Paul Driessen

L'orfèvre de l'animation

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Si le nom de Paul DRIESSEN est souvent accolé au mythique Yellow Submarine, le délire psyché mettant en scène Beatles animés, Nowhere man à longue queue et autres fanfare des coeurs solitaires, on oublie trop souvent le reste de sa carrière. Depuis la fin des années 60, le réalisateur met en effet son talent au service de courts métrages à l’histoire ciselée, au trait minimaliste, à la poésie renversante, parfois caustique. Perfectionniste, Paul DRIESSEN partage son temps entre les Pays Bas, le Canada et l’Allemagne, pouvant travailler jusqu’à 4 ans sur un court métrage.

Le Festival Anima a consacré deux séances à ce grand monsieur de l’animation : une rétrospective d’une quinzaine de ses oeuvres, et un programme coups de coeur, mettant à l’honneur des héros de l’animation indépendante tels Caroline LEAF, Mark BAKER ou encore Gianluigi TOCCAFONDO avec lesquels Paul DRIESSEN partage un même amour de la précision, de la poésie et du scénario, au service d’une animation farouchement indépendante.

AnimeLand : Vos oeuvres réservent une attention toute particulière au scénario, c’était d’ailleurs le thème des projections que vous avez sélectionnées.

Paul DRIESSEN : Mes histoires sont toujours écrites avant que je les réalise. Je fais des petits sketches de temps en temps, mais pas tellement. Ecrire, c’est plus rapide et plus clair, et on peut faire des modifications tellement facilement… Pas comme avec le dessin. De plus, j’écris mes propres histoires, donc quand j’écris j’ai déjà des images dans ma tête, avec mon propre style. L’avantage aussi, c’est qu’on peut écrire de n’importe où, on n’a pas besoin de sketch book comme pour des dessins. Alors je choisis des endroits que j’aime bien, comme le Sud de la France, ou la mer !

AL : Le split screen est un procédé qui vous est cher…

PD : On utilise souvent ce mot comme s’il s’agissait d’une décoration. Or pour moi, le procédé n’est pas gratuit, je cherche toujours une structure pour l’histoire que je veux raconter. Dans Boys on the iceberg par exemple, je raconte deux histoires en même temps : d’un côté, le monde fantaisiste du petit garçon, et de l’autre, le monde réel. Il est important de pouvoir représenter les deux en même temps pour pouvoir comparer. Dans On land, at sea and in the air, c’est autre chose : je montre trois histoires en même temps, qui se mélangent à la fin. Je bâtis un peu toujours mes histoires de la même façon : le scénario se construit pour amener à un dénouement. Le multi screen utilisé dans La fin du monde à 4 saisons était très compliqué, je m’en suis cette fois servi comme d’un outil de narration.

AL : Quand vous bâtissez des histoires avec plusieurs images, essayez-vous d’attirer l’attention du public sur un événement précis ?

PD : Oui, mais c’est difficile ! On a même essayé de diriger l’attention du public avec des sons. Mais en fin de compte, on ne peut pas, parce que le son n’a pas de localisation sur l’écran ! On peut utiliser des effets surround de temps en temps, mais peu de cinémas en sont dotés. J’ai aussi essayé de changer de couleurs pour signaler quelle était l’histoire principale. Parfois aussi, un personnage passe d’un écran à l’autre, on peut ainsi donner une direction à l’histoire ; mais s’il y a trop d’actions partout, ça devient confus…

AL : Vous dessinez tout seul, ou vous dirigez une petite équipe d’animateurs ?

PD : Je fais presque tout tout seul ! J’ai travaillé avec des assistants, mais les films d’animation, c’est personnel ; ça prend plus de temps d’expliquer et de corriger le travail d’un assistant, que de tout faire soi-même. C’est-à-dire je fais tout ce qui concerne l’animation (clean up…) ; après, je fais les scannings, et je travaille ensuite avec un assistant sur l’ordinateur pour le coloriage, le montage…

AL : Depuis combien de temps travaillez-vous avec l’ordinateur?

PD : Environ depuis les années 90. Le dernier film que j’ai fait avec un banc-titre, sous la caméra, c’était Water people, vers 1991.

AL : Pour vous, c’est une plus grande liberté ?

