Comme dans les productions de Disney les animaux sont doués de parole mais ici on est bien loin des scénarios hollywoodiens et des histoires manichéennes rehaussées par quelques monologues chantés. Une fois de plus, les Armateurs, producteurs de Kirikou et la Sorcière, ont choisi d’exhaler l’âme d’un conte aux parfums lointains. L’enfant qui voulait être un ours raconte le voyage initiatique d’un petit d’homme élevé par un couple d’ours blancs, une quête d’identité qui interpelle tant l’imaginaire que l’intelligence des spectateurs, petits et grands. L’histoire commence avec la cavale d’un couple d’ours blancs qui fuit une meute de loup pour rejoindre la tanière où la mère doit mettre bas. Mais l’Ourse fait une fausse couche et sombre dans un chagrin profond, inconsolable. Son compagnon sensible à la détresse de sa partenaire dérobe un nouveau né à un couple d’humains pour qu’elle l’adopte. Mue par son instinct maternel, l’Ourse élève le nourrisson comme un véritable ourson. Le garçonnet devient Petit Ours et fait la joie et la fierté de sa mère adoptive. Non loin de là, le père et la mère naturels de l’enfant souffrent chaque jour de l’absence de leur fils. Le père se promet de tuer le couple d’ours qui a emporté son enfant loin du foyer familial. Cependant, lorsqu’il retrouve enfin le petit homme et le ramène parmi les siens, Petit Ours ne parvient pas à s’adapter à sa nouvelle vie. Refusant sa nature humaine, et considérant ses véritables parents comme des assassins, il poursuit un impossible rêve : devenir un Ours, libre et sauvage. Pour atteindre ce but insensé, il fait appel à l’Esprit de la Montagne, le mythique gardien des hommes et des animaux polaires.
Le scénario, on le voit, laisse autant de place à l’action et au suspense qu’à l’expression des sentiments des personnages, hommes ou bêtes. Le scénariste français du film, Michel FESSLER, laisse de grands silences entre les dialogues pour que le spectateur puisse en savourer toute la tendresse, l’intensité et la poésie. Michel FESSLER, âgé de 20 ans, décida d’ouvrir et d’animer deux salles de cinéma d’Art et Essai à Lyon. Ensuite, il devient réalisateur de fiction et de documentaires pour France 3 Rhône-Alpes-Auvergne. Après avoir écrit son premier scénario, il se voit confier l’adaptation de L’année de l’éveil de Charles JULIET. Aujourd’hui, Michel FESSLER a mis en scène une vingtaine de films (longs métrages, films d’animation, documentaires pour la télévision…). Récemment, il a oeuvré en qualité de co-scénariste sur Man to man : le prochain film de Régis WARGNIER. Rendre en un film d’animation les subtilités d’ambiances de L’ enfant qui voulait être un ours imposait un travail parallèle de la musique attentif à ces atmosphères. Son choix se porta donc sur Bruno COULAIS.
Le compositeur Bruno COULAIS a choisi pour ce film de souligner la beauté des paroles et des silences en inventant une musique simple et profonde comme les paysages polaires. Des instruments naturels, comme les cailloux et les branches d’arbres, sont associés aux trombones, au piano, et aux voix envoûtantes et inspirées de WINNE, Marie BOINE, Kaya BRÜEL et Nicolas LEMOINE. Les notes semblent glisser et résonner dans le décor graphique du film, tracé à grands traits de plume et d’aquarelle. Disons néanmoins ici un mot de ce compositeur. C’est durant un stage Son dans un auditorium que Bruno COULAIS fait la connaissance de François REICHENBACH. Ce dernier lui demande en 1977 de composer la musique d’un documentaire nommé Mexico Magico. Petit à petit, Bruno COULAIS se consacre à la musique de film. On lui doit notamment les musiques de fond de La femme secrète en 1986. Il alterne entre la télévision (L’instit, 1993) et le cinéma (Le retour de Casanova, 1992). Mais s’il y a un film qui lui permet de se faire connaître en 1996, c’est bien Microcosmos, le peuple de l’herbe qui remporte en 1997, le César de la meilleure musique. Il travaille également sur les bandes originales de films à gros budgets tels Les Rivières pourpres de Matthieu KASSOVITZ en 2000 et l’oeuvre de Jean Paul SALOME en 2001 : Bélphégor, Le fantôme du louvre. Pour ce qui est des petites productions, il signe les BO de Déjà mort d’Olivier DAHAN en 1998 et Comme un aimant d’AKHENATON en 2000.
