Difficile pour animeland.com de faire la part du pour et du contre quand tout le monde est pour ! Quelles sont les raisons d’un tel engouement ? Réponses probables : une campagne publicitaire de grande envergure notamment à Paris, des journalistes sous le charme dont une bonne partie eut la chance d’assister à la projection du film lors du festival des Nouvelles Images du Japon à Paris fin 2001, suivi d’une conférence de presse auquel assistait MIYAZAKI Hayao lui-même, et enfin le CV du film en soi : Ours d’Or à Berlin, médaille des Arts et des Lettres remis par le ministère de la Culture français, succès historique au Japon, etc… Cerise sur le gâteau, le fait que la presse spécialisée considère le grand public enfin prêt à recevoir la grande claque Ghibli (comme certains journalistes retardataires d’ailleurs) ! Le but est alors de convertir le plus grand nombre possible de profanes. “Cet inconnu célèbre” résume en titre le Figaro Scope.
La recette journalistique est simple dans 80% des cas : dossier de quelques pages sur le film, son créateur, son oeuvre, sa vie, ses aspirations, son producteur, son succès, etc… Quelques débordements sont néanmoins à déplorer comme ceux qui portent aux nues MIYAZAKI comme étant le SEUL cinéaste du Japon à faire du bon dessin animé ! Travers vite relevé par Les Cahiers du Cinéma qui cite pèle mêle OSHII Mamoru, OTOMO Katsuhiro, KON Satoshi, etc… Si MIYAZAKI est bien, selon le ministère de la culture, un défenseur de l’exception culturelle (c’est la tendance actuelle).
Le résultat de cet engouement rédactionnel est dans l’ensemble très instructif, bien documenté et analysé, passionnant parfois à lire mais… uniforme !
Reprendre un par un chacun de ces articles serait franchement monotone. Comment sortir alors de la masse à savoir : Le Figaro Magazine, Pariscope, L’Officiel des Spectacles, Prima, Femme Actuelle, Zurban, Le Canard Enchaîné (réputé très sévère), etc… ? Deux solutions entre autres se présentent : La première consiste à se concentrer, au choix, sur : l’analyse sociologique et psychologique du film, l’esthétique et la technique, les référents culturels et religieux, l’influence du cinéma d’animation français et russe, etc… La seconde est faire ressortir des petits détails ou anecdotes amusantes. Dans tous les cas, seuls deux petits reproches au film surnagent parfois, mais sont vite éclipsés par l’enthousiasme général : quelques longueurs, et le manque de références culturelles du grand public envers le bestiaire mythologique nippon (aussi hétéroclite que cohérent, d’où la reconnaissance du talent du réalisateur). Mais là on chipote.
Commençons par le côté foisonnant et esthétique du film.
SFX (“… Ghibli semble enfin avoir atteint le statut “d’objet culturel déclaré d’intérêt mondial”) met en avant la juste sobriété de l’animation qui confère cette efficacité dans la gestuelle réaliste des personnages nippons, loin des effets chewing-gum et désincarnés des productions Disney. Seule fausse note de taille : le rédacteur raconte une partie de la fin du film ! Tçlérama se concentre sur l’incroyable bestiaire en rejetant tout manichéisme : “oui, il est possible de réinventer le merveilleux de l’enfance dans un univers inédit”. Libération met Chihiro sur ces deux couvertures (journal et cahier cinéma) et lui accorde pas moins de trois pages (musée Ghibli y compris). Le maître humaniste est qualifié tout de même ici… de misanthrope ! S’ensuit un portrait sans concession de ce despote génial dont la devise serait : le génie, ça se mérite et ça se travaille ! Résultat, une interview sans langue de bois qui hélas confirme son côté quelques peu mégalomane (mais quand on pèse 250 millions de dollars, ça aide): “Si je trouvais des animateurs qui animent mieux que moi, j’en serais vraiment ravi…”. Cette interview démontre tout de même que MIYAZAKI est à l’écoute non pas de son public mais du monde :“Si un film est en phase avec son époque au moment de sa sortie, il durera. Sinon, il est déjà obsolète” (il se contredit à peine d’ailleurs dans une interview pour Les Inrockuptibles : “Les artistes qui collent trop à leurs époques vont être évacués”. Nuance subtile ?). Libération continue en insistant ensuite sur les petits détails qui confèrent qu’un “personnage dessiné peut se charger de plus d’humanité que l’humain lui-même”. Des détails du quotidien, Ciné-Live et Bodoï en prennent note. Ce dernier en révèlent certains comme cet homme araignée qui éteint sa cigarette dans son gobelet de café ! Démontrant ainsi que même les Dieux ont des réflexes qui nous les rendent familiers…
Côté public, Mad Movies se trouve agréablement surpris par le succès du film auprès de la jeunesse féminine nippone (après tout, le film parle d’elle !). Celui-ci en profite pour faire une analyse des bases culturelles et philosophiques du film, le tout accompagné d’une interview originale sur la vie personnelle du réalisateur et de son producteur. Pour Nova “Le Voyage de Chihiro s’offre comme une réelle alternative au folklorisme de Harry Potter et du Seigneur des Anneaux, doté d’un discours similaire, mais réels échecs stylistiques et moraux face à cet immense film”. Finalement, c’est peut-être Repérages qui détient la somme de toutes ces réflexions : “Le réflexe de l’analyse semble un peu déplacé devant tant d’invitation à la rêverie”. En bref, laissez-vous porter par le film. Néanmoins, Repérages n’hésite pas à comparer Monster and Cie avec Chihiro. Si le postulat de mettre des monstres dans un univers quotidien est là pour provoquer un décalage réjouissant, le parti pris poétique de MIYAZAKI (Les Bains, la mer, etc..) est quand même plus sympathique que “l’usine” du film de Pixar qui renvoie à un quotidien qui n’à rien de drôle ! Pour Les Echos :“Il faut s’y précipiter. Non pas pour retrouver son ?me d’enfant (…) mais pour retrouver l’enfance elle-même(…) qui s’ouvre sur le plus magique des mondes inconnus – l’avenir – et qui s’appelle grandir”. Un peu à l’image du public occidental qui petit à petit s’éveille au cinéma d’animation, pas forcément asiatique, mais tout simplement mature.
