Le monde par la fenêtre de Vanyda

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Imaginez un petit immeuble dans une ville du nord de la France. Au premier étage, une jeune femme enceinte au regard triste élève seule son fils de 4 ans. Au second, un couple, la quarantaine sans enfant (mais avec un gros chien), achève de se déliter en silence, tandis qu’au dernier étage, une fille et un garçon filent le parfait amour… Cet immeuble c’est L’immeuble en face, dont VANYDA, 23 ans, a entrepris, dans son premier album de bande dessinée, de nous relater le quotidien. A l’âge ou la plupart des auteurs de BD explorent des univers imaginaires, ou sur le modèle de leurs aînés issus des éditeurs alternatifs leur propre vécu, cette jeune Lilloise a fait le choix de nous conter les aventures minuscules d’une poignée d’individus ordinaires. Un pari ambitieux car chacun sait qu’il n’est rien de plus difficile que de décrire avec justesse la vie de tous les jours , gagné grâce à l’humour et la lucidité de cette ancienne étudiante de la section Bande Dessinée des Beaux-arts de Tournai, influencée par les dessins animés japonais et le manga.

Car en effet, comme beaucoup de jeunes gens de sa génération, VANYDA a trouvé les bases de son dessin en voulant recréer le charme des personnages aperçus dans les dessins animés japonais de son enfance. Mais, déjà, ce qui intéressait la future dessinatrice dans Les Chevaliers du Zodiaque ou Olive et Tom, ce n’était pas l’action, mais surtout « ce qui se passait entre les combats ou bien entre les matchs », à savoir les relations entre les personnages, de préférence de sexes opposés… L’autre source d’inspiration de l’adolescente fut Thorgal, la série de BD de Gregorz ROSINSKY et Jean VAN HAMME, pour « sa dimension romanesque » et, bien sûr, « son histoire d’amour » ! Forte de ces influences, VANYDA, précoce, compose seule, de ses 10 à ses 15 ans, une saga de science-fiction baptisée Freddy. Là encore, malgré l’alibi fantastique, « le but n’était pas l’aventure en elle-même, mais mettre en scène des groupes de gens pour initier des histoires entre eux… Je ne connaissais alors que la bande dessinée d’aventure et j’ignorais que je n’étais pas obligée d’en passer par là pour raconter les histoires qui me tenaient à coeur ». Cet ambitieux projet de jeunesse atteindra pourtant les 3 tomes autoproduits, et mettra la jeune dessinatrice sur la voie d’un mode de représentation des personnages à mi-chemin entre les dessins animés japonais et la BD franco-belge.
C’est suite à cela que commence à germer tout doucement dans l’esprit de VANYDA l’idée de faire de la bande dessinée son métier. Elle découvre par ailleurs le manga, et des séries comme Akira, Crying Freeman, Next Stop, Amer Béton ou Asatte Dance affectent son regard sur la bande dessinée, tant au niveau du dessin que de la narration, de même qu’une BD comme Sambre de YSLAIRE. A l’issue de sa scolarité, encouragée par ses parents, elle intègre l’école des Beaux-arts de Tournai en Belgique, la seule avec celle d’Angoulême à avoir créé une section Bande Dessinée. Une formation qui permet à VANYDA de creuser son identité graphique en toute liberté, et de faire la connaissance d’autres jeunes dessinateurs, avec lesquels elle co-fonde le fanzine Porophore. C’est dans ces pages que paraissent à partir de décembre 1999 les histoires courtes qui composent le premier volume de L’immeuble en face, publié en octobre 2002 par Bom Bom Production, la petite structure qui édite Porophore.