PD : Oui. Je ne le maîtrise pas moi-même, mais je l’utilise, c’est tellement mieux… Toute ma vie, j’ai travaillé avec des acétates (composant chimique utilisé dans la composition des cellulos, ndlr), c’était vraiment… pas facile ! Toujours des problèmes de niveaux de lumières, des ombres, des poussières… Maintenant, avec l’ordinateur, tout est possible ! Même pour les mouvements de caméra, on n’est pas limités par des frontières de papiers… En réalisant mon dernier film, 2D or not 2D (2002), j’ai aussi découvert qu’on pouvait faire des modifications très facilement. C’est un film assez long, de 17 min, et l’histoire – qui mêle 1D, 2D, 3D – s’est finalement avérée être très complexe… Quand j’ai terminé le film, je n’étais pas vraiment heureux. J’ai alors proposé aux co-producteurs (l’ONF et la Hollande), de refaire le film, ils n’étaient pas d’accord au début… Or, c’est allé très vite ! J’avais tous mes dessins dans l’ordinateur, je pouvais dire « je change l’animation ici, quelques dessins là, on coupe quelques scènes, on remplace… ». Ça m’a pris seulement 2 mois. Tandis qu’avec l’acétate, on aurait dû refaire le film en entier !

AL : L’Office National du Film canadien (ONF) revient souvent quand on se penche sur une animation un peu originale. Est-ce le gage de liberté qui vous a attiré là-bas ?

PD : Oui, c’est la seule place que je connaisse dans le monde où on peut faire ses propres films. Avant, il y avait aussi l’Europe de l’Est, mais c’était difficile d’y entrer pour quelqu’un de l’Ouest. L’ONF est plus ouvert, surtout que maintenant, je suis Canadien ! Mais j’y travaille en tant que pigiste (en tant que freelance, ndlr), c’est-à-dire que je suis en compétition avec d’autres gens, à un niveau international. Mais l’avantage pour moi, c’est que j’ai fait tellement de films, que maintenant, on me connaît ! Et en général, mes films marchent plutôt bien. Sauf 2D or not 2D, qui n’a pas été un grand succès (rires)…

AL : Avez-vous pu vivre de votre art rapidement, ou avez-vous dû passer par le circuit films de commande ?

PD : J’avais deux pays, la Hollande et les Pays-Bas, c’était ça l’avantage : j’avais toujours presque toujours deux films en cours en même temps. En revanche, j’ai été pauvre toute ma vie, jusqu’à ce que je commence à enseigner l’animation… un salaire, ça change la vie !

AL : Vous donnez encore des cours aujourd’hui ?

PD : Oui, en Allemagne ; mais je vais prendre ma retraite le mois prochain, en mars. C’est terminé ! C’est curieux, parce que quand j’ai commencé, je me disais que c’était provisoire ; auparavant, j’avais toujours refusé d’enseigner parce que je n’aimais pas ça. Mais finalement, mes étudiants étaient tellement sympas que je suis resté. Or, on doit arrêter d’enseigner à 65 ans en Allemagne. Et ça va me manquer… Beaucoup d’étudiants sont devenus des amis, je les connais depuis des années, ils me rendent visite en France, au Canada…

AL : Pourquoi avoir choisi l’animation pour vous exprimer ?

PD : J’ai dessiné toute ma vie, depuis que je suis petit garçon… Mais quand j’étais petit, je n’avais accès à aucune animation. C’était une autre époque ! Je suis né pendant la guerre, il n’y avait rien ; ça a pris des années pour que le cinéma d’animation devienne populaire aux Pays Bas. Puis par hasard, j’ai découvert une boîte d’animation, à laquelle j’ai proposé mes dessins. Après, vers 1964, c’était une époque intéressante : le début du Festival d’Annecy, avec MC LAREN, ALEXEIEFF, LAGUIONIE, SERVAIS… des Tchèques, des Yougoslaves, des Russes, des Américains aussi… Tous ceux qui sont maintenant considérés comme les héros de l’animation indépendante !

AL : Vous êtes restés indépendants sur toutes vos productions. C’est un choix délibéré ?

PD : Pas exactement. J’ai postulé pour un poste à l’ONF, une ouverture pour une place permanente, mais à l’époque je n’étais pas Québécois. Or l’ONF, c’est quand même le gouvernement, donc il y a aussi des considérations politiques qui entrent en jeu… Des gens comme Caroline LEAF ou moi, dont les films ont été souvent récompensés, n’ont pas été pris, les places sont allées à des réalisateurs peut-être moins reconnus, mais Québécois… Mais finalement, j’étais assez heureux de ne pas avoir intégré l’ONF de manière permanente ; être libre aussi de travailler pour d’autres pays, ça me plaît.