Bruno COULAIS ne s’épargne nullement la composition pour des films aussi divers que variés comme Belle Maman de Gabriel AGHION en 1999, une comédie ou bien Harrison’s Flowers d’Elie CHOURAQUI en 2000, une comédie dramatique. Il oeuvre aussi avec des choeurs bulgares et les Corses d’A. FILETTA. Sans parler de sa collaboration fréquente avec le producteur Jacques PERRIN (Himalaya, l’enfance d’un chef pour lequel il obtient un second César en 2000 et Le Peuple migrateur en 2001). Enfin, suite à des travaux de longue haleine et plus de 35 musiques de films, Bruno COULAIS a décidé de ralentir son rythme effréné pour composer assurément certes, mais modérément…
L’émotion est au rendez vous. Dans la salle de projection de L’enfant qui voulait être un ours on pourrait entendre le blizzard souffler tant les spectateurs sont happés par la magie du conte et le plaisir de découvrir planche après planche la culture esquimaude. Les tâches quotidiennes des hommes et des femmes du Grand Nord, leur courage face à la rudesse des éléments naturels, leurs jeux et leurs chants donnent au film une tonalité légèrement documentaire. Face à eux la majesté fragile de l’ours blanc si fort, si craint et pourtant si impuissant face aux harpons des chasseurs fait rêver les plus jeunes et voyager les pensées des plus aventureux. Seuls quelques éclats de rire, provoqués par les facéties du corbeau, ami de Petit Ours, ponctuent la séance. Quand la lumière revient certains visages sont rêveurs, séduits par la naïveté lyrique de la tradition orale Inuit, d’autres sont pensifs, s’interrogeant sans doute sur la liberté d’être celui que l’on veut être. Personne en tout cas n’est indifférent. L’équipe franco-danoise qui a réalisé le film a tenu ses promesses : avec un minimum d’effets spéciaux un budget moyen et une animation classique au crayon et au pinceau, elle a su offrir au public un moment de magie et de rêve qui n’a rien a envier aux productions des grands studios américains. Comme quoi les vrais créatifs et les amoureux de l’enfance comme Jannik HASTRUP, en dépit de leur tempérament d’artistes, ne perdent jamais tout à fait le Nord.
Jannik HASTRUP est née en 1941 à Noestved au Danemark. Elle a produit et réalisé plus de 60 courts métrages d’animation dans les années 60 et 70. Et ce, au sein du studio d’animation Dansk Tegnefilm Produktion. Sa production effective des années 80 s’est axée principalement dans l’activité de longs métrages. La productrice Marie BRO la rejoint en 1996. Ensemble, elles créent la société Dansk Tegnefilm 2. Elle se spécialise dans les films d’animation haut de gamme ciblés grand public et mondiaux. Cependant, elle est parfois amenée à concevoir des courts métrages artistiques ou des unitaires destinés au marché de la télévision. Dansk Tegnefilm 2 est reconnue pour son savoir faire en matière d’animation mise en scène par une équipe d’animateurs et d’assistants internationaux. La société détient un studio d’animation qui lui est propre, basé au centre de Copenhague. Samson og Sally (Le secret de Moby Dick, 1984) est le premier long métrage réalisé par Jannik HASTRUP. Il fut récompensé de nombreuses fois tandis que Strit og Stumme (1987) reçut le prix du meilleur long métrage d’animation au festival du film pour enfants de Chicago. En 1991, Fuglekrigen (Oliver et Olivia, 1990) fut reconnu Meilleur film par le jury de Cannes Junior. Jannik HASTRUP acheva en 1998, deux longs métrages : H.C. Andersen og den skoeve skygge (L’ombre d’Andersen) et Cirkeline-Storbyens Mus. En février 2000, Ost et Koerlighed, son dernier film est sorti dans les salles obscures du Danemark. Jannik HASTRUP tire sa notoriété d’une attention portée spécialement sur le traitement des personnages, un talent que l’on retrouve donc forcément dans L’enfant qui voulait être un Ours.
