AnimeLand : Quelle est la politique de programmation et d’achat de France 3 en matière d’émissions jeunesse ? Des psychologues sont-ils là pour vous épauler ?
Eve BARON : Il faut avant tout savoir que France 3 est très impliqué dans les programmes pour la jeunesse puisque nous sommes à la fois le premier diffuseur hertzien avec 18 % de notre temps d’antenne et le premier producteur puisque les deux tiers de notre budget servent à financer des productions originales environ 10 nouvelles séries par an. En ce qui concerne les choix, nous n’utilisons pas de psychologues juste notre longue expérience du terrain, une bonne connaissance de notre public notre bon sens et notre amour des enfants. L’audience et les mails sont un bon indicateur de perception. Parfois nous consolidons notre jugement avec des tests faits sur des panels d’environ 6 à 8 d’enfants par tranche d’âge. Nous avons fait cela par exemple pour le magazine A toi l’actua, et plus récemment pour le nouvel habillage de TO3 où les enfants ont été intégrés à chaque étape du processus de création de l’habillage.
AL : Avez-vous parfois de mauvaises surprises au moment de la diffusion des séries que vous avez achetées ou produites, êtes vous obliger de censurer certains épisodes ?
E.B. : Pour les achats nous visionnons l’intégralité de la série avant de l’acheter nous n’avons donc pas de surprises de ce côté là. Si un épisode est litigieux (violence gratuite, xénophobie, sexisme…) nous évitons de le diffuser. En ce qui concerne les coproductions, nous n’avons pas non plus ce genre de problèmes puisque nous avons une convention de développement qui inclue au minimum 3 scénarios, 1 story-board, 6 synopsis et parfois nous incluons dès le départ le coût du pilote dans le budget de développement. Il faut ajouter que nous suivons tous les stades de la production de près et par conséquent les problèmes sont détectés en amont.
AL : Pour ménager votre jeune public évitez-vous d’aborder des thèmes comme la tristesse ou la mort par exemple. Si c’est le cas ne craignez vous pas que les directives qui encadrent les réalisateurs ne finissent pas par étouffer leur créativité ?
Pierre SIRACUSA : Les anglo-saxons sont tellement drastiques sur les problèmes de censure que le politiquement correct fini par être assimilé par les réalisateurs comme un passage obligé. Au final notre rôle de coproducteur est plutôt d’encourager les auteurs à aller au bout de leurs histoires.
Eve BARON : En ce qui concerne les émotions telles que la tristesse, je ne pense pas qu’elles soient à bannir surtout lorsqu’elles permettent d’évoluer. Récemment, nous avons récemment acheté War game un 26 minutes sur la guerre de 14-18. C’est une oeuvre antimilitariste très belle qui est à la fois joyeuse, émouvante, et qui se termine très mal, comme toutes les histoires de jeunesse.
Babette VIMENET : Nous avons aussi des sujet délicats comme la série Hôpital Hiltop. Cette série permet d’aborder des thèmes comme la mort la maladie, la solitude… L’important est surtout la façon dont on en parle. Le personnages essaient de surmonter leurs handicaps et y arrivent plus ou moins bien selon les situations. Tout n’est pas toujours tout rose, l’important est de montrer aux enfants qu’on peut surmonter certains obstacles.
AL : Comment voyez vous le rôle des parents par rapport à des sujets graves comme ceux que nous venons d’évoquer ?
Eve BARON : Je ne me fais plus aucune illusion depuis longtemps. Déjà en 1987 Catherine TASCA avait commandé une étude à Pierre CORSET sur la consommation des enfants. A l’époque 65 % des enfants regardaient la télévision seuls, aujourd’hui ils sont au moins 70%. Sans compter que peu d’entre eux discutent ensuite de ce qu’ils ont vu avec leurs parents, soit parce que les parents n’ont pas le temps, soit tout simplement parce qu’ils ne sont pas au courant de ce que leurs enfants regardent. En effet un enfant regarde en moyenne la télévision 2h10 par jours, et seulement 20% de ce temps est consacré aux programmes jeunesse.