De tous, ceux qui ont fourni les dossiers les plus denses et originaux sont DVD Visions et Les Cahiers du Cinéma. Le premier laisse de côté la critique même du film pour se concentrer sur l’histoire mouvementée des oeuvres de MIYAZAKI à l’étranger et en France. Néanmoins, l’optimiste magazine nous invite à aller au delà des préjugées que même un réalisateur comme TAKAHATA Isao peut nourrir face à la possible incompréhension de ses films à l’étranger. Seule fausse note mais partant d’un bon sentiment : la présentation des toutes les oeuvres de MIYAZAKI et TAKAHATA en DVD et VHS disponible en France et en import… édition pirate Hongkongaise comprises ! Dans Les Cahiers du cinéma, on se concentre véritablement sur la genèse du studio et de sa “pré-histoire” (rencontre entre le directeur d’animation OTSUKA et MIYAZAKI, etc…) et son futur fragile comme les nouvelles tendances pas toujours acceptées par MIYAZAKI dans l’animation en général. S’ensuit une critique très lyrique du film insistant sur le fait qu’il s’agit d’un voyage immobile, l’héroïne et le spectateur étant déjà là ou ils doivent être humainement parlant. Seule fausse note : le rédacteur n’a put s’empêcher d’argumenter sa juste analyse du film en racontant comme dans SFX une partie de la fin ! Décidément…
Et du côté des magazines jeunesse ? Le film fait un carton plein avec des écrits sobres mais efficaces, avec en tête Je Bouquine, L’Hebdo des Juniors et… Minnie Mag ! Certaines mauvaises langues diront que c’est normal car Disney a financé le film ! Rappelons à ces grincheux qu’à l’époque ou Le Tombeau des Lucioles (pas très Disney, ça) est sorti en France, même Le Journal de Mickey lui à consacré un bel article !
Qu’en est-il maintenant de ces petites anecdotes cités par les magazines ? Télé K7 cite :“John LASSETER avait même fait la promotion de Toy Story en arborant un tee-shirt Totoro!” L’un des critiques de Mad Movies espère qu’un jour MIYAZAKI arrêtera de faire des chefs-d’oeuvres pour faire un film juste bon, pour voir… Première insiste sur le fait que dans tous les pays où est sorti le film, le titre traduit est toujours différent, car exprimant à lui seul la diversité et la richesse des thèmes abordés par le film. Ces bains seraient ainsi, dixit MIYAZAKI, une métaphore du studio Ghibli : Chihiro serait une jeune animatrice débutante, Le producteur SUZUKI serait Yubaba, et MIYAZAKI, Kamaji (l’homme araignée). Curieux car dans le Figaro Scope, il se compare plutôt à Yubaba. … Toujours dans le Figaro Scope, l’auteur de Saisons Japonaises, Nicole-Lise BERNHEIM présente de façon ludique et instructive le bestiaire du film en concluant par : “J’ai trouvé très fascinant la façon dont l’histoire commence dans un Disneyland japonais pour aboutir au coeur même de la tradition”. Ou quand la petite Chihiro “américanisée” redécouvre ses racines… Et à propos des américains, citons cette savoureuse réplique du réalisateur : “Yubaba (…) n’est pas un personnage si maléfique que l’on doive l’éliminer. (…) Les américains ont étés très surpris par le film, ils croyaient qu’on allait se débarrasser de la vieille !”
En ces temps troubles ou chacun défends comme il peut son exception culturelle, MIYAZAKI apparaît ainsi pour beaucoup comme un vrai auteur qui à réussit à imposer sa vision à l’establishment pour un succès mérité ! Bref, il est un héros dont l’exemple est à méditer pour tous les artistes maudits ou spectateurs frustrés. Pour beaucoup de sceptiques, Porco rosso était une agréable et inattendue mise en bouche, Princesse Mononoké et Totoro, un plat de résistance bienvenu, et enfin pour dessert, la confirmation du cuisinier cinématographique génial qu’est MIYAZAKI avec Chihiro. Les critiques “gastronomico-cynéophile” sont tous d’accord : le petit cuistot est bien le grand chef tant attendu ! Mais n’est-ce pas un peu tard? Gaumont et Buena Vista sortent enfin le grand jeu marketing avec des résultats au niveau des fréquentations en salles tout à fait honorables. Mais le maître est fatigué à 61 ans. Tiendra-t-il encore longtemps la route ? Ceci est un autre débat…
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