AL : Le film Yellow submarine reste une étape originale dans votre carrière : long métrage, grand studio… Vous avez senti une différence ?

PD : Non, car les méthodes de travail étaient assez exceptionnelles : c’était assez flexible, tout était possible… J’ai même écrit des histoires, des story boards ! Au début, on n’avait aucune idée pour l’histoire, elle n’était pas encore écrite quand on a commencé. Du coup, on a jeté beaucoup d’animation ; chaque fois, un autre scénariste arrivait, proposait de nouvelles choses… Les Beatles étaient là avec leurs chansons, issues de Sergent Pepper’s, c’était la seule chose dont on était sûrs ! Toute cette incertitude était vraiment problématique pour le réalisateur ; mais pas vraiment pour nous, puisqu’on nous laissait assez libres pour nos étapes, nos scènes, comme on voulait.

AL : J’imagine qu’ils avaient fait appel à vous pour votre graphisme ?

PD : Oui, mais en même temps, on ne me connaissait pas tellement à l’époque. C’est juste que George TUNING, le réalisateur artistique, aimait bien mon style d’animation… Mais j’étais juste un animateur parmi cent autre. Le projet était spécial, mais pas moi !

AL : Avec du recul, vous pensez quoi de Yellow Submarine ?

PD : C’est un film culte, mais ce n’est pas mon film ! Cela dit, c’était très intéressant, je suis heureux d’avoir participé à l’aventure. Mais si on regarde ce film maintenant, ça ne marche pas du tout… C’est la musique qui le porte, la nostalgie, les Beatles, Londres, les années 60… c’était très excitant. Mais autrement, ce n’est pas un bon film. On ne comprend rien à l’histoire, on mélange tout, on coupe… Flower power !

AL : Ce film a-t-il donné un coup de pouce à votre carrière ?

PD : Je suis tenté de dire oui, mais en même temps, je ne suis pas sûr. Le film n’a pas été un grand succès, même en Angleterre, il n’est resté que 2 semaines à l’affiche… Ce qui a été plus important pour moi, c’est le fait que George TUNING, qui était canadien, m’ait parlé de l’ONF. C’est là que j’ai choisi mon avenir.

AL : Vous y êtes allés tout de suite ?

PD : J’ai essayé, mais ça ne marchait pas ! Quand on écrit à l’ONF, ils répondent « oui, on est intéressés, si tu es à Montréal, passe chez nous… ». Mais c’était loin de la Hollande, et je n’avais pas d’argent ! J’ai alors fait un film aux Pays Bas avec des subventions, et l’année après, je suis parti à l’ONF. Depuis, je ne l’ai jamais vraiment quitté.

AL : Vous avez des projets en cours ?

PD : Oui, deux : le premier, sur lequel j’ai commencé à travailler il y a deux ans, est un projet avec mon fils. C’est la première fois qu’on travaille ensemble ! Lui travaille en prises de vue réelles à Amsterdam, et moi je fais de l’animation à Montréal. Ce sera un peu un conte de fée, qui parle d’un personnage en live, qui a des visions en animation : il est à la recherche de ses propres racines, qui s’expriment par des images animées. Mais je ne vais pas tout révéler (sourire)… Pour l’instant, on continue à chercher de l’argent, parce que c’est un film de 1/2h et c’est assez cher ! L’autre, c’est un court métrage dont l’action sera montée à l’envers : on part de la fin de l’histoire pour arriver au début … Mais il y a très peu d’argent. L’ONF a supprimé beaucoup de budgets, notamment ceux pour ce film, qui n’était pas encore en production à l’époque… Mais j’ai quand même pris le risque de continuer à travailler dessus sans être payé. J’espère que des budgets se débloqueront ensuite ! On m’a dit oui pour le moment, mais on ne sait jamais… De toutes façons, j’ai été pigiste presque toute ma vie, je travaille comme ça, je suis habitué à prendre des risques !

Propos recueillis lors du Festival Anima, Bruxelles, février 2005.

Remerciements à Benoît MARCANDELLA et Françoise CATHALA.

À lire : compte rendu du Festival Anima dans l’AL #110.

À consulter : http://www.awn.com/folioscope/” target=”_blank” class=lienvert>le site du Festival Anima.

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