AL : Est-ce parce qu’il n’y a pas assez de programmes pour eux qu’ils se rabattent sur ce qui reste ?
E.B. : C’est possible, car dans les familles équipées de chaînes thématiques (soit 3,5 millions de foyers), cette proportion passe à 50%.
AL : Les parents n’ont pas toujours le temps de regarder avec leurs enfants et donc de juger de l’âge auquel se destine le produit que leur progéniture regarde. Etes vous favorable à une codification qui permettrait au début de l’épisode de savoir pour quel âge minimum est destiné le DA diffusé ?
E.B. : Je ne suis pas favorable à ce genre de système. On ne doit pas mâcher le travail. Les parents doivent s’impliquer et faire leur choix. A mon avis il y a eu une vraie démission des parents en deux temps. Tout d’abord avec l’arrivé des chaînes thématiques jeunesse il y a 10 ans, puis avec l’arrivé de l’ordinateur car la plupart du temps les enfants sont dans ce domaine les experts du foyer. Par glissement les parents ont fini par les considérer comme assez grand pour choisir le thème qu’ils regardent. Les parents se contentent de contrôler la quantité regardée et non le contenu. Actuellement les parents ont une grande confiance dans les chaînes jeunesse et leurs programmes. Ce n’était pas le cas il y a 10 ans suite à l’expérience Dorothée qui avait entraîné une certaine méfiance des parents envers les médias télévisuels.
AL : Malheureusement il semblerait que cette confiance ait un prix : sauf rares exceptions, le DA est aujourd’hui devenu un média pour les moins de 10 ans.
E.B. : C’est vrai, il est difficile de présenter des dessins animés aux adolescents et aux adultes. Pourtant nous ne désespérons pas d’y arriver. Lucky Luke a ouvert une brèche et nous avons lancé un appel d’offre aux 88 producteurs français pour nous faire une ou plusieurs productions animées familiale (52 épisodes de 26 minutes).
AL : Geneviève DJENATI auteur du livre La Psychanalyse des dessins animés reprochait à la série Angela Anaconda de caricaturer et donc de décrédibiliser les adultes ce qui est selon elle mauvais pour l’enfant. De plus le graphisme qui est basé sur des photos de visages légèrement retravaillées est un élément perturbateur pour les enfants. Comment avez vous abordé cette série ?
E.B. : Lorsque nous avons acheté cette série nous nous sommes dits que nous prenions un gros risque. Nous avions peur que le graphisme soit déstabilisant pour les enfants. Mais la première diffusion nous a immédiatement rassuré nous avions fait 70% de part de marché et nous avons eu un déluge de mails des enfants qui étaient enthousiasmés.
P.S. : A mon sens l’esthétique ne renforce pas son réalisme puisque la façon de bouger des personnages en papier découpé est plus proche du pantomime que de la réalité.
B.V. : Les adultes ne sont pas vu qu’avec des défauts, ils sont vus aussi avec leurs qualités, mais avec des yeux d’enfants. Angela ne se réfugie pas dans son rêve où elle fait des misères aux gens qui l’agacent, elle s’imagine une autre alternative, ce qui lui permet de se défouler. C’est à mon avis un comportement sain.
AL : Constatez vous que les tranches d’âges inférieures regardent de plus en plus tôt les programmes qui sont destiné à la tranche d’âge supérieure ?
E.B. : Nous constatons un double phénomène. Les plus jeunes veulent effectivement regarder ce qui est destiné à leurs aînés, mais assez curieusement l’inverse est aussi vrai. Nous avons aussi constaté cet aspect du public avec notre nouvel habillage. Les plus jeunes accrochent aux personnages réalistes et les plus âgés trouvent que nos personnages gribouillés et simplistes sont adorables. Je pense que quand on est petit on a envie de grandir, et lorsqu’on est grand on a parfois envie de régresser et de retrouver certains aspects insouciants dans l’enfance.
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