L’Etrange Festival, qui s’est tenu du 1er au 14 septembre au Forum des Images, à Paris, mettait à l’honneur deux cinéastes japonais, ISHII Teruo, pape de l’ero-guro ou érotique-grotesque, et ISHII Sogo, cinéaste difficilement étiquettable qui inspira la frange la plus déjantée du cinéma nippon actuel. On se souviendra aussi de la séance des Inrockuptibles dédiée à l’hallucinant Kung Fu Hara Kiri, un des grands moments de cette édition.
Dégoûtant ?
L’hommage consacré à ISHII Teruo a donné la préférence à ses films ero-guro, avec, en contrepoint, le premier opus de la mythique saga des Prisonniers d’Abashiri (1965). Ce film de yakuza propulsa le ténébreux acteur TAKAKURA Ken au rang de star, et ISHII se trouva commis d’office pour en réaliser quelques suites 9 pour être précis sur les 18 qu’elle allait compter. Côté ero-guro, étaient présentées des perles du genre : Femmes criminelles (1968), L’enfer des tortures (1969) et Orgies sadiques de l’Ere Edo (1969), série de films liés à l’Ere Tokugawa (ou Ere Edo) (1).
Le Festival n’a pas non plus résisté au plaisir de montrer à son public un de ces films « interdits » dont il a le secret : les spectateurs découvrirent L’effrayant Docteur Hijikata (1969), mis à l’index par les producteurs de la Tôei, et toujours interdit en vidéo et DVD. Un film « dégoûtant pour beaucoup », selon les mots de ISHII, inspiré de nouvelles du fondateur du roman policier nippon EDOGAWA Ranpo (1894-1965). Les plus avertis reconnurent notamment la trame de L’Ile-panorama, elle-même inspirée de L’Ile du Docteur Moreau, de H.G. WELLS. Aujourd’hui, la censure exercée sur le film fait sourire (on a, depuis, vu beaucoup des femmes à demi-nues tenues en laisse, ou des êtres prétendument malformés) : on s’ennuie vaguement devant la débauche de bizarreries platement mises en scènes, jusqu’au final où les amants maudits fusionnent en un feu d’artifice de membres s’éparpillant dans les cieux… Pas grand-chose à retenir, au-delà de sa réputation sulfureuse, de ce fourre-tout, si ce n’est la performance du grand acteur de Buto HIJIKATA Tatsumi, errant et gloussant en chemise de nuit sur la plage, les cheveux au vent.
On se rangera donc à l’avis d’un habitué du Festival estimant qu’ « on n’avait pas vu pareil nanar depuis Wild Animals » (2).
Dommage surtout que la programmation n’ait pas mis en lumière un des films récents de ISHII tels que Gensenkan shujin (Le maître du Gensenkan, 1993), adaptation d’un manga de TSUGE Yoshiharu, ou Jigoku (L’enfer, 1999), inspiré de la secte Aum.
Ishii the killer
Encore moins sage et résolument indépendant, l’autre ISHII avait aussi son hommage, sérieusement conçu : 11 longs, moyens et courts métrages pour constater que depuis ses débuts, en 1977, à l’âge de 20 ans, ISHII Sogo est passé par tous les genres et inspira des cinéastes comme TSUKAMOTO Shynia (3). Encore étudiant, il est remarqué par le studio Nikkatsu avec son premier court métrage en 16 mm, où un élève prend sa classe en otage. Nikkatsu lui propose d’en tourner un remake en 35 mm, en lui adjoignant un co-réalisateur. L’expérience de Panique au lycée (1978) déçoit ISHII qui décide de « ne jamais plus travailler pour un studio ». Crazy Thunder Road (1980), où une bande de motards se fritte avec des fascistes, est donc tourné avec les moyens à sa disposition à l’Université. Contre toute attente, le film est acheté par la Tôei, et devient un succès. L’argent récolté permet à ISHII de réaliser Shuffle (1981), moyen métrage expérimental adaptant le manga Run d’ÔTOMO Katsuhiro. Il tourne ensuite Burst City (1982) pour la Tôei, voulu comme « un pur film punk » par son réalisateur. Féru de musique punk-rock il fonde même son groupe, Mach 1.67 , ISHII devient une figure majeure de la scène alternative nippone des années 80. Mais les échecs de Burst City, puis du satirique Crazy Family (1984) pourtant remarqué dans les festivals européens , l’éloignent de la mise en scène de longs métrages, pour dix ans.
ISHII signe alors des courts métrages, dont ½ Mensch (1986), documentaire sur le groupe allemand EINSTURZENDE NEUBATEN, et l’expérimental et sensoriel Master of Shiatsu (1989). Le script d’Angel Dust (1994), parvenu à séduire des producteurs moyennant quelques concessions, met fin à sa traversée du désert. Ce film policier à l’ambiance délétère est centré sur un personnage féminin et prend pied dans un univers éloigné de celui exploré jusqu’ici par le cinéaste. Idem pour August in the water (1995), fable fantastique qui permet à ISHII de découvrir « un versant de ma personnalité que j’ignorais (…) un côté sensible et très féminin qui n’est pas du tout contradictoire avec mon autre versant très agressif ». Après le poétique Labyrinthe des rêves (1997), il tourne l’ambitieux (et excellent !) Gojoe (2000) (4). Puis revient à l’expérimental avec Electric Dragon 80000 V (2001), duel foudroyant (aussi pour les oreilles) entre deux icônes de la scène underground japonaise, ASANO Tadanobu et NAGASE Masatoshi. En 2003, il a mué Dead End Run, court promotionnel pour une caméra digitale, en « oeuvre à part entière », proche de ses premiers films. Espérons que cet intéressant cinéaste à forte personnalité trouvera dans les prochaines années des projets à sa mesure.
Arme fatale
Le mot de la fin pour le policier Hanzo Itami. L’homme exerce son métier armé d’un gourdin singulier : son pénis géant. Droit, et raide, comme la justice, il affronte dans le Japon ancien des nonnes nymphomanes et des gouverneurs pervers (et corrompus). Adaptation par un excellent metteur en scène, MASUMURA Yasuzo, d’un manga de KOIKE Kazuo (Kozure Okami, Crying Freeman), Kung Fu Hara Kiri (Goyokiba kamisori Hanzo jigokuzeme en VO, 1973) est le second volet d’une trilogie consacrée au policier Hanzo. C’est la pointure KATSU Shintaro, alias Zatoichi, qui l’incarne : corpulent et le regard pénétrant, il ressemble ici plus que jamais à son frère WAKAMATSU Tomisaburo, le Ogami Itto de Baby Cart/Kozure Okami. Et excelle une fois de plus aussi bien à manier le sabre qu’à torturer avec devinez quoi , puis consoler, et enfin protéger, les membres du sexe faible. Ce morceau de choix fut présenté lors de la soirée des Inrockuptibles dans une VF fantaisiste rajoutant à l’originalité de l’ensemble, jouissif : l’outrance du concept comme des situations (scabreuses) n’empêche en effet en rien Kung Fu Hara Kiri d’être… un très bon film !
On est rassuré : il reste encore à l’Etrange Festival des trésors à exhumer.
Les citations sont extraites du catalogue de l’Etrange Festival.
Remerciements à l’équipe du Festival.
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