The Big O, un animé sous influence

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Rappelons que la série a commencé a être diffusée dès la fin janvier 2002 sur Cartoon network en version française et anglaise sous-titrée, preuve de l’intérêt de la chaîne pour le public des passionnés. Son
apparition sur le câble français n’est pas une surprise, la série ayant cartonné chez Cartoon Network USA.

Nous sommes à Paradigm City, une ville qui, il y a 40 ans de cela a perdu la mémoire. La raison de cette amnésie ? Un mystère dont personne ne détient la clé… Quant à ceux qui se risquent à parler, ils finissent généralement dans un sale état. Le héros de cette histoire s’appelle Roger Smith, et c’est un négociateur. Qu’il s’agisse d’enlèvements, d’enquêtes difficiles ou de meurtres, il est l’homme de la situation, celui qu’on appelle en dernier recours. Lorsque la situation devient trop dangereuse, Roger peut faire appel à Big O, un robot gigantesque quasi-invincible. Le sous-sol de la ville ayant été aménagé par notre golden boy, Big O peut surgir à n’importe quel point de la ville sur un simple ordre vocal.
Dès le premier épisode, Roger va faire la connaissance de R. Dorothy, un androïde dont il sauve la vie, et qui va devenir sa “sideckick”, l’accompagnant dans ses aventures. Il peut aussi compter sur Dan Daston, le commissaire de la villeà qui il est lié par une forte amitié, et sur Norman Burg, son fidèle majordome, qui sait comment remettre son mécha en état de marche.
À travers ses aventures, notre héros devra affronter des savants fous, des robots géants, et composer avec une mystérieuse jeune femme qu’on ne connaît que sous le nom d’Angel et dont les buts sont bien mystérieux. Dans The Big O, le physique des personnages, les plans mis en scènes ou la musique utilisée évoquent de manière plus ou moins évidente des oeuvres particulières. La série connaît ainsi des références à la fois américaines et japonaises, qui, loin de faire de cet animé une oeuvre bâtarde, lui confèrent une originalité certaine. Explications.

Les influences américaines de la série sont les plus évidentes. Le graphisme des personnages rappelle tout de suite celui de la série animé de Batman, avec ses visages en angles et leurs mâchoires carrées.Le visage de Roger est à ce sujet particulièrement éloquent, sorte de croisement entre l’alter ego de Batman, Bruce Wayne, et James Bond période Sean CONNERY, avec des sourcils qui formeraient presque le symbole de la chauve-souris.Un de ses adversaires, Beck Gold, fait penser par son exubérance et son sourire au personnage du Joker, l’ennemi juré du Dark Knight. Le design des vêtements portés par les personnages principaux, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, évoquent les années 40. Une période qui a vu naître Batman sous la plume de Bob KANE, et aura inspiré l’utilisation de ce style dit Art déco dans son animé.

Il en va de même pour la structure narrative des personnages. On retrouve ainsi le héros solitaire, riche et justicier (Roger Smith/Bruce Wayne), son amitié avec le chef de la police (Dan Daston/Commissaire Gordon), le valet fidèle et courageux (Norman Burg/Alfred) ainsi que le sidekick qui se lie au héros (Dorothy/Robin). L’équipement qu’utilise Roger est un compromis entre les gadgets typiquement batmanien et Jamesbondien. On retrouve ainsi le batarang, sorte de grappin en forme de chauve-souris, la voiture Griffon, décalquée sur le modèle de la batmobile du premier film, et les souterrains de la ville qui rappellent ceux du troisième. Du côté du célèbre espion, on relèvera une montre qui rappelle les gadgets de Q, une valise-fusée, et le système de missile du griffon, qui évoque les mitraillettes de l’Aston Martin de Goldfinger. On a aussi des éléments purement Steampunk, comme des escalators sous forme de wagons tout à la fait dans le style 19è. Idem pour R.Dorothy ou le robot pianiste du 6è épisode : ce sont des personnages de science-fiction issus des pulps.
La ville qui sert de cadre à l’histoire est, elle aussi, intéressante. Si tout bon héros a besoin d’un méchant pour exister, il a aussi besoin d’une ville à l’intérieur de laquelle se mouvoir : Batman a Gotham City, Spider Man New York, Roger Smith, lui, a Paradigm City. La ville est un personnage à part entière comme dans les films noirs. On trouve ainsi des lieux récurrents comme le bar dans lequel il retrouve son indic, ou des éléments de décors qui soulignent son aspect monolithique, avec ses gratte ciels qui semblent écraser la population, ou son aspect monochrome déprimant. La musique n’est pas en reste. Le générique rappelle le thème du film Flash composé par QUEEN, et la bande son comprend plusieurs morceaux jazzy qui évoquent la nouvelle Orléans et les boîtes de Jazz enfumées des années 30-40. Tout concoure donc à évoquer dans l’esprit du spectateur un univers proche du film noir, des récits d’espionnage, voire des séries télé avec ses épisodes totalement indépendants, et qui respectent une unité de temps et de lieux (une histoire, un méchant, un combat, un espace de récit). Autant d’éléments qui ont joués dans l’excellent accueil reçu par la série aux USA, comme le confirment les nombreux sites américains qui pullulent sur la série.

