Le château ambulant, le livre

Rencontre avec Diana WYNNE JONES

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Chérissant la création d’histoires échevelées depuis sa plus tendre enfance passée dans une Angleterre ravagée par la 2e Guerre Mondiale -, Diana WYNNE JONES régale les petits Anglais depuis 30 ans avec des récits fantasy jamais niais. Sa série des Chrestomanci a remporté un vif succès Outre Manche, tout comme son fabuleux Château de Hurle, publié en 1986. A travers les caprices du magicien dandy, Diana WYNNE JONES nous livre un récit hautement intelligent, savoureux, piquant, axé autour de la sphère privée et de l’acceptation du temps qui passe. Là où l’anglaise Diana met la famille au centre de ses préoccupations, le japonais MIYAZAKI décide de privilégier la problématique du patriotisme : deux visions qui se complètent et se répondent, et permettront au spectateur désorienté par un film parfois confus (lire notre critique) de se réconcilier avec l’univers foisonnant du si attachant Hurle.

Nous nous sommes donc adressés directement à l’écrivain pour avoir son opinion sur le film, que MIYAZAKI lui a projeté en séance privée.

AnimeLand : Combien de temps a pris l’écriture de votre roman ?

Diana WYNNE JONES : Howl’s moving castle n’a pas été très longtemps à écrire. Je suis ce qu’on appelle «une écrivain inspirée» : lorsque l’idée d’un nouveau livre jaillit, je me dépêche de l’écrire, et ne fais plus rien jusqu’à ce que le premier jet soit achevé. J’ai éclaté de rire si souvent en écrivant Howl’s il faut dire que j’écris au papier et au stylo dans mon salon – que j’ai complètement exaspéré mon mari, qui essayait de lire un livre ardu à côté. Le premier jet a dû me prendre à peu près un mois ; le deuxième jet prend toujours plus de temps, parce que je le rédige très scrupuleusement. Mais je pense que la rédaction du livre dans son ensemble a pris à peu près trois mois et je me souviens très bien de la façon exaspérante dont ma machine à écrire m’a lâché, un jour férié, pendant que j’écrivais le dernier chapitre. J’ai dû attendre quatre jours pour finir le livre !

AL : Avez-vous déjà pensé à faire adapter l’un de vos romans en film (dessin animé ou film live) ? Et particulièrement concernant Howl’s Moving Castle ?

D.W.J. : Peut-être suis-je trop modeste, mais je n’ai jamais pensé que quelqu’un serait prêt à adapter aucun de mes livres en film. Ca me surprend toujours quand quelqu’un prend des options sur mes oeuvres, j’ai toujours l’impression qu’il s’agit d’un livre insignifiant, dont il est peu intéressant de faire un film. Peut-être tout au plus ai-je pensé que l’un ou plusieurs de mes Chrestomanci pourrait être adapté à la télévision. Mais en aucun cas je n’aurais pensé à Howl’s, ça a donc été une formidable surprise !

AL : Connaissiez-vous bien l’oeuvre de MIYAZAKI avant qu’il n’adapte votre film ?

D.W.J. : Comme vous le savez peut-être, l’Angleterre ne s’intéresse que depuis très peu de temps au travail de MIYAZAKI. J’ai donc eu beaucoup de chance de tomber sur une copie pirate de Laputa il y a environ 18 ans, durant un festival de science fiction. Naturellement, la qualité de la copie n’était pas bonne, mais j’ai néanmoins été fascinée au point de voir le film deux fois, c’est dire le génie de MIYAZAKI ! Depuis lors, j’admire énormément son travail.

AL : L’aspect visuel du film de MIYAZAKI correspond-il à vos projections mentales ?

D.W.J. : Mon livre prend place dans le Royaume d’Ingary (littéralement le Pays des Contes de Fées, NDLT), qui ne correspond certainement pas au paysage de mon propre pays : les contes de fées sont pleins de montagnes bleues et de romantiques villes médiévales, et nous en avons peu ici. J’étais enchantée de voir que MIYAZAKI avait compris cela et soit allé – comme on me l’a dit – en Alsace pour ses repérages, ce qui me semblait parfait pour l’histoire. Certes, j’ai été saisie d’un petit rire nerveux quand j’ai découvert un fantastique nuage de fumée envahir l’écran au début du film, ainsi que les lignes de tramways dans la vieille ville, sans oublier l’allure typiquement Edouardienne des boutiques. Cela se passe à une époque un peu plus moderne que ce que j’avais imaginé, mais pourquoi ne pas rajouter une petite touche de fantaisie ? Les contes de fées peuvent se dérouler à toutes les époques. Je l’aurais fait moi-même si j’y avais pensé.

AL : Comment avez-vous appris que MIYAZAKI voulait adapter votre roman ?

D.W.J. : De la manière la plus banale qui soit. Mon agent m’a appelé pour me dire que le Studio Ghibli était en train de négocier. Je n’y ai presque pas cru. Je n’y aurais jamais pensé, même dans mes rêves les plus fous j’ai presque cru que c’était une blague.

AL : Avez-vous eu des contacts avec le Studio Ghibli pendant la production du film ?

D.W.J. : Non, je n’ai pas du tout été en contact avec le studio, excepté une rencontre initiale avec l’équipe de production : tout en mangeant un énorme gâteau, ils m’ont criblé de questions hautement intelligentes et astucieuses sur les origines du livre, et la mise en place de l’histoire. Ensuite, ils sont venus en Angleterre, mais ont finalement décidé que ce genre de décors ne collerait pas. Mais je pense plutôt (d’après les rumeurs glanées auprès de mes amis) que le film avait déjà démarré, et que MIYAZAKI avait déjà ses propres idées. Je n’ai jamais rencontré MIYAZAKI jusqu’à ce que le film se termine, et il nous a ensuite offert une projection extrêmement privée à Bristol. Ensuite, je pourrais dire que nous avons poursuivi comme si nous nous connaissions depuis des années.

