La production pendant la guerre

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Présents dès les années 30, les sujets de propagande dans les dessins animés deviennent les seuls sujets possibles dans les années 40. Commandés par les Armées nippones, les films d’animation de propagande sont aujourd’hui plus intéressants dans leur aspect contextuel que pour leurs qualités intrinsèques. En effet, rares sont les dessins animés de cette époque à être inoubliables, tant du fait de leur sujet que de leur technique. Ils illustrent pourtant une page de l’histoire de l’animation, avec parfois une originalité consistant à marier les genres, notamment animation en cellulo et images d’actualité.

Dès les années 30 apparaissent les premiers dessins animés destinés à justifier la politique agressive d’extension territoriale du Japon en Asie. En septembre 1931, le Japon envahit la Mandchourie, qui, annexée, devient le Mandchoukouo en 1932, Etat prétendument indépendant, en réalité colonie japonaise. En 1937 débute l’invasion de la Chine. Même si la production de dessins animés n’est pas encore consacrée dans sa plus grande partie à la propagande soutenant la politique extérieure du Japon, est cependant réalisé dès 1931 le film Momotarô, le justicier des airs, par MURATA Yasuji (voir l’article consacré à MURATA Yasuji). Suit Chat noir banzai de NAKANO Takao en 1933, où une parade de jouets est agressée par un sosie de Mickey Mouse.

Vive le nouveau Japon (Kaikokutarô-shin nihontô banzai) (1938), réalisé par SUZUKI Hiromasa, est dans la lignée de ces productions destinées à la fois à expliquer et à promouvoir la politique d’expansion géographique du Japon en Asie et Asie du Sud-Est. Comme dans nombre d’autres productions, le protagoniste est un garçon représentatif du jeune héros japonais (Momotarô, Kintarô ou Sankichi ; ici il s’agit du marin Tarô). On y retrouve aussi les passages obligés du genre : attaque du ou des protagonistes par des animaux mal intentionnés (ici des requins volants), arrivée sur une île peuplée d’indigènes maltraités par d’autres créatures (ici des lions) et délivrance des indigènes par le jeune héros, qui les asservit et exploite leurs richesses à leur demande, dans la joie et l’allégresse (Tarô est sollicité par la population locale, après les avoir débarrassé des lions, pour exploiter la mine d’or de l’île, en les réduisant en esclavage). L’ennemi est présenté comme étant Occidental avant tout, plus précisément Hollandais ou Anglais, puisque ce sont là les colonisateurs que les Japonais vont chasser lors de leurs conquêtes. En 1941 et 1942, le Japon avance jusqu’en Birmanie à l’Ouest, en Nouvelle-Guinée au Sud. Il est amusant de constater que, au-delà du message expansionniste, la forme utilisée pour le transmettre est très inspirée des dessins animés américains, les gags, les animaux, le héros, sorte de jeune Popeye, sortant tout droit d’un cartoon. En plus d’être idéologiquement nauséabond, Vive le nouveau Japon est techniquement médiocre.

Après son entrée dans la Seconde Guerre Mondiale, suite au Pacte tripartite signé avec l’Allemagne et l’Italie en 1940, puis à l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, le Japon intensifie sa propagande, utilisant tous les médias à sa disposition, dont le dessin animé. La production, déjà réduite du fait de l’effort de guerre, est entièrement dévouée aux films publicitaires militaires. Seuls quelques animateurs et réalisateurs ne respectent pas les directives. MASAOKA Kenzô (voir l’article sur MASAOKA Kenzô, le père du dessin animé nippon), avec L’araignée et la tulipe (1943), encourt un blâme pour avoir créé un film sans rapport avec la guerre. On peut également citer parmi les productions réalisées sans souci de la situation politique La princesse de la lune (1942), superbe film en ombres chinoises de ARAI Kazugorô et TOBIISHI Nakaya (voir l’article consacré aux Animateurs des années 30 et 40). Mais animateurs et réalisateurs dans leur grande majorité n’ont d’autre choix que de se plier à la volonté des autorités et réalisent des films de commande. C’est dans ce cadre que naît en 1943 le premier long-métrage d’animation du Japon (37 minutes) Les aigles des mers de Momotarô, de SEO Mitsuyo.
Les films de propagande pourraient être divisés en deux catégories quant à leur sujet, partageant pourtant un même souci pédagogique, d’ « information ». Les uns sont davantage consacrés à l’exaltation du Japon et de la politique japonaise, en général à travers la figure héroïque d’un Momotarô et consorts, les autres sont plus orientés vers la critique de l’ennemi, souvent tourné en dérision.