Bien qu’étant né du ventre d’une humaine, l’enfant esquimau n’en reste pas moins un ours polaire dans l’âme. Tant par son caractère, ses attitudes et son instinct animal. Le petit d’homme grandit sur la banquise aux côtés de sa maman ourse. Quelques années se sont écoulées et lorsque papa esquimau revient, l’enfant devenu adolescent est trop épris de la liberté sauvage propre aux ours pour recouvrer le plein exercice de son humanité. L’artiste interprète Paolo DOMINGO (qui avait chanté Ce rêve bleu le générique d’Aladin de Disney) se colle à Petit ours (adolescent). Mais l’étude des personnages prend toute sa saveur lorsque l’on se penche sur les deux couples de parents qui entourent Petit Ours. Chasseur traditionnel, l’homme esquimau chasse et pêche. Avec son arc et son harpon il passe son temps à traquer de nouvelles proies. Taciturne et sévère, à l’image du monde qui l’entoure, il ne croit pas aux vieilles légendes de ses ancêtres. Il veut impérativement faire la peau aux ours qui ont kidnappé son enfant. C’est Patrick POIVEY (Starlion dans Les Cosmocats, Rif-Raf dans Les Entrechats, La coccinelle dans Milles et une pattes…) la voix attitré de Bruce WILLIS qui prête sa voix au père esquimau. Digne descendante d’une famille de chasseurs, la femme esquimaude, à l’inverse de son mari croit aux légendes que racontaient ses ancêtres. Elle croit surtout à la réincarnation de l’homme en animal. A l’instar de son grand-père, elle est persuadée que du sang ours coule dans ses veines. Son instinct maternel se réveille pendant sa redoutable confrontation à Papa Ours lorsque celui ci dérobe son enfant pour le faire sien. Papa ours est comme un second père pour Petit ours. A la fois fort et tendre, c’est un être impulsif. Impuissant face au chagrin de sa compagne il décide de subtiliser le nouveau né du chasseur d’Ours le plus proche pour le donner à adopter à sa compagne. Il apparaît surtout au début du film et à la fin. Papa Ours est doublé par Benoît ALLEMANE (Baloo dans Le Livre de la jungle et Super Baloo, Goliath dans Les Gargoyles, Zeus dans Hercule…) la voix de Tony le tigre de la pub Frosties de Kellog’s et des bandes annonces Disney.
Maman ourse ne supporte pas le décès de son enfant. Dès lors, elle se comporte de façon agressive envers Papa Ours qui essaie de la consoler tant bien que mal. Dotée d’un caractère bien trempé et sachant faire face à toutes épreuves, elle saura devenir une bonne mère pour son enfant adoptif : Petit Ours. Elle lui apprend notamment à canaliser son énergie débordante (surtout pendant l’adolescence). Une tâche qui s’avère particulièrement ardue mais qui finira par porter ses fruits. Une galerie de personnages aux motivations complexes qui valaient bien une bordée de bons doubleurs pour retranscrire tous ces sentiments. On retrouvera d’ailleurs également Chantal MACE pour la voix de la Maman de l’oursonne et Danièle Hazan (voix de Bobby et interprète du générique Les Petits Malins, Le petit frère dans Moldiver, Javotte dans Cendrillon FR3) qui incarne Morse Femelle.
Mais L’enfant qui voulait être un ours pour être une belle histoire est aussi la petite histoire d’une collaboration éclairée entre les créateurs et les producteurs. Une petite histoire qui dure depuis Kirikou. La société Les Armateurs a été fondée en 1993. Elle produit entre 1996 et 1998, Kirikou et la sorcière : l’un des plus grands triomphes commerciaux du cinéma d’animation de ces dix dernières années. Soit plus d’1, 4 millions d’entrées pour ce petit bijou signé Michel OCELOT. Récompensé par le prix du long métrage au Festival d’Annecy en 1999 et par un British Award en 2002, le succès progressif de Kirikou et la sorcière en aura surpris plus d’un. C’est en janvier 2000 que sort au cinéma Princes et Princesses toujours de Michel OCELOT : un film d’animation en papier découpé. Résultat : un succès qui se traduit par 420 000 spectateurs à l’heure actuelle. Ensuite, les armateurs créent trois autres longs métrages : Les Triplettes de Belleville de Sylvain CHOMET (dont le premier court métrage La vieille dame aux pigeons a été primé par le Grand Prix d’Annecy 97), L’enfant qui voulait être un ours de Jannik HASTRUP (en coproduction avec Dansk Tegnefilm) et T’Choupi- le film de Jean Luc FRANÇOIS et Michel FESSLER (sortie en décembre 2003).
D’autres projets cinéma devraient suivre, à savoir : Pourquoi j’ai mangé mon père, adapté du roman de Roy LEWIS (énorme succès littéraire), Crossroad, d’après les dessins de JANO, sur un scénario original de Jean-Luc FROMENTAL, Rebel, d’après un scénario original de Aidan HARTE et Tom MOORE et L’enfant et la rivière, d’Henri BOSCO, dont l’adaptation sera faite par Michel FESSLER. Il s’agit d’un nouveau défi que se sont lancé les Armateurs. Et pour ce faire, nous aurons le droit à un film en prise de vues réelles. Aux films familiaux de fictions propres aux armateurs s’ajoutent désormais les longs métrages d’animation. Ils veulent devenir la référence des films familiaux (entendez par là : originaux et créatifs) et maintenir leur position de leader en France et en Europe dans la production de films d’animation.
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