AnimeLand : Qu’est ce qui vous a motivé dans la production d’un film de marionnettes avec un sujet si adulte ?
Anders Ronnow Klarlund : L’auteur Naja Maria AIDT et moi-même étions en train d’écrire un récit contemporain sur des personnes traquant des ennemis cachés, se situant au Danemark, en Europe. C’était l’histoire du clash de deux cultures et de deux religions. Nous avons essayé d’en faire une comédie, mais cela ne pouvait pas marcher, car nous nous sommes rendus compte que c’était trop proche des thèmes actuels. Et comment pouvions-nous aborder de tels sujets sans énerver quelqu’un ? De plus, il n’y a pas de raison de faire un film si vous ne réunissez que ceux qui sont déjà d’accord avec vous. Nous avons donc décidé d’en faire un conte de fée, parce que tout comme l’avait compris ANDERSEN : si l’on évite de se focaliser sur les sirènes, les arbres de Noël, on s’aperçoit qu’il parlait des problèmes politiques de son temps. Nous travaillions sur ce récit lorsque nous nous sommes dit qu’étant suffisamment innocentes, les marionnettes étaient peut-être le meilleur moyen de raconter notre histoire.
AL : Pourquoi des marionnettes à fil plutôt qu’à main ?
ARK : J’étais dans un avion quand j’ai vu une publicité avec des marionnettes, et je leur ai trouvé une certaine grâce. Bien sûr, quantité de choses se sont accumulées qui m’ont conduit à cette décision. Par exemple, à un moment j’ai dessiné un personnage qui grimpait à un arbre pour voir ses poursuivants : il voyait alors 10 000 fils à l’horizon. Et je me suis dit que c’était une image intéressante. Cette histoire de fils cache quelque chose. Elle montre à quel point toute chose est connectée à une autre. Et je pense que c’est quelque chose que l’on ressent parfaitement en Europe. Lorsque l’on fait quelque chose ici, cela a une incidence de l’autre côté du globe, et vice versa. Donc on peut contourner l’aspect « Pinocchio » de la marionnette qui veut échapper à sa condition. Le thème de la marionnette et de ses fils qui deviennent le symbole de la condition humaine liés à ses parents et ses ancêtres, à ce qu’ils ont pu faire… J’en parlais à un psy qui me disait que quelque soit le patient, il pouvait remonter assez loin dans l’arbre généalogique concernant, par exemple, une tendance au suicide. Le fil de nos ancêtres est une métaphore visuelle sur laquelle nous pouvions jouer énormément.
AL : N’aviez-vous pas peur que le public n’accroche pas à un sujet sérieux mettant en scène des marionnettes ?
ARK : En tant que réalisateur, je pense qu’il est dangereux de s’imaginer ce que le public peut bien vouloir. Ce serait affreux de travailler avec un tel poids sur la conscience. J’essaye toujours d’être moi-même, et je pousse le reste de l’équipe à agir de même. Nous sommes le premier public du film. Cela dit, nous y avons sans doute songé lors de la réalisation du pilote. Au tout début du projet, j’avais un pilote de 5 minutes. J’ai fait une dépression nerveuse. Je crois que c’est le seul moment où je me suis demandé « mais dans quoi t’es-tu engagé ? C’est vraiment trop bizarre, tu n’y survivras pas ! ».
AL : Comment avez-vous encouragé votre équipe à aller de l’avant sur ce projet ?
ARK : Je crois que la motivation venait essentiellement de la longue pré production : nous passions notre temps à dessiner des personnages… C’était un travail si graduel que constamment, de nouvelles personnes s’ajoutaient à l’équipe ; des artistes au talent unique et fabuleux… Ce qui est toujours le cas sur des projets d’animation : quand vous travaillez avec des animateurs, des sculpteurs, vous avez auprès de vous des gens si talentueux, que chaque jour vous arrivez avec quelque chose de nouveau, d’incroyable à regarder. Je pense que la plus grande récompense pour un réalisateur est de travailler avec de véritables génies.
AL : Comment avez-vous recruté tous ces artistes ?
