AnimeLand. : Lorsque nous nous étions vu, vous nous aviez annoncé travailler sur un projet de dessin animé engagé qui vous tenait à coeur : Odoltogi. Qu’en est-il aujourd’hui ?
PARK Jae Dong : Odoltogi reste encore au niveau de l’écriture du scénario, mais une autre version préalable pourrait paraître en bande dessinée. Le problème se pose à moi de ce scénario, ou plus exactement du point de vue à adopter dans ce scénario. De plus, pour que le film trouve un écho auprès du grand public, il faut apporter un plaisir en plus de l’intérêt, ce qui est un exercice difficile.
A.L. : Précisément, quelle est la difficulté dans le choix de point de vue qui est le votre pour l’écriture de ce scénario ?
P.J.D. : En définitive, j’adopte le point de vue d’un enfant coréen, mon personnage principal, qui doit se plier à une idéologie imposée à son peuple, lui-même doublement occupé (la Corée du Nord est entre les mains communistes là où le Sud subit un dictat américain, NDLR). Mais le but n’est pas de réveiller un conflit. En Corée aujourd’hui, une période difficile est passée et il est temps de s’ouvrir aux idées des autres, de créer une harmonie et panser ses blessures. Je ne veux pas aujourd’hui faire une oeuvre idéologique, mais expliciter une situation, chercher la réconciliation.
A.L. : La situation politique s’est donc littéralement inversée en Corée du Sud ?
P.J.D. : Oui, et c’est très significatif. L’ancien président est arrivé au terme de son mandat de 5 ans et les élections ont révélé un nouveau président, tendance gauche, qui a une bonne influence et porte les espoirs d’un peuple. Il était lui-même un symbole de la résistance, il fut même kidnappé au Japon pour cela. Il y a 7 ans, un auteur fut arrêté pour avoir voulu aborder le même sujet qu’Odoltogi, la situation était alors dangereuse. Aujourd’hui cela a changé et une nouvelle loi protégeant les artistes vient de passer pour contrer la loi du silence que la terreur imposait. C’est un grand pas. Ceci dit, le pays est encore divisé par les idéologies et c’est un sujet encore difficile à aborder, d’où mes hésitations sur le scénario d’Odoltogi.
A.L. : Il semble que ce changement politique soit notamment à mettre au crédit du vote de la jeune génération ?
P.J.D. : Tout à fait, il s’est passé quelque chose d’inattendu car il s’agit même d’une victoire de l’Internet. Sur le Net, il y eu beaucoup de dessins de presse ou de manhwa engagés qui sont passés pendant la campagne et ont généré, petit à petit, beaucoup d’échanges d’idées et de points de vue, ce qui a encouragé les auteurs à continuer. C’est le petit point de départ qui a créé un intérêt des jeunes pour le vote, a conduit à une plus forte participation de ceux-ci. Comme l’électorat habituel a voté dans ses habitudes, c’est vraiment la mobilisation des jeunes qui a fait basculer le vote général vers le candidat de gauche. Internet est vraiment devenu un lieu privilégié pour l’expression dessinée.
A.L. : D’autant plus que la situation tendue entre les USA et la Corée du Nord doit amener à poursuivre de nouveaux échanges à ce niveau ?
P.J.D. : Oui, en ce moment d’actualité importante c’est un phénomène global qui concerne toute la Corée. Beaucoup d’auteurs même en dehors de l’Internet, critiquent durement la position de Georges BUSH, et d’autant plus qu’il y a une montée de l’anti-américanisme dans notre pays. Celle-ci a atteint son apogée lors du procès des GI ayant écrasé deux jeunes collégiennes sous leur camion, procès qui n’a donné lieu à aucune condamnation. La loi les protège encore, mais certains journaux ont vivement réagit à cette affaire. Moi-même j’avais publié un dessin à la suite des événements du 11 Septembre 2001 : je mettais en parallèle les victimes du World Trade Center, à qui les USA offraient un grand appartement luxueux, et les victimes des bombardements en Afghanistan, à qui les USA offraient du chewing-gum… Mais cette montée anti-USA est aussi très dangereuse car nous restons prisonniers d’un paradoxe : nous voulons le départ des américains, mais si nous l’obtenons, nous prenons le risque important d’être attaqué par la Corée du Nord.
A.L. : Un autre support semble très développé en Corée (bien plus qu’en France) : le manhwa par téléphonie mobile vous apparaît-il aussi comme un nouveau véhicule de la pensée ?
P.J.D. : C’est un nouvel outil, voire l’outil du futur, car il apporte une particularité inestimable. En effet, passer des dessins via les téléphones portables, c’est pour les auteurs être indépendant d’un point de vue éditorial. Personne n’est là pour vous « cadrer » et l’on y gagne une grande liberté d’expression. Personnellement, je trouve cela encourageant, il y a de plus la possibilité de travailler en couleur, c’est un support très vivant… et payant, ce qui fait que l’on pourra peut-être en vivre. Pour ma part je n’ai pas encore essayé, mais c’est vraiment par manque de temps.
A.L. : Car si Odoltogi en animation est un peu ralenti, vous avez un autre projet en cours ?
P.J.D. : Bari Gonju ! (littéralement : La Princesse Bari, NDLR). C’est un ancien projet que j’ai ressorti. Il s’agit d’une histoire tirée d’une légende traditionnelle coréenne. Un Roi se désespère de n’avoir que des filles, et le jour de la naissance de sa 7è fille, pris de colère, il ordonne que celle-ci soit abandonnée. Le temps passe, le Roi vieillit et tombe malade. Une voyante lui révèle alors que pour guérir, il doit mener une quête dans un lointain et dangereux royaume. Mais nul ne veut risquer sa vie. Se présente alors, incognito, la 7è princesse, qui va prendre en charge cette quête. C’est une histoire différente de ce que fais habituellement, mais à laquelle je tiens : un conte fantastique pour enfants, avec beaucoup d’humour.
A.L. : De votre venue à Angoulème, quelles impressions retirez-vous ?
P.J.D. : J’ai été très intéressé par découvrir toutes les différentes formes de bande dessinée que vous proposez, c’est un peu comme ce que j’avais vu sur l’animation à Annecy, c’est très riche et diversifié. Mais je regrette néanmoins de n’avoir que peu vu de BD traitant de sujets d’actualité ou de sujets plus politiques, cela ne semble pas très développé, mais mes connaissances sont encore très incomplètes. Par contre j’ai été un peu déçu de ne pas rencontrer plus d’auteurs français, avec qui j’aurais aimé discuter un peu plus.
Tous nos remerciements vont à la traductrice, Mlle MOK Soojang.
Vous pouvez consulter certaines images des projets de M. PARK Jae Dong sur son site internet : www.odoltogi.co.kr
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