Notre infanterie de marine (Bokura no kaiheidan) (1941), de KATAOKA Yoshitarô, est représentatif de la première catégorie. Ce film destiné à promouvoir la Marine japonaise trouve un ambassadeur en la personne de Sankichi. Le jeune homme décide de s’engager dans la Marine et découvre la vie à bord d’un navire de guerre japonais. Les scènes répétitives de manoeuvres et d’attaques se succèdent entre deux séquences plus légères (Sankichi fait ami ami avec une souris), sur une bande son agressive entre musique, clairon et tirs de canons. Les animaux ne sont jamais totalement absents, ici ce sont les poulpes qui font preuve de patriotisme. Le principal intérêt technique de ce film à l’animation rudimentaire et aux personnages mal dessinés est la recherche originale de moyens permettant de figurer graphiquement le son. On sent que ce n’est pas là l’occasion de montrer trop d’inventivité ou de technique (les budgets comme les sujets étaient limités). Le petit Maa et les parachutistes (Maabô no rakkasan butai) (1943) de CHIBA Yôji exploite lui aussi le ressort narratif du jeune héros pour conter les exploits militaires japonais. Mais cette fois le ton est plutôt réaliste : les combats, assez violents, se succèdent contre des Occidentaux laids et ridés, réalistes comme les décors et les armes, contrastant avec le petit Maa et son assistant hippopotame. D’où un curieux cocktail, la naïveté du jeune Maa dégommant ses ennemis dans la joie et la bonne humeur se mariant assez mal avec le traitement cru de la guerre et de ses morts.

Sus aux espions (Supai gekimetsu) (1942), de YAMAMOTO Sanae, et Nippon Banzai (1943), MAEDA Hajime et ARAI Kazugorô, datent eux aussi de la période de la bataille de Midway qui amorce le repli des forces japonaises. Ils appartiennent plutôt à la famille des films satiriques critiquant les puissances étrangères, qui exaltent aussi l’attitude du peuple japonais. Sus aux espions présente ROOSEVELT et CHURCHILL caricaturés, complotant contre le Japon selon eux imitateur de l’Occident. Ils envoient sur l’archipel des espions chargés de briser l’esprit japonais en répandant la mauvaise parole de la propagande pro-occidentale, ou en l’incitant à ne pas travailler. Mais le Japon tranquille et heureux reste fidèle aux valeurs de solidarité, sobriété et épargne qui font sa force. Les démons sont finalement mis en échec. Ce film symbolise vraiment l’oeuvre de commande dans ce qu’elle a de plus limité : message passé sans finesse, design grossier assez vilain, une animation moyenne malgré un réalisateur reconnu, YAMAMOTO Sanae. Nippon banzai met lui aussi en scène des ennemis du Japon, encore ROOSEVELT et CHURCHILL, rejoints par TCHANG Kai-chek, dans un bricolage au contenu très « pédagogique ». On y trouve un peu de tout : cartes accompagnées d’explications, ombres chinoises, images d’actualité, séquences animées où des blancs grotesques aux yeux clairs transpirent, finissant complètement défaits. Les dirigeants se retrouvent sur des radeaux et ROOSEVELT donne à ses deux compères un avion et un bateau miniatures.

Le film, parmi ceux présentés par la MCJP, le plus intéressant concernant l’animation est pourtant le moins original dans sa forme. Reprenant le thème déjà beaucoup exploité de l’affrontement sportif, La lutte corps à corps (Tôkyû nikudan sen) (1943) de KUWATA Ryôtarô met en scène avec virtuosité l’affrontement de deux équipes de base-ball, l’une composée de chiens (les Japonais), l’autre de singes (les Américains). A la persévérance, discipline et franchise des premiers s’opposent la désinvolture, l’oisiveté des seconds. Dessin au trait fin et animation réaliste sont excellents, et le film enchaîne les idées de mise en scène et d’animation : travelling et autres étonnants mouvements de caméra, animation simultanée de plusieurs personnages, changement d’échelle des personnages à l’intérieur d’un même plan, entre autres. La fluidité et le soin qui accompagnent le tout démarque ce film des autres courts métrages proposés.

Ces années ont été difficiles pour l’animation nippone, à l’image d’un pays en guerre soumis à un gouvernement militaire et nationaliste. Peu de films semblent sortir de la masse des fastidieuses productions de commande. Après guerre, il faudra attendre quelques années pour que l’animation nippone s’épanouisse de nouveau, mais cette fois comme jamais encore elle ne l’avait fait.

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