors de la guerre du Bôshin prend un goût amer : le jeune héros voit des militaires en uniforme, équipés d’armes modernes, faisant paraître ridicule son accoutrement et ses méthodes de combat. Pire encore : il perçoit derrière le visage d’un général, la face de Tenkai, que pourtant il vient de tuer. Le message est clair : Tenkai, du moins ce qu’il représente de cynisme et de cruauté dans la pratique du pouvoir, n’est pas mort ; Les hommes du nouveau régime ne valent pas mieux que ceux de l’ancien…
Dans Tabou, OSHIMA décrit la communauté du Shinsen-gumi, juste avant la guerre du Bôshin. Complètement corrompue, la milice est décrite comme renfermée sur elle-même, hors du temps. Les intrigues de pouvoir et leurs désirs sexuels semblent plus préoccuper les samouraï que la défense du shogunat ou que la Voie du Sabre. En effet, le clan est mis sens dessus-dessous par l’arrivée d’un jeune guerrier androgyne… Pourtant, OSHIMA ne traite pas directement le contexte historique. Plus finement, il brosse le portrait d’un clan gangrené dont les valeurs sont en plein décrépitude, anticipant ainsi la défaite du Shinsen-gumi, et au delà, la mort du samouraï. Le film frappe par cette vision sans concession de la caste, débarrassée du sentimentalisme, du romantisme et de l’aspect nostalgique qui lui sont généralement associés. Le film a d’ailleurs été mal reçu au Japon, perçu comme une nouvelle provocation d’ OSHIMA (réalisateur de L’empire des sens), une tentative de dynamiter les mythes nationaux.

Si l’on se fie donc à l’Histoire, dix ans après avoir contribué à son avènement, Kenshin sera privé de son sabre par le gouvernement Meiji ! KATSURA le visionnaire, réussira, comme on l’a vu, à évoluer et à s’intégrer dans le nouveau régime. Dernier “baroud d’honneur” de la caste des samouraï, sa rébellion face au dernier Shogun signe aussi son arrêt de mort…
L’arrière plan historique, très bien restitué, imprègne le récit. On sent dans Kenshin, le chapitre du souvenir l’espoir que suscite cette nouvelle ère tant attendue, ainsi que l’ampleur de la tâche et ce qu’elle coûte aux personnages (Kenshin devient un assassin sans pitié). L’histoire est également imprégnée de mélancolie, comme si les protagonistes pressentaient la mort de leur caste et de ses valeurs.
Cette utilisation du contexte, intégré au récit et à son atmosphère, donne au film un souffle romantique unique et touchant.

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