ARK : Les marionnettistes ont été difficiles à trouver. Au départ, j’ai commencé à chercher du côté des Tchèques, ce qui me semblait un choix logique. Mais leur façon de concevoir les marionnettes ne coïncidait pas avec notre vision. Il nous fallait quelque chose de nouveau, d’ancré dans le XXIe siècle… Tandis qu’eux désiraient rester dans leurs traditions, vieilles de plus de 200 ans. Nous en avons engagés quelques-uns pour animer les poupées, mais pas pour les construire. Après plus d’un an de pré production, ils ont trouvé Bernd OGODNIK, un marionnettiste allemand vivant en Islande. Il nous a dit « j’aime votre ambition, vous avez fait du bon travail, mais nous allons devoir tout recommencer de zéro parce que tout ce que vous avez fait était de travers » (rires). Il est celui qui a permis que tout cela soit possible. Nous lui avions dit qu’on voulait que les personnages marchent, courent, nagent et se battent, des choses que l’on voit assez rarement. Selon lui c’était possible, mais difficile à réaliser… Nous lui avons alors fourni tout ce dont il avait besoin. De nombreux marionnettistes très talentueux ont travaillé sur ce projet, mais il est celui qui a résolu tous ces problèmes.
AL : Mis à part les marionnettistes, il y a aussi l’incroyable dimension des décors… Vous avez dû utiliser des studios énormes.
ARK : Les plateaux étaient très grands pour y faire tenir les marionnettes : à peu près 55m sur 85. C’est aussi ce qui rendait ce travail fabuleux. Vous alliez vous coucher et le lendemain, vous découvriiez un désert, et le jour suivant, un paysage enneigé… Ce n’était pas tout petit, mais vraiment énorme ! C’était la belle vie. Je ne pense pas que je pourrais travailler sur un petit plateau en animation. Cela m’énerverait. Nous avons tourné pendant 3 mois, sur deux studios. Une équipe filmait le désert, et l’autre, la prison. J’allais de l’une à l’autre, car tout allait très lentement. Pour Hal, nous avions trois marionnettes ; pour les personnages secondaires, nous en avions deux ; et pour les autres, une suffisait. D’habitude, nous avions un marionnettiste pour la marche, un pour les bras et un troisième pour la tête. Mais quand il s’agissait de les faire courir, cinq marionnettistes étaient réquisitionnés ! Et pas un seul accident ne s’est produit, car nous avions des normes de sécurité très strictes. Parfois, les marionnettistes travaillaient à plus de 10 mètres de hauteur, mais personne n’allait là-haut sans câbles ni liens de sécurité. Comme on le voit au début du film, on travaillait sous la pluie aussi, avec des moniteurs qui permettaient de voir ce que la caméra voyait… La seule perte que nous ayions eu à déplorer est l’américain Bill BEARD, qui est très connu là bas : il est mort peu après la production. C’était très triste.
AL : Les marionnettes semblent être en bois : l’utilisation de ce matériau revêt-elle aussi une signification symbolique ?
ARK : Lorsque vous éliminez l’expression faciale, il ne vous reste plus que les mouvements des yeux : il nous a fallu compenser par ailleurs, faire ressortir aussi leur statut social par la matière. Ainsi, les esclaves sont de facture médiocre – un visage découpé à la serpe -, tandis que le vieux Kharo est fait d’or. Mais il est fêlé de partout parce que sa conscience le travaille et provoque ses fêlures. Jhinna, princesse fragile, est faite de porcelaine ; l’absence d’abdomen signifie qu’elle observe toute cette déchéance sans savoir quoi faire. Par définition, tout ce procédé est un retour à la magie du cinéma qui, selon moi, a disparu des productions actuelles. Je ne vois aucune magie quand des centaines de soldats digitaux descendent des montagnes, je ne les ressens pas… Je pense que c’est une impasse dans laquelle s’engouffre l’industrie du cinéma. Tous les bons films signent une sorte de contrat avec le public précisant « nous avons l’histoire, les images, mais vous possédez tout le reste… ». Pour moi c’était un retour à la magie du cinéma comme cela l’avait toujours été.
AL : Le choix de la musique s’inscrivait-il aussi dans cette logique ?
ARK : Le plus dur a été de convaincre le producteur de ne pas utiliser de la musique normale. Traditionnellement, on veut souvent imposer un thème pour chaque chose : voila l’Etoile Noire (Anders sifflote le thème de l’Empire de Star Wars, NDLR) ! Mais nous devions raconter ce qui se passe dans la tête des marionnettes, leurs sentiments. Et il nous fallait entendre le son des fils. Je voulais qu’on entende le son de la harpe très clairement, tout comme le violon. Si je devais être méchant, je dirais qu’il est inutile de raconter une seconde fois l’histoire de ce qui se passe à l’écran dans Le Seigneur des anneaux. Quant au choix de la musique classique, ils ont évidemment adoré.
Remerciements à Nathalie Iund et Blanche Aurore Duault (Miam)
Le site officiel du film : http://www.hautetcourt.com/” target=”_blank” class=lienvert>http://www.hautetcourt.com/
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