Les influences japonaises ne sont pas en reste sur la série. Au point de vu graphique, on relève de nombreuses ressemblances sur le design de personnages, qui oscillent entre TEZUKA Osamu (Astro le petit robot) et Monkey PUNCH (Edgard, détective cambrioleur). C’est le cas notamment pour la belle Angel (comparez-là avec la petite fille du film de Métropolis, le résultat est saisissant). Au plan des mécha, le style du robot Big O est à rapprocher de Giant Robot, sur lequel une bonne partie du staff de The Big O a bossé. On retrouve tout de même la patte de NAGAÎ Go (le papa de Goldorak) pour le design si particulier des adversaires que Smith affronte. Un design qui n’est pas non plus sans rappeler celui des Anges d’Evangelion.Au niveau de la mise en scène, l’influence vient clairement de Cow Boy Be Bop, soit une réalisation qui met l’accent sur les ambiances lourdes (pluies, affrontements de regards) et sur des cadrages audacieux (la caméra qui filme les personnages depuis le ventilateur, un plan qui donne le point de vue d’une gargouille).
Le montage concoure lui aussi à restituer cette ambiance qui alterne avec succès les moments de calme à ceux purement dédiés à l’action. À ce sujet, les épisodes les plus révélateurs sont le 8è et le 10è. Dans le premier où Dorothy R. recueille un chat sous la pluie, la réalisation est quasi identique au dernier contrat de Spike dans Cow Boy Be Bop (cette scène qu’on voit dans la bande-annonce où il attend sous la pluie avec un bouquet de roses à la main).Le deuxième évoque sans peine l’épisode dans lequel le compère de Spike, Jet, se trouve confronté à son ancien amour. On remarquera la similarité des thèmes ainsi qu’un parallèle entre le commissaire Dan Daston et Faye Valentine, les deux étant confrontés à des souvenirs qui leur sont étrangers.

On relève aussi quelques gimmicks typiquement Nagaïen comme le fait de sauter dans le vide avant de retomber sur le robot (voir Actarus dans Goldorak) ou les plans sur le visage du robot qui a ce côté froid et impérial typique de ses créations. L’équipe créatrice s’est aussi souvenue de son expérience sur Giant Robot comme le prouve la montre de Roger qui lui permet d’appeler Big O, identique à celle utilisée par le jeune Daisuke pour le Giant Robot. Mais l’influence la plus flagrante, peut-être aussi la plus opaque pour nous car typiquement japonaise, est relative aux Kaiju Eiga, les films de monstre.
Dans Goldorak, les forces de Véga menaçaient la ville pour faire sortir Actarus de sa cachette et dans Evangelion, la cité pouvait bien s’enfoncer dans le sous-sol, les buildings restaient à la merci des Anges : cette tendance à détruire la Mégalopole est révélatrice de la vision déshumanisante qu’elle suscite. Quant au fait d’opter pour des affrontements qui mettent en péril son architecture, c’est l’influence du film de monstre à la Godzilla qui prédomine. Films de monstre eux-mêmes inspirés des multiples destructions que connaît le Japon du fait de sa situation sismique ainsi que du traumatisme Hiroshima-Nagasaki. Toutes les scènes qui voient s’affronter le Big O avec des monstres et qui entraînent la destruction d’une bonne partie des immeubles procèdent donc de cette logique et sont, pour les yeux d’un nippon, automatiquement reliés à un fond de culture typiquement japonais. La musique n’est pas en reste : elle évoque à la fois le travail de SAGISU Shiro sur Evangelion et de IFUKUBE Akira, LE compositeur des musiques de Kaiju Eiga. On peut d’ailleurs estimer à ce sujet qu’Evangelion étant lui aussi un hommage aux films de monstre, on trouve de nombreuses références visuelles et sonores à cette série dans The Big O.

Voilà donc une série qui affiche sans complexe une influence Steampunk, au charme désuet. Pour les auteurs, le but a visiblement été de replonger le spectateur dans une époque lointaine mais bénie : celle des pulps, des serials de savants fous, des récits d’espionnages baroques, des films de monstre au doux charme kitsch. Ce sont des formes particulièrement populaires de divertissement qu’on pouvait trouver entre les années 40 et 60. Si le style de mise en scène et l’animation sont particulièrement moderne, le scénario, l’ambiance et la musique sont définitivement des résurgences du passé (ce qui ne veut pas dire ringard). C’est cet alliage entre le “révolu” et le “à venir” qui donne ce ton si particulier à la série, et qui fait d’elle un hommage particulièrement vibrant à toute une littérature de quatre sous, et à des films de série B dont les thèmes sont restés gravés dans notre inconscient collectif. Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, la série a été produite avant tout pour le public japonais, et pas pour séduire les Américains. Malgré tout, une seconde saison serait actuellement en pré-production sous l’égide de Sunrise et de Cartoon Network USA. Affaire à suivre.

Remerciements à Philippe CHRISTIN de Dynamic Visions, à Valérie LERIDON de Cartoon Network France ainsi qu’à Daniel ANDREYEV d’AnimeLand.

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