L’animation avant guerre

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Formés par les défricheurs du genre, les nouveaux créateurs bénéficiaient de l’expérience de leurs pairs, tout en se révélant eux-mêmes de formidables innovateurs. Les techniques d’animation se diversifient peu à peu et, si la période reste marquée par le muet, des premiers essais sonores voient le jour. Les thèmes pour leur part sont repris de l’univers traditionnel des contes ou véhiculent quelques messages socialement orientés. C’est là la période la plus spontanée de ce cinéma d’animation, avant qu’il ne soit plus que le véhicule de la propagande de guerre.

YAMAMOTO Zenjirô ( dit YAMAMOTO Sanae Sanae étant un prénom féminin) (1898-1981) est né dans le département de Chiba. Sa formation se détache de celle de son maître à penser puisqu’il se consacre en premier lieu à l’étude de la peinture traditionnelle japonaise à l’école Kawabata de Tôkyô. C’est en 1918 qu’il devient l’assistant de KITAYAMA Seitaro, et rentre cette même année à la Nikkatsu, un des trois pionniers de l’animation japonaise avec la Tenkatsu et la Kobayashi Shôkai. Au contact de Kitayama il se forme à ce nouvel art et y consacre une énergie passionnée. On a pu voir ainsi Le lièvre et la tortue (Usagi no Kame), créé en 1924. Le dessin en premier lieu de cet animé étonne. Plus versé dans la tradition nippone que ses pairs, YAMAMOTO Sanae n’en livre pas moins une oeuvre purement occidentale. On se croirait devant un graphisme directement inspiré des oeuvres de Benjamin RABIER (célèbre illustrateur animalier à qui l’on doit notamment les personnages de Gédéon et de la Vache qui rit). Un choix qui correspond parfaitement au thème choisi puisque l’animé est une adaptation du fameux conte éponyme de Jean de la Fontaine. Un lièvre et une tortue y mènent une course pour savoir qui est le plus rapide. Sur de son fait, le lièvre ayant pris de l’avance fainéante et vagabonde pendant que la laborieuse tortue finit par franchir la ligne d’arrivée. Ce conte aura inspiré bien des créateurs d’animés de par le monde, et l’on comprend pourquoi à la vue de la création de YAMAMOTO Sanae. Le lièvre et la tortue permet en effet nombre d’effets cinématographiques utilisé dans le cinéma live. On y retrouve l’utilisation de caches ronds, ancêtre du zoom gros plan, servant à circoncire une partie de l’action, un focus sur les personnages. La course des deux animaux permet l’utilisation du montage alterné en séquences rétrécies. Le thème, enfin, social et à destination des enfants, permet la minimalisation des décors (qui disparaissent dans l’enchaînement plan large/plan resserré) et une grande simplicité de compréhension. Loin du réel, on nage ici dans la pure fiction moralisatrice qui caractérise les débuts de toute forme d’art populaire.

En 1925, suite au départ pour Osaka de KITAYAMA et à son abandon du film d’animation, YAMAMOTO Sanae fonde les studios Yamamoto Manga Production. Immédiatement, il lance la réalisation de son premier film, La montagne aux vieillards retirés (Ubasute yama) qui connaîtra un fort succès. L’état et principalement le ministère de l’éducation, reconnaissant le talent de YAMAMOTO, lui passent les commandes de dessins animés nécessaires à la survie du studio. Et c’est en 1928 que paraît Momotaro, roi du Japon (Nihon Itchi no Momotaro). Ce dessin animé muet, en animation de papier découpé, est l’adaptation d’un conte cette fois propre au Japon et fondateur d’autant d’histoires que celui du Voyage en occident. Un jour, une paysanne trouve une pêche géante dans laquelle demeure un petit garçon : Momotaro (ce qui n’est pas sans nous rappeler une scène onirique de Nos voisins les Yamada, entre autres). S’ensuivent les aventures de Momotaro, qui pour être un petit garçon, n’en vole pas moins au secours des plus démuni, aidant un paysan, réconciliant singe et chien, se liant d’amitié avec un faisan, partant à la conquête de l’île aux démons. Ce dessin animé glorifie en fait les valeurs héroïques du jeune guerrier, courageux et pur, unificateur des opposés et pourfendeur des démons (aux allures étranges de chinois) ; en somme, un leitmotiv du héros que l’on retrouve encore aujourd’hui. D’une animation fluide, cet animé ravit par son utilisation du clair-obscur comme par l’intensification de la dramaturgie du combat final grâce à l’utilisation des ombres chinoises. Sympathiques également, des petits moments de vie quotidienne, comme la scène du lavage de linge, contribuent à faire de cet animé une oeuvre complète et aboutie.

Si leurs aînés ne se connaissaient pas entre eux, les héritiers des premiers pionniers ne firent pas de même. En effet, YAMAMOTO Sanae connaissait MASAOKA Kenzo (qui par ailleurs était rentré à la Nikkatsu en 1929 et que l’on considère aujourd’hui comme le père « biologique » de l’animation en cellulo). Les deux compères fonderont en 1947 les studios Nichidô dont YAMAMOTO sera l’administrateur général et directeur ce qui l’amènera à délaisser peu à peu la réalisation.

La programmation de la maison de la culture du Japon amenait à découvrir sur ce programme bien d’autres oeuvres. Ainsi Les aventures du petit Masa (Masachan no bôken) et Le père nonchalant (Nonkina Tôsan Yamazaki Kaidô), tous deux d’auteurs inconnus. Un autre créateur étaient néanmoins à l’honneur sur cette période, dont nous diront un mot.
MURATA Yasuji (1896 1966) est né à Yokohama d’une famille de marchand de saké. Désirant devenir artiste peintre, il débute en peignant des affiches de films étrangers projetés dans une salle de cinéma. Remarqué par la Yokohama Cinéma Shokai, il est embauché pour dessiner les intertitres sur des films éducatifs et les animations américaines. C’est alors qu’il apprend les techniques d’animations au côté de son ami YAMAMOTO Sanae. MURATA Yasuji s’illustra principalement au sein de la Yokohama Cinéma Shokai en tant qu’animateur utilisant les techniques du papier découpé. Il réalisera un remake de La guerre des singes et des crabes, 9 ans après celui de KITAYAMA. On aura donc découvert deux de ses oeuvres : Le vieillard aux fleurs (Hansaka Jijii, 1928) et Le pot d’abondance (Bunpuku Chamaga, 1928). MURATA Yasuji y développe des histoires traditionnelles où apparaissent les valeurs du travail pour les hommes ou l’attitude d’une bonne épouse, le fond donc moralisateur commun à la période. MURATA Yasuji aura également testé son talent sur le personnage du Tanuki, à vertu humoristique. A ce titre la technique d’animation de MURATA a poussé l’art du papier découpé jusqu’à d’étonnantes extrémités. En effet, son souci de perfection était tel qu’il arrivait à obtenir un rendu de fluidité dans l’animation équivalent à celui d’une oeuvre animée en cellulo. Cela lui valu le surnom d’ « expert » en art du papier découpé.

C’est ainsi que par l’entremise d’une poignée de génies doux rêveurs, un art naquit au pays du soleil levant, dont nul encore n’imaginait l’impact sur le culture et l’économie de ce pays. De cette première période, on retiendra les thèmes familiers aux japonais, puisant dans les contes de références d’alors et l’animation expérimentale du papier découpé, entrecoupées d’expériences en ombres chinoises. Mais il s’agissait encore d’une animation artisanale, l’industrie en elle-même ne naîtra qu’à partir des années 30, lorsque, logiquement, les animés passeront de muet à sonore, puis parlant.

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