Skyhigh, le manga

La mort est son métier

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Les histoires de fantômes ont de tout temps fasciné l’Humanité. Depuis l’Antiquité, le fantôme a connu les honneurs de la littérature, du cinéma ou encore de la peinture. Derrière lui, se révèlent des angoisses ancrées dans notre humanité : le poids de la culpabilité, la peur de la mort, la haine ressentie pour un autre… Toutefois, à la différence de figures fantastiques comme le Vampire ou le Golem, aucune production artistique n’a encore fait office d’oeuvre de référence sur le sujet.

Cette absence de véritable oeuvre phare, loin de condamner le genre, offre au contraire une grande liberté aux auteurs travaillant sur les fantômes. Libre à eux d’offrir une vision personnelle des ectoplasmes. Ainsi, bien que traitant du même sujet, des oeuvres telles que Ring ou Le Sixième Sens n’ont finalement pas grand-chose à voir entre elles. Dans le même esprit, TAKAHASHI Tsutomu donne, avec Skyhigh, sa vision des créatures éthérées.

Déjà mort

Tout commence avec une mort violente. Suicide, meurtre, accident… L’âme du défunt arrive dans une antichambre sombre et sans murs, dont on perçoit seulement un tôri(1). Le défunt se trouve alors accueilli par une jeune fille aux longs cheveux noirs et au regard sombre, nommée Izuko. Cette dernière offre alors un choix multiple à la victime : soit elle va au Paradis, soit elle reste sur terre comme fantôme, soit elle peut hanter le responsable de sa mort. Si elle choisit cette dernière option, elle finira immanquablement, sa vengeance assouvie, par connaître les feux de l’enfer.

Le mystère plane sur la véritable identité de Izuko. Elle garde les lieux, mais où se trouve-t-on ? On ne le saura jamais. Elle a été nommée comme « Ogre » par l’esprit du tôri, et chargée de s’occuper des âmes arrivantes. Jamais, au grand jamais, elle ne doit infléchir leur choix(2), au risque de finir à son tour en enfer. On ne sait pas pourquoi elle a été nommée à ce poste, ni même ce qu’est l’esprit du tôri. Il faut dire que pour TAKAHASHI, le plus important ne se trouve pas ici.

Ames perdues

Morts. À cause du désir d’un autre, par vengeance, par choix… TAKAHASHI se délecte en nous présentant des vies tragiques, des destins brisés, et en plaçant des hommes face à un choix déchirant : doit-on pardonner à son bourreau ou le condamner et finir dans la géhenne ? Et qui voudra rester sur Terre comme un simple esprit désincarné, sans but aucun ?

Chaque chapitre des manga, à la notable exception des deux derniers, sont tous indépendants. Il s’agit de nouvelles, ancrées dans le quotidien japonais. TAKAHASHI a un style plutôt réaliste : ainsi, songe-t-on parfois à MISHIMA Yukio. Comme bien souvent dans les romans japonais fantastiques ou policiers (comme ceux de EDOGAWA Ranpo), on découvre un quotidien japonais sombre, avec des personnes torturées par leurs désirs, la pression exercée par leurs employeurs et dévorés par des pulsions inavouables en société. Il ne s’agit donc pas pour l’auteur de tomber dans un fantastique facile, mais plutôt de mettre à nue des angoisses et peurs japonaises. On ne s’étonnera donc pas d’entendre parler d’adultères, d’ijime (cliquez ici) ou encore de entreprises en faillites.

Et pour mettre en scène ces récits de l’ombre, TAKAHASHI dévoile un talent de conteur graphique. Armé d’un trait sombre et volontairement adulte, il sait montrer le mal et la fascination qu’il exerce sur l’Homme, à travers de superbes planches. Ce qui surprend d’autant plus, c’est qu’a priori, le style de TAKAHASHI n’a rien de flamboyant ou de commercial, jouant plutôt sur les zones d’ombre et sur un encrage épais. Malgré cette première impression, force est de constater la puissance dont il se permet de faire preuve dans les moments clés de son récit : son découpage très académique, et sa narration posée, sont soudain mis à mal par de pleines pages graphiques brisant la linéarité du récit. Seinen, son dessin garde un aspect ensorcelant, donnant à son manga une plénitude visuelle.

Dans l’au-delà

Skyhigh posera sans doute un réel problème de compréhension au lecteur ne pratiquant pas le japonais. Le texte prend en effet toute son importance : à la différence de certains titres, il dirige ici, tel un réalisateur, le fil du récit. D’autant plus que parfois, la conclusion brutale de l’histoire peut poser quelques problèmes de compréhension.

Au-delà de ces mots, reste toutefois un trait remarquable et très typé dont la simple vision devrait remplir d’aise les esthètes du travail d’auteurs tels Mike MIGNOLA (Hellboy) ou de Frank MILLER (Sin City). La parution prochaine de Jiraishin aux éditions Panini devrait, nous l’espérons, faire connaître cet auteur au plus grand nombre.

Skyhigh, manga en 2 tomes de TAKAHASHI Tustomu édité par la Shueisha. A noter, l’existence de Skyhig Karma, un one-shot, ainsi qu’une adaptation sous forme de feuilleton télévisé et d’un film.

Merci à Vincent BERNARD

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