Très présents dans la culture traditionnelle japonaise, animaux transformistes, fantômes et démons ont vite été récupérés par les créateurs de dessins animés. En plus de leur intérêt narratif et merveilleux, ces créatures offrent de nombreuses possibilités quant à leur traitement graphique et animé. En effet, quel meilleur médium que l’animation pour restituer la transformation en bouilloire d’un tanuki ou d’un renard en samouraï ?
Les créatures les plus sollicitées sont doute possible les tanuki, qui mérite à eux seuls un sujet (voir l’article sur le Tanuki, l’animal animé). Il ne sera donc pas question de tanuki ici, mais des autres animaux ou esprits qui traversent les films animés avec persistance… L’autre animal transformiste par excellence est le renard, finalement peu exploité, qui se trouve parfois opposé au tanuki, comme dans Le renard contre les ratons (1933), de OISHI Ikuo. Dans ce film éducatif de la Toho, le renard utilise ses pouvoirs tel le feu du renard, petites flammes qui signalent sa présence. Est aussi exploité son caractère spectral, puisque le renard est rattaché à l’immense famille des fantômes japonais : l’animation traduit son aspect fantomatique en désolidarisant son ombre de son corps, et il finit par se transformer en samouraï ! Issu des contes populaires, le renard garde dans ce type de film des années 30 un design très spécial, loin des renards des cartoons américain au long nez, gros yeux méchants et corps élastique, que l’on trouve après guerre au Japon, comme dans La forêt en émoi (1947) de MAEDA Hajime (1947).
Une autre personnalité du bestiaire des films d’animation qui tient une place de choix est le démon : on le trouve aussi bien dans Momotarô roi du Japon (1928) de YAMAMOTO Sanae que 15 ans plus tard, dans Sus aux espions (1942) du même réalisateur, même s’il semble disparaître sous sa forme originelle après 1945. Graphiquement, il ne varie guère en tant que démon dans la plus pure tradition asiatique, avec un corps tordu, des yeux globuleux et saillants, une figure grimaçante et des doigts crochus (La légende du singe de pierre, 1926, et La barque aux mandarines, 1927, de OFUJI Noburô). Son aspect « désarticulé », grotesque et simiesque convient parfaitement aux films où est utilisée la technique du papier découpé, rarement très fluide, exceptée chez MURATA Yasuji. Leurs silhouettes pointues se prêtent aussi très bien aux ombres chinoises (Momotarô roi du Japon de YAMAMOTO Sanae). Comme les renards, ils apparaissent dans des films inspirés du folklore traditionnel, où pour les meilleurs d’entre eux, le design des personnages descend en droite ligne des masques de théâtre et les décors des estampes. Même dans le film de propagande Sus aux espions, les trois démons envoyés par les puissances occidentales sont des démons nippons ! Ils se retrouvent eux aussi dans le Japon rural et traditionnel. Leur rôle est le même que dans les films plus anciens : empêcher le ou les héros de triompher (ici mettre le Japon sens dessus dessous par leurs mauvaises paroles et actions).
A titre plus anecdotique parmi les films présentés, les fantômes et autres esprits monstrueux se font plus discrets. Le tengû, créature spécifiquement japonaise souvent mi-homme mi-oiseau, apparaît dans le film Tarobêê chez les lutins (1929) de MURATA Yasuji et dans Benkei contre Ushiwaka (1939) de MASAOKA Kenzô. Le renard contre les ratons et La chasse aux monstres (1935) de KATAOKA Yoshitarô nous proposent quelques spécimens de cyclopes et fantômes, ou femme-cyclope et femme-fantôme, apparences prises par des tanuki.
Bien loin de ces esprits animés, les charmants animaux marins du Chien Heihei et le trésor marin sont l’occasion de prouesses imaginatives et techniques pour OFUJI Noburô. Le réalisateur utilise avec talent l’animation par cellulo pour montrer la transformation des créatures marines : les crabes usent de leurs pinces pour découper dans du tissu la silhouette des poissons et des poulpes, les poissons portant leur peau tel un pyjama !, une langouste fait du lasso, et les crabes découpent des portes pour pénétrer dans un poisson-bus (lequel inspirera MIYAZAKI pour le chat-bus de Mon voisin Totoro !). L’aspect délié des mouvements dans l’eau est aussi fluide que l’animation exceptionnelle de ce très joli film ! Dans d’autres oeuvres remarquables apparaissent des créatures anthropomorphes tout aussi charmantes (coccinelle ou papillons chez MASAOKA Kenzô) ou des bestioles effrayantes (telle l’araignée, formidablement exploitée dans sa gestuelle par le même MASAOKA dans L’araignée et la tulipe en 1943).
Il est aussi des animaux qui font partie du paysage animé nippon des premières décennies, même s’ils ne viennent pas de l’archipel. Le bestiaire issu des cartoons américains est vaste, et exploité dès avant la Seconde Guerre Mondiale (les premiers dessins animés projetés au Japon étaient surtout américains). Mise à part une parodie de King Kong transposée en histoire d’amour entre un samouraï et une geisha (L’amour de Sankichi et Osayo (1934) de SEO Mitsuyo), c’est à la fois l’esprit, le design et l’animation cartoon qui président aux films sur des affrontements sportifs entre animaux. Les références à l’univers des dessins animés américains sont parfois explicites (Mickey et Minnie Mouse sont présents dans Base-ball en forêt, de MASAOKA Kenzô), mais même sans cela, l’inspiration est évidente : visages, yeux, nez ronds, corps et parfois objets rendus comme élastiques par l’animation, gags et grimaces dans l’esprit cartoon… Le film de KUWATA Ryotarô La lutte corps à corps (1943) utilise même cette forme de dessin animé à des fins de propagande anti-américaine, et on est un peu perdu, ne sachant plus si on regarde un film américain ou japonais, et qui est qui, des singes ou des chiens. L’influence américaine se sent aussi parfois dans un ou deux éléments d’un film ; ainsi, le design de l’araignée dans L’araignée et la tulipe de MASAOKA, est totalement calqué sur le design caricatural des personnages noirs dans les cartoons.
La possibilité offerte par l’animation de raconter des histoires d’animaux réels, humanisés ou imaginaires a été remarquablement mise à profit jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les thèmes ont ensuite changés, les contes populaires ayant quasiment disparu. Aujourd’hui, nombre de dessins animés nippons comptent pourtant au générique des créatures venues de la sphère domestique (les chats par exemple), d’Occident, de l’héroïc fantasy, du monde gothique, ou simplement de l’imagination de leurs auteurs. On trouve dans le Pompoko de TAKAHATA ou le Totoro de MIYAZAKI la fidélité à des créatures ô combien fascinantes pour un conteur d’histoires animées.
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