Contrairement à tous ceux qui ne puisent à l’heure actuelle leurs influences que dans la seule bande dessinée japonaise, VANYDA dévore aujourd’hui aussi bien Nana de YAZAWA Ai et Quartier Lointain de TANIGUCHI Jirô, que la production de Joann SFAR (Le Chat du Rabbin), Frédéric BOILET (L’Epinard de Yukiko), ou des anglo-saxons SETH (Palooka Ville) et Chester BROWN (Le Playboy). Elle a ainsi développé un style graphique hybride, qui propose une séduisante fusion entre manga et BD occidentale. Un style « trop « manga » pour les fans de BD et trop « BD » pour les fans de manga! », dont la narration privilégie la lisibilité, et le dessin joue avec malice de l’utilisation de certains codes graphiques japonais, le tout ancré dans un quotidien bien de chez nous !
Car voilà bien ce qui anime VANYDA : mettre en images les petits événements du quotidien, tels qu’on peut les voir décrits dans les « sitcom » (situation comedy), un type de fiction semi naturaliste « que l’on trouve à la TV, au cinéma, mais pas dans la bande dessinée ». Pour remédier à cette cruelle absence, une seule solution s’impose : « faire les BD que j’aimerais lire », ce à quoi VANYDA s’emploie avec détermination. Loin de ceux qui abordent la bande dessinée par le seul biais du dessin, sans avoir rien à raconter, la jeune femme a des histoires plein la tête. Outre L’immeuble en face, dont les nouveaux courts récits continuent de paraître dans Porophore et feront l’objet d’autres albums, VANYDA travaille sur le premier tome d’une série intitulée L’année du dragon, pour le compte des éditions Carabas. Réalisé en collaboration avec François DUPRAT (également issu de Porophore), cet album nous entraînera dans le quotidien gentiment tourmenté d’un jeune instit’, en espérant que l’on y retrouvera les qualités repérées dans L’immeuble en face.

Car ce premier album regorge de qualités, et pas des moindres. Que VANYDA arrive à décrire avec tant de discernement et sans pudibonderie ! la vie quotidienne d’un couple de son âge, entre prises de bec et gros câlins, passe encore. Mais qu’elle trouve les mots justes pour faire ressentir la tendresse qui unit une mère célibataire et son enfant, ou l’enchaînement d’images révélateur de la solitude affective d’un homme d’âge mûr, laisse pantois. Pas de hasard à cela : « J’aime les gens, donc je les observe » explique-t-elle. Le réalisme psychologique qui imprègne L’immeuble en face trouve sa source dans les petits détails de la vie de tous les jours, des attitudes, des gestes, débusqués par VANYDA, « des petits trucs, piqués à gauche à droite, que je replace dans une histoire. Parfois je pars d’un simple détail, un dialogue par exemple, que « j’enrobe », d’autres fois je dessine une attitude, une situation, et l’histoire naît simplement comme cela ».

A ce réalisme des comportements répond un travail sur les postures et les visages des personnages. Cette quête du geste, du mouvement juste, qui n’a cessé d’animer un HERGE, n’est-elle pas précisément au coeur de la pratique de la bande dessinée ? Remise au goût du jour par artistes comme BLUTCH (Vitesse moderne) ou Emmanuel GUIBERT (La guerre d’Alan), cette recherche de la vérité du dessin préoccupe manifestement VANYDA, dont les premiers résultats en la matière sont plus que probants. Par ailleurs, passionnée par la perspective, la jeune auteur affectionne les variations extrêmes du point de vue un exercice jamais aisé, que la plupart des dessinateurs fuient , inscrivant toujours merveilleusement (en plongée ou en contre-plongée notamment) ses personnages dans l’espace. Quant à leurs visages, si certains sont dessinés sur un mode semi-réaliste plus proche des habitudes occidentales, d’autres ceux de Claire et Louis, les deux jeunes gens, ou Rémi, l’enfant renvoient plutôt à la bande dessinée japonaise, avec leurs mentons pointus et un certain type de stylisation des yeux, du nez et de la bouche. VANYDA s’amuse même à introduire, à petite dose et bon escient, le fameux contraste visuel propre au manga (qui voit par exemple le visage d’un personnage passer de son style habituel à un mode caricatural), afin d’accentuer ponctuellement une émotion.

Si l’on ajoute à cela une narration fluide, qui se paye le luxe de quelques morceaux de bravoure une des histoires superpose trois « strip » les uns au dessus des autres, chacun décrivant une discussion dans un des appartements qui puise autant du côté du manga, de la BD, que du comics (cette planche au découpage syncopé en petites cases de taille égale, qui rappelle le style d’un Franck MILLER), on aura compris que L’immeuble en face est à dénicher rapidement. Et VANYDA un drôle de nom à retenir.

Vous pouvez vous procurer L’immeuble en face et Porophore
(9 numéros disponibles) auprès de :

Bom Bom Prod
54 rue Gustave Delory
59800 Lille
http://porophore.free.fr

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