AL : Qu’avez-vous pensé du film ?

D.W.J. : Je l’ai beaucoup aimé. L’animation est superbe, et j’ai beaucoup ri, autant que quand j’ai écrit le livre. Ce n’est certes pas mon oeuvre, mais au moins jusqu’à sa moitié, c’est un film qui pénètre vraiment à l’intérieur de mon livre, et lui rend hommage de la meilleure manière. Un bon point est le personnage de Hurle lui-même. Dès que le livre a été publié, de jeunes filles m’ont écrit du monde entier pour me dire qu’elles espéraient que Hurle existait vraiment, parce qu’elles voulaient l’épouser – immédiatement. Le Hurle du film est certes plus jeune et un peu moins poseur, mais il est si élégant que j’imagine que les demandes en mariage vont maintenant se multiplier par dix ! C’est comme si MIYAZAKI, tout en agissant différemment, avait produit exactement le même effet ! Mais dans la seconde moitié du film, MIYAZAKI a choisi de dévier nettement de l’intrigue que j’avais écrite.

AL : Pour ma part, il me semble que votre roman porte sur l’acceptation du vieillissement, la réconciliation avec son passé et sa famille pour grandir en paix. A ces thématiques, Miyazaki répond par une problématique de l’individu face à son pays : la cellule familiale est remplacée par la cellule patriotique, la sphère publique remplace la sphère privée. Pensez-vous que ce soient là des traits culturels qui diffèrent de l’Orient à l’Occident ?

D.W.J. : Cette question amène une réponse en trois parties. Premièrement, le film se devait d’être différent du livre, puisque l’écriture permet d’exprimer des choses calmes et intimes, ce qui n’est parfois pas possible en images. Je me suis toujours préparée à ça. Deuxièmement, il y a une espèce d’exubérance baroque dans le film, certainement caractéristique des anime japonais (bien que j’aie ma propre version de l’exubérance quelqu’un qui est en train d’écrire un livre sur mon travail, me qualifie de rumbunctuous, et je n’ai aucune idée de comment traduire cette expression en français !). Mais je signalerai qu’il y a très peu d’éléments complètement nouveaux dans le film, qui ne soient pas au moins abordées dans mon livre. Par exemple, dans le livre, une guerre se prépare la suite de l’histoire se passe deux ans plus tard, et la guerre s’est déroulées dans l’intervalle (Le château de Hurle connaît en effet une suite publiée en France sous le titre Le château des nuages, voir dernière réponse, NDLR) – et MIYAZAKI s’est servi de cet indice pour introduire ses vaisseaux volants fétiches et la guerre qui va avec, comme une marque de fabrique. Ce qui amène à la troisième partie de ma réponse : la plupart des changements sont du fait de MIYAZAKI, il a écrit le scénario tout seul, tout cela le concerne et vous avez raison de dire que nos centres d’intérêt sont différents. Je voulais parler davantage de problèmes d’ordre domestiques, familiaux, et dans un champ plus restreint. Nous voulons tous les deux traiter de l’amour, et de l’égoïsme, mais selon des moyens différents, et mon sentiment est que MIYAZAKI, en élargissant le champ des thématiques, et particulièrement en modifiant les personnages de l’Epouvantail et de la Sorcière du Désert, a quelque part noyé le sujet. Je pense qu’il a introduit la notion de patriotisme pour délivrer un message plus clair.

AL : Ce contexte guerrier intégré par MIYAZAKI a-t-il un écho en vous, au regard de votre enfance passé durant la 2e Guerre Mondiale ?

D.W.J. : J’imagine que MIYAZAKI a aussi passé son enfance pendant la 2e Guerre Mondiale. Pour lui, cela se traduit par des vaisseaux volants, pour moi c’est davantage la notion que des choses terribles se déroulent derrière l’horizon. Curieusement, nous semblons tous les deux vouloir remonter au début du 20e siècle, ou à la fin du 19e, qui m’apparaît comme une époque très sûre. Mais pour répondre à votre question, le moment du film qui m’a vraiment terrifiée, c’est le bombardement du port, avec les immenses gerbes d’eaux. Cela m’a ramené aux temps de guerre. Dans mon livre, il y a une bataille magique au-dessus de l’eau. Certainement aussi violente, mais ayant moins de rapport avec la vraie guerre.

AL : Vous êtes en train d’écrire un nouveau roman : est-ce la suite de Howl’s moving castle ?

D.W.J. : Mon nouveau livre sort dans environ un mois, il s’appelle Conrad’s fate. C’est un nouveau tome de la série des Chrestomanci, s’intéressant à l’adolescence difficile de l’immense magicien. Il y a déjà une suite au Château de Hurle, publiée en France sous le titre Le château des nuages, et en Angleterre sous le titre Castle in the air. Les gens me réclament souvent un troisième livre de Howl, mais jusqu’à présent, malgré de nombreuses tentatives, je n’ai toujours pas réussi à l’écrire…

Remerciements à Cécile des éditions du Pré aux Clercs.

Le Château de Hurle et Le château des nuages, de Diana WYNNE JONES, Editions du Pré aux Clercs.

A lire : notre article sur Le château ambulant, du livre au film, dans AL#108 (à paraître le 05 février prochain).

Site officiel de Diana Wynne Jones : http://www.dianawynnejones.com/” target=”_blank” class=lienvert>www.dianawynnejones.com/

A lire : notre